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La hausse des tarifs de l'électricité est-elle due à l'ouverture à la concurrence imposée par l'UE ?

L'actuelle formule de calcul des tarifs réglementés d'EDF est très critiquée, car elle a abouti à une hausse de près de 6%. Le gouvernement promet d'en adopter une nouvelle rapidement.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Le siège d'EDF à la Défense, le 1er juin 2019. (ELKO HIRSCH / HANS LUCAS / AFP)

Les tarifs réglementés de l'électricité ont bondi de 5,9% au 1er juin. Dans le live de franceinfo, vous nous avez adressé le message suivant, jeudi 6 juin : "La Commission européenne impose l'ouverture à la concurrence d'EDF qui se trouve obligée d'augmenter ses tarifs : autrement dit, l'UE tire vers le bas le pouvoir d'achat des Français." "Vrai ou faux ?" nous avez-vous demandé. Voici notre réponse.

Comment les tarifs réglementés de l'électricité sont-ils calculés ?

Les tarifs réglementés de l'électricité, appliqués par EDF à environ 25 millions de foyers, sont fixés selon une méthode de calcul définie par la loi Nome (Nouvelle organisation du marché de l'électricité), votée en 2010. "L'Etat a réformé les tarifs en indexant une partie sur le prix du marché et une autre sur celui du nucléaire régulé", expose à l'AFP Nicolas Goldberg, du cabinet Colombus Consulting. Cette méthode, dite "par empilement", additionne les coûts des différentes composantes de la filière, comme le détaille la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

Elle inclut donc le coût d'approvisionnement des fournisseurs alternatifs, qui peuvent acheter une quantité plafonnée d'électricité nucléaire à prix fixe auprès d'EDF, grâce à un dispositif baptisé Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), et qui se fournissent également sur les marchés. Elle comprend par ailleurs le coût d'approvisionnement en capacité, qui garantit la sécurité d'approvisionnement, mais aussi les coûts commerciaux, les coûts d'acheminement de l'électricité ainsi qu'une marge commerciale.

Plusieurs taxes s'y ajoutent : la contribution tarifaire d'acheminement (CTA), la contribution au service public de l'électricité (CSPE), les taxes sur la consommation finale d'électricité (TCFE) et la TVA.

Pourquoi la hausse de ces tarifs est-elle si élevée ?

Jean-François Carenco, le président de la Commission de régulation de l'énergie, qui a prôné cette hausse de 5,9%, a expliqué sur Europe 1 que cette augmentation devait permettre de garantir la sécurité, la qualité et des prix raisonnables à moyen et long terme.

En février, déjà, la CRE faisait valoir dans sa délibération que la hausse qu'elle défendait tenait compte notamment de "l'augmentation importante des prix sur les marchés de gros de l'énergie", liée à l'élévation des prix des matières premières.

Mais elle est aussi provoquée par le "doublement du prix des garanties de capacité", pointe l'expert du cabinet Colombus Consulting. "En plus d'acheter de l'électricité, un fournisseur doit acquérir un certificat de capacité, garantissant qu'il a investi dans des capacités de production sécurisant l'approvisionnement."

L'ouverture à la concurrence influe-t-elle sur cette augmentation ?

Le marché français de l'électricité a été progressivement ouvert à la concurrence en 1999 pour les entreprises et depuis 2007 pour les particuliers, en application des directives européennes "paquet énergie" adoptées à partir de 1996.

La méthode de calcul des tarifs réglementés de l'électricité a été conçue pour permettre aux fournisseurs alternatifs d'être compétitifs face à leur concurrent historique, EDF, et de pouvoir proposer des tarifs inférieurs. C'est le principe de la "contestabilité", comme le note la Commission de régulation de l'énergie.

Or ces fournisseurs alternatifs, comme Engie, Total Direct Energie ou Eni notamment, ont vu leurs coûts augmenter avec la hausse des cours sur le marché de gros et l'accès limité aux capacités nucléaires. Les associations de consommateurs dénoncent ce paradoxe. Le principe de la contestabilité, censé favoriser la concurrence au bénéfice des consommateurs, se traduit in fine par une hausse des tarifs.

En mars, l'Autorité de la concurrence déconseillait dans un avis cette augmentation des tarifs réglementés (TRV), trop favorable selon elle aux concurrents d'EDF. "Le dispositif envisagé est défavorable pour 28 millions de clients aux TRV, puisqu'il conduirait à une augmentation des tarifs de 7,7% HT (soit 8,3 euros/MWh), dont 40% (soit 3,3 euros/MWh) ne correspondent pas à une augmentation des coûts de fourniture d'EDF mais ont pour but de permettre aux concurrents d'EDF de proposer des prix égaux ou inférieurs aux TRV."

"On est dans un système un peu fou où l'on augmente les prix pour faire vivre la concurrence", a renchéri sur franceinfo François Carlier, délégué général de l'association de consommateurs CLCV. "Les coûts d'EDF n'augmentent que de 3%, or la hausse totale est de 6%. La moitié de la hausse n'a rien à voir avec l'augmentation des coûts d'EDF. C'est simplement que les opérateurs alternatifs n'ont pas accès autant qu'ils le voudraient au nucléaire et augmentent leurs coûts (…) Donc pour qu'ils continuent d'être compétitifs, on augmente le tarif d'EDF, ce qui permet aux opérateurs alternatifs de dire : 'Je vous fais 5 ou 10% moins cher que le tarif EDF'. Mais en fait, ils peuvent le faire uniquement parce qu'on a augmenté le tarif d'EDF." 

La CLCV et l'UFC-Que Choisir ont donc décidé de saisir le Conseil d'Etat afin de casser cette augmentation des tarifs réglementés de l'électricité, que la CLCV juge "illégale".

La méthode de calcul des tarifs réglementés de l'électricité a été élaborée au moment où les prix de marché baissaient. Et elle "n'est plus tellement adaptée dans un contexte où la concurrence a bien émergé et où les marchés sont remontés", observe le consultant Nicolas Goldberg.

Comment ce mode de calcul peut-il être révisé ?

Le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, a annoncé sur BFMTV qu'un nouveau mode de calcul des tarifs réglementés de l'électricité serait applicable dès 2020. Celui-ci est inscrit dans le projet de loi Energie et Climat

Il appartient désormais à la Commission de régulation de l'énergie de faire une proposition tarifaire. Le gouvernement disposera ensuite de trois mois pour la valider ou la refuser. En cas de rejet, "il doit motiver son refus par des raisons techniques, économiques et juridiques", précise à l'AFP une porte-parole de la CRE.

Relever le plafond de l'Arenh – ce dispositif qui permet aux concurrents d'EDF de lui acheter une quantité plafonnée d'électricité nucléaire à un prix fixe – serait une solution, estime Nicolas Goldberg, du cabinet Colombus Consulting. Cela permettrait aux fournisseurs alternatifs d'acquérir davantage d'électricité, mais cela pénaliserait aussi EDF, juge l'expert. Car l'électricien historique vendrait certes plus d'électricité, mais le prix de vente de celle-ci ne serait pas revu à la hausse. Sans révision du mode de calcul des tarifs réglementés, cela reviendrait à donner un avantage commercial encore plus grand à ses concurrents, puisque les tarifs réglementés leur permettent toujours de continuer à proposer leur courant à des prix inférieurs à ceux d'EDF.

Nicolas Goldberg envisage donc une autre solution avec "un travail en profondeur" : la révision complète du mode de calcul. "A partir du moment où on revoit la formule, on peut tout faire, tout dépend de la volonté politique qu'il y a derrière."

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