Cannes 2012, le royaume des m'as-tu-vu
Avec l'avènement des réseaux sociaux et les nombreuses villas et plages investies par les marques au moment du festival, c'est à celui qui verra le plus de stars et le moins de films.
Autrefois, le festival de Cannes était un événement couvert par une poignée de privilégiés, des journalistes avec de la bouteille, pour la presse nationale ou pour la télé. Et puis internet est arrivé et avec lui sa cohorte de blogs et de sites d'infos. Alors, forcément, on délivre plus d'accréditations et, sans aller jusqu'à dire qu'aujourd'hui, n'importe qui peut en avoir une, on n'en est pas loin. Près de 4 000 sésames ont été attribués pour Cannes 2012, soit cinq fois plus qu'il y a quarante ans, d'après Les Echos.
Je mange un hot-dog Schweppes sur la plage Nespresso
En période de festival, chaque parcelle de la Croisette est à louer. Et quand Cannes s'offre au tout-marketing, on ne boit pas un cocktail, on boit un cocktail sur la terrasse Martini. On ne danse pas sur une plage privée, on danse sur la plage Nespresso, Chivas ou Orange. Même les hot-dogs peuvent être Inrocks. Sans oublier le pavillon Electrolux et les espaces Audi ou Moët & Chandon.
Cette année, la villa Schweppes a été "the place to be", au grand dam de la maison des Inrocks, dont on n'a pas beaucoup entendu parler. La marque, omniprésente (cartons, verres, drapeaux) a proposé DJ sets et concerts de 15 heures à 2 heures du matin (cela dit, comptez sur une mollassonne ambiance retour de cuite jusqu'à 22 heures) ainsi que la possibilité de croiser des grosses, grosses stars internationales telles que le héros de la série "Bref", Kyan Khojandi, ou encore Philippe Manœuvre et Laurent Baffie. Ceux qui étaient à la soirée "punk" (pas les vrais punks, donc) pouvaient même se la jouer prolos d'un soir avec des "cannettes de 8.6 à volonté" et admirer Jean Dujardin et Albert Dupontel slammer sur la foule dans une ambiance "juste folle et survoltée".
Dans le public, des visages inconnus. Et pour cause : les soirées autrefois privées le sont de moins en moins. Forcément, on s'échange les bons plans invitations sur Twitter. Même les fêtes de Canal+, partenaire du festival depuis 19 ans, réputées pour réunir la crème des people.
Et toi, t'as vu qui ?
Mais il faut prouver qu'on est bien à Cannes. Et surtout qu'on s'y amuse comme des petits fous. Les journalistes qui vont sagement se coucher à 23 heures pour être frais et dispos à la projection de 8 heures ou pour enchaîner les interviews n'intéressent plus grand monde, tout comme ceux qui ne parlent que de cinéma. Parce qu'on a tendance à l'oublier, mais à Cannes, on peut voir des films entre deux DJ sets.
C'est donc à celui qui aura le moins dormi, fait le plus de soirées, croisé le plus de fois Michel Denisot, Daphné Bürki ou Thierry Frémaux, le délégué général du festival. En n'oubliant pas de prendre des photos (floues), parce que si ça n'est pas sur Twitter, ça n'est jamais arrivé.
La tendance n'épargne même pas les organisateurs du festival : Gilles Jacob, le président du festival, ne loupe pas l'occasion de montrer qu'il a dîné avec Roman Polanski et de poster une photo du dos de Sean Penn alors qu'il se trouve à 50 cm. Quand Thierry Frémaux boit un verre à 2 heures du matin avec Tim Roth et Isabelle Huppert, tout Twitter est au courant. Un coup à finir sur le Tumblr Mission Villa Schweppes, qui recense les meilleurs tweets de ceux qui se sont fait mousser d'être passés par la maison privatisée. Comme lui, elle, ou bien lui.
Vous êtes allés voir des quoi ? Des "films" ?
Depuis deux ans, les projets qui se veulent à contre-courant ou originaux dans leur couverture du festival se multiplient. Avec souvent le même concept : parler de Cannes sans parler de cinéma, parce que c'est trop convenu et pas assez cool. La chaîne Arte, par exemple, a embauché pour la troisième année consécutive une blogueuse, cette année assortie d'un journaliste. Leur mission : raconter sur un blog à quatre mains étiqueté "gonzo" qu'ils sont au festival de Cannes non pas pour le cinéma, mais pour "faire autre chose". Comme s'enquiller des hectolitres d'alcool tous les jours de 13 heures à 8 heures du matin, relater dans le détail son déjeuner et comment on a attrapé un coup de soleil en terrasse et une angine quelques jours plus tard, ou qu'on a fait la queue pendant 26 minutes aux toilettes.
Sans oublier, surtout, de se moquer des gens qui sont venus au festival du film pour voir... des films : "Lorsque tu parles d'un film, ne l'appelle surtout jamais par son titre, mais par le nom du réalisateur. Tu ne diras donc pas : 'J'ai trouvé Vous n'avez encore rien vu très plaisant', mais 'Je suis énormément déçu par le Resnais'."
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