La Délégation parlementaire aux Renseignements a auditionné jeudi deux responsables de la police et du contre-espionnage
Députés et sénateurs membres de la délégation ont entendu le directeur général de la police Frédéric Péchenard et le directeur de la DCRI Bernard Squarcini sur les affaires d'espionnage de journalistes, selon des sources parlementaires.
Vendredi, la garde des Sceaux a estimé que les accusations de surveillance lui paraissaient "relever du fantasme".
"On a parlé de vols, notamment d'ordinateurs de journalistes. Il y a eu des plaintes qui ont été déposées, il y a une enquête, cette enquête dira ce qu'il en ressort", a indiqué Michèle Alliot-Marie. "La loi est appliquée et sera appliquée, j'en suis la garante", a-t-elle ajouté. Mais elle a prévenu: "Je dis, comme l'a dit d'ailleurs M. (Bernard) Squarcini (patron de la Direction centrale du renseignement intérieur - DCRI), tout ceci me paraît relever du fantasme".
"Ne fantasmons pas, là encore!", a martelé la ministre de la Justice, interrogée sur un supposé "cabinet noir" à la DCRI, rappelant également que les parlementaires avaient rencontré jeudi Bernard Squarcini.
Plenel interpelle Sarkozy
Dans un éditorial de Mediapart, son fondateur Edwy Plenel interpelle jeudi Nicolas Sarkozy sous le titre "Espionnage d'Etat des journalistes: Monsieur le Président, cela vous concerne".
"Des confidences anonymes ne sont certes pas des preuves probantes, et c'est bien pourquoi nous sommes jusqu'ici restés prudents et discrets", écrit Edwy Plenel. "Reste qu'aujourd'hui, ces témoignages de sources au coeur de l'Etat sont trop insistants et les faits qu'ils rapportent sont trop concordants pour que nous gardions cette réserve professionnelle", ajoute le directeur de Mediapart.
Mercredi, le Canard enchaîné avait affirmé que Nicolas Sarkozy supervisait lui-même l'espionnage de journalistes. Dans un article signé de son rédacteur en chef Claude Angeli, le Canard a assuré que Nicolas Sarkozy "demande" au patron de la DCRI (contre-espionnage) Bernard Squarcini "de mettre sous surveillance, les journalistes se livrant "à des enquêtes gênantes pour lui ou les siens".
L'Elysée a qualifié ces informations de "totalement farfelues" et le porte-parole du gouvernement Luc Chatel a déclaré qu'il s'agissait d'"allégations grotesques qui n'ont pas lieu d'être". Côté opposition, le PS, qui a jugé cette accusation "extrêmement grave", a demandé que le patron de la DCRI soit auditionné par la commission des lois de l'Assemblée.
Le directeur de la DCRI, Bernard Squarcini, a affirmé mercredi soir qu'"il n'existe pas de cabinet noir à la DCRI. "Aucun groupe n'est chargé de s'intéresser aux journalistes" à la Direction centrale du renseignement intérieur, ajoute M. Squarcini, affirmant qu'il étudie avec son avocat, Me Patrick Maisonneuve, "la possibilité de déposer plainte pour diffamation, dans le cadre de l'assistance judiciaire" qui lui est "apportée par le ministère de l'Intérieur" après la publication de "ces informations grotesques".
"Je m'inscris en faux contre les allégations mensongères contenues dans cet article" (du Canard enchaîné), et "j'en ai informé dès mardi soir Claude Angeli, (directeur de l'hebdomadaire et signataire de l'article), immédiatement et personnellement", ajoute Bernard Squarcini.
Les affirmations du Canard Enchaîné
"Depuis le début de l'année au moins, dès qu'un journaliste se livre à une enquête gênante pour lui ou pour les siens, Sarkozy demande à Bernard Squarcini" de s'y intéresser, affirme Le Canard. Le responsable du DCRI, à qui ce rôle "ne plaît guère", selon plusieurs de ses subordonnés cités par le journal, confie la mission "à un groupe monté à cet effet" au sein de son unité, "à savoir plusieurs policiers des RG, experts en recherches discrètes, ou présumés tels". "Avant de pousser plus loin, si leur enquête le nécessite", ceux-ci "se procurent les factures détaillées du poste fixe et du portable du journaliste à espionner."
A en croire l'hebdomadaire, "certains ne font guère mystère" de ces pratiques. "Ainsi, peu avant l'été, Henri Guaino, conseiller spécial du Président, affirmait, en présence de diplomates, et sans le moindre complexe: 'Les journalistes, on les cadre...'"
En 2009, poursuit Le Canard Enchaîné, "en déposant une plainte contre X, Bernard Kouchner avait (...) espéré découvrir qui, au Quai d'Orsay, fournissait des informations confidentielles et des télégrammes diplomatiques au 'Canard'. Un bon nombre de membres du Quai d'Orsay ont alors été convoqués au siège de la DCRI".
