"Ils sont fous ces Anglais !"
Le 23 juin, les Britanniques décideront de rester ou non au sein de l’Union européenne. Le débat enflamme nos voisins d’outre-Manche, jouant sur tous les ressorts de la société : la politique, bien sûr, mais aussi l’histoire, l’économie, la culture… Un numéro exceptionnel de “Marianne” pour comprendre.
L’éditorial de Jacques Julliard
« Le Brexit est un commencement
Il n’est, au fond, pas trop difficile à l’éditorialiste français de parler du Brexit. D’abord, parce que ce qu’il dira n’aura de toute façon aucune chance d’influencer l’électeur anglais, qui ne lit guère Marianne, le malheureux.
Ensuite, parce que, quel que soit le vote, la question anglaise continuera de nous empoisonner la
vie. Comme l’a dit si justement Jean-Louis Bourlanges, jusqu’au 23 juin, l’Angleterre aura en Europe un pied dedans, un pied dehors. Après, ce sera l’inverse. On en est donc réduit à exprimer des vœux et à tâcher de mesurer les conséquences de l’une et de l’autre issue. Alors, je le dis sans ambages, mon vœu est que le Royaume-Uni sorte une bonne fois de l’Europe, faute de s’être jamais résolu à y entrer franchement. Depuis les débuts de cette Europe, nos amis anglais ne se sont jamais vraiment posé qu’une question : la meilleure manière pour la détruire est-elle de le faire de dedans ou de dehors ? Seul Winston Churchill – l’Anglais que j’admire le plus depuis Shakespeare – souhaitait sincèrement le succès de l’Europe, à condition toutefois que l’Angleterre se tienne en dehors.
On ne manquera pas de me taxer d’hypocrisie quand je parle de « nos amis anglais ».
Qu’on se détrompe : l’Angleterre, comme la marine française, je la respecte. Je l’aime.
L’Angleterre est un mal nécessaire : elle nous protège de l’autosatisfaction ; elle est la mesure de nos impuissances ; et, surtout, elle est le contre-exemple de ce qu’il faut faire quand on veut survivre à un grand passé. Que l’on ne croie surtout pas que c’est l’économie qui pourrait départager partisans et adversaires du Brexit. Si la balance économique penchait clairement d’un côté, les Anglais s’y reporteraient en masse, soyons-en sûrs. Rarement l’économie aura à ce point étalé son impuissance à étayer un choix rationnel. La vérité, c’est que personne ne sait vraiment ce qui se passerait en cas de Brexit. Je vous livre en passant mon évaluation personnelle : rien.
L’Europe n’est pas une question d’avantages et d’inconvénients comparés ; elle est affaire d’inclination. Alors, aimez-la ou quittez-la. Qu’on se reporte au célèbre passage du Tiers Livre de Rabelais, où Panurge pèse le pour et le contre à propos du mariage : il n’en sort rien, sauf un grand moment de notre littérature.
C’est pourquoi les vrais Européens, comme nous-mêmes dans ce journal depuis ses origines, voient très bien que le maintien de l’Angleterre dans les institutions européennes ne peut qu’accélérer le déclin de celles-ci. On peut, en effet, compter sur les Anglais pour nous faire payer cher, en dérogations, exemptions, statuts particuliers de toutes sortes, l’honneur qu’ils nous auraient fait de demeurer parmi nous. Ce micmac diplomatique n’a que trop duré.
S’il devait se prolonger encore, l’Europe, ou ce qu’il en reste, n’y survivrait pas. N’en déplaise aux fonctionnaires de Bruxelles, qui ne sont plus des Européens mais des gouverneurs à la Sancho Pança d’un pays imaginaire, il n’y a pas d’avenir à l’Europe actuelle avec l’Angleterre actuelle.
L’autre hypothèse permet au moins de tenter quelque chose : donner à l’Europe la dimension politique et démocratique qui lui a toujours manqué et qui l’oblige à déambuler sur la scène mondiale comme un poulet sans tête. Or, entreprendre de négocier un accord politique entre tous les Etats membres, fussent-ils allégés du Royaume-Uni, c’est entreprendre de vider l’océan Atlantique à la petite cuillère. Il n’y a donc pas d’autre solution pour relancer une Union européenne encalminée en plaine bonace que d’en revenir au dispositif originaire : une alliance franco-allemande ouverte à ceux qui voudront la rejoindre.
On dira qu’en deux tiers de siècle la situation a beaucoup changé. Sans doute. Mais pas cette donnée majeure qui, au XIXe siècle déjà, faisait dire à Victor Hugo dans le Rhin que des Etats-Unis d’Europe ne sauraient reposer que sur l’alliance franco-allemande, et se heurteraient nécessairement à deux adversaires : l’Angleterre et la Russie. Si donc les Anglais décidaient de nous quitter, au moins pour quelque temps, notre devoir serait le suivant :
-
Laisser l’Europe actuelle, c’est-à-dire une zone de libre-échange, mijoter à petit feu sur un coin du fourneau, comme la soupe aux choux.
-
Préparer ici, par un redressement économique énergique, les conditions d’une alliance franco-allemande.
-
Faire rapidement de celle-ci une zone de souveraineté commune, par la fusion de nos diplomaties, de nos armées, de nos polices et, à terme, de notre organisation économique et sociale.
-
Préserver la souveraineté nationale dans le domaine où elle conserve un sens fort, celui de la culture, comportant notamment la langue, l’éducation, les genres de vie. Nous avons renoncé, depuis Napoléon, à unifier l’Europe par la guerre. Mais l’expérience a montré depuis qu’il était impossible de l’édifier à partir d’une grande négociation entre toutes ses nations. Elle n’a de chance de se faire que par un processus d’agglutination à partir d’un noyau dur.
Conclusion : le Brexit n’est pas une fin. Si nous le voulons, ce peut-être un commencement. »
6 grands dossiers pour décrypter le Brexit :
-
Le référendum
-
Société
-
Histoire
-
Idées
-
Culture
- Quelle époque !
-
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.