Les rues sont quasiment désertes. En cette fin d'après-midi du lundi 17 juillet, la chaleur accable la petite commune de Leudeville (Essonne), située à une trentaine de kilomètres au sud de Paris. Seuls Monsieur le maire et son assistante s'affairent dans la minuscule mairie, qui fait face à l'Eglise. Il est 17 heures. Quelques instants plus tôt, Emmanuel Macron s'est exprimé à la Conférence nationale des territoires, au Sénat. Le président de la République l'a redit : la taxe d'habitation sera bien supprimée. "Il accroît l'injustice entre les inégalités territoriales, donc ce n'est pas un bon impôt", a-t-il martelé. Si Jean-Pierre Lecomte, l'édile de Leudeville, n'a pas suivi la conférence du chef de l'Etat, il a bien pris la mesure de ce qui est en train de se passer. Ce maire sans étiquette, qui confie avoir "un budget très serré" et a perdu depuis 2014 "les 2/3 des dotations de l'Etat", a beaucoup "d'interrogations" sur cette fameuse suppression de la taxe d'habitation. Il n'est pas le seul. Franceinfo est allé à la rencontre de trois maires, tous très inquiets de cette mesure qui touchera 80% des ménages français à l'horizon 2020. La taxe d'habitation, ressource majeure pour les mairesJean-Pierre Lecomte a les chiffres bien en tête. Dans sa commune de 1 450 administrés, le maire de Leudeville gère un budget de deux millions d'euros par an, "avec beaucoup de vigilance", tient-il à préciser. Sur ces deux millions d'euros, la taxe d'habitation représente 344 000 euros, soit environ 15% de son budget total. "Ça me sert à l'équipement, au fonctionnement de la commune, à l'éclairage public, à la cantine scolaire, aux subventions de 17 associations...", détaille-t-il. S'il reconnaît volontiers que la taxe d'habitation est "l'un des impôts les plus injustes", il aurait préféré, comme l'ont proposé certains membres des Républicains, la transformer, la moderniser plutôt que de la supprimer. "Ma première interrogation, c'est de connaître cette fameuse compensation", déclare-t-il. Je sais que je vais perdre 340 000 euros. La question, c'est combien vais-je en retrouver ? Jean-Pierre Lecomte, maire de Leudevilleà franceinfoDans des villes plus importantes, la problématique est la même. A Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), ville dynamique de 45 000 habitants connue pour accueillir le plus grand centre commercial du département, le maire Les Républicains, Claude Capillon, a lui aussi fait les comptes. "J'ai 90 millions d'euros de budget et la taxe d'habitation en représente environ 20 millions. C'est primordial. Avec la taxe foncière, c'est la moitié de nos ressources", explique-t-il. Contrairement à son collègue de l'Essonne, lui est beaucoup plus sceptique sur la promesse de compensation de l'Etat, dont on ne sait quelle forme elle prendra. "A chaque fois qu'il y a eu des changements, l'Etat a toujours dit qu'il y aurait une compensation à l'euro près et ça ne s'est jamais vu", assure-t-il. "Si je prends la taxe d'habitation, imaginons qu'ils prennent comme base l'année 2016, ils vont me rembourser 20,2 millions. Mais moi, en 2017, la taxe d'habitation m'a rapporté 20,7 millions, il y aura donc déjà 500 000 euros de moins". Le maire de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Claude Capillon, le 17 juin 2017. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO) La situation est encore plus compliquée dans les communes fortement endettées, pour lesquelles les marges de manœuvre sont très étroites. Si Gournay-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) affiche une vraie tranquillité avec ses nombreux espaces verts et ses petits pavillons, la situation financière de la ville est, selon les mots du maire, "compliquée". La taxe d'habitation de cette commune de 6 800 âmes représente cinq millions d'euros, dans un budget de 11,8 millions. Le maire, Eric Schlegel, ne croit pas non plus à la compensation "à l'euro près". "On sait tous que l'Etat ne tiendra pas ses engagements financiers", dit-il, plein d'amertume. "Je le vis très très mal, je n'apprécie pas d'être sous tutelle"Plus que de l'amertume, on sent aussi beaucoup de colère chez Eric Schlegel, étiqueté divers droite. "Je le vis très très mal, je n'apprécie pas d'être sous tutelle", affirme-t-il, dénonçant "une marche arrière extraordinaire" où la commune se voit privée de son droit de lever l'impôt. Je suis très en colère. On est en face d'un recentrage du pouvoir.Eric Schlegel, maire de Gournay-sur-Marne (Seine-Saint-Denis)à franceinfoCelui qui est aussi chef d'établissement en veut beaucoup à l'Etat de "ne pas aller voir du côté des nouveaux territoires". On crée des unités qui nécessitent des élus, du personnel, des locaux, on rajoute des strates et après, on vient nous faire la leçon sur le mode 'on va vous apprendre à gérer vos affaires'". Le maire de Gournay-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), Eric Schlegel, le 18 juillet 2017. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO) "On est à la merci du bon vouloir de l'Etat. C'est une vraie perte d'autonomie", renchérit le maire de Rosny-sous-Bois. "On est en train de tuer le maire", appuie son directeur de cabinet. "Demain, si cette réforme passe, ce ne sont plus des postes que je vais supprimer, mais des services", lance Claude Capillon. "Ça va être la préoccupation de la fin de l'année"Justement, comment les maires anticipent-ils cette suppression, puis cette compensation par l'Etat ? Beaucoup attendent d'avoir plus de précisions pour se prononcer. "Je ne