L'hebdomadaire revient par ailleurs sur les cambriolages qui ont touché plusieurs médias, en l'occurence Le Monde, Le Point et Médiapart. Selon lui, "ces opérations pourraient avoir été confiées à des officines, et non - sous réserve d'inventaire - à la DCRI".
Des journalistes "géolocalisés" ?
Jeudi, deux journalistes de Mediapart ont assuré avoir été "géolocalisés" par les services français. "Nous avons appris que nous avons été géolocalisés lors de nos déplacements en mars-avril, alors que nous enquêtions sur les rétrocommissions et l'attentat de Karachi avec Fabrice Arfi", a expliqué Fabrice Lhomme, journaliste à Mediapart interrogé par l'AFP.
"A l'époque, nous avions des rendez-vous aussi bien avec Claude Guéant, Brice Hortefeux ou Bernard Squarcini, mais aussi avec des informateurs discrets comme d'ancien responsables des services secrets", a-t-il ajouté. Les deux journalistes achevaient leurs enquêtes pour la publication en mai de leur livre ("Le contrat, Karachi l'affaire que Sarkozy voudrait oublier", Stock). Ces opérations "ont été réactivées quand à partir de juin nous avons commencé à travailler sur l'affaire Bettencourt", a-t-il ajouté.
Enquêtes de police séparées
Le parquet de Paris dirige actuellement trois enquêtes séparées sur les trois vols commis, ces trois dernières semaines dans des médias ou chez des journalistes travaillant sur l'affaire Bettencourt.
Ces enquêtes ouvertes après les plaintes des personnes visées - Gérard Davet du Monde, Hervé Gattegno et son employeur Le Point ainsi que le site internet Mediapart - ont été confiées à deux divisions territoriales de la police judiciaire de Paris, a-t-on expliqué mardi au cabinet du procureur Jean-Claude Marin.
Dans la nuit du 7 au 8 octobre, Mediapart dit s'être fait voler dans ses locaux les cédéroms portant les enregistrements clandestins de Liliane Bettencourt réalisés par un employé et dont la publication a lancé l'affaire. Hervé Gattegno dit s'être fait voler son ordinateur dans les locaux du Point, tandis que Gérard Davet a porté plainte pour le vol de son ordinateur et d'un équipement GPS à son domicile.
Ces vols interviennent dans un contexte où il est apparu que le contre-espionnage et un service de police avaient mené des enquêtes pour déterminer les sources du journal Le Monde concernant les articles sur l'affaire Bettencourt. La DCRI a admis avoir enquêté l'été dernier pour finalement identifier comme source du Monde un magistrat en poste au ministère de la Justice, David Sénat, qui a été limogé.
Le procureur de Nanterre (Hauts-de-Seine) Philippe Courroye a fait examiner par la police les relevés de communications téléphoniques de deux journalistes du Monde pour porter une accusation de violation du secret de l'enquête contre Isabelle Prévost-Desprez, présidente du tribunal correctionnel de la ville.
Réactions
Le ministère de l'Intérieur n'a "pas souhaité commenter" cet article.
De son côté, le secrétaire général de l'UMP Xavier Bertrand a qualifié mercredi de "grand n'importe quoi" les accusations du journal satirique. "Ce n'est pas la première fois que Le Canard enchaîné est pris en 'flagrant délire', il reste dans la même veine", a-t-il ajouté. "Rappelez-vous, voilà quelques mois", l'hebdomadaire satirique "avait dit que dans le futur avion du président de la République, il y aurait même une baignoire, une baignoire sabot. C'était déjà du grand n'importe quoi", a-t-il fait valoir.
Dans l'entourage de Bernard Squarcini, on affirme que le directeur de la DCRI n'a "jamais eu d'instruction de Nicolas Sarkozy depuis que celui-ci est président de la République". Toutefois, la DCRI peut "éventuellement s'occuper des sources des journalistes", a-t-on poursuivi. Elle est "chargée" entre autres de la lutte "contre la compromission ainsi que des intérêts de l'Etat. Lorsque des fuites interviennent à haut niveau dans un cabinet ministériel, il est de son devoir de s'en saisir."
Toujours selon la même source, la DCRI, "a une structure hiérarchique (directeur général de la police nationale, directeur du cabinet du ministre) et lui rend compte de ses saisies d'initiative".
Pour Marie-Pierre de la Gontrie, chargée de la justice au PS, "ce qui est révélé est extrêmement grave, et nous demandons que le patron de la DCRI Bernard Squarcini, nommément visé par cet article comme étant le chef d'orchestre de tout cela pour Nicolas Sarkozy, soit convoqué pour être auditionné par la commission des lois de l'Assemblée nationale".
La secrétaire nationale des Verts, Cécile Duflot, demande aussi dans un communiqué la création d'une "commission indépendante" pour enquêter sur ces informations.
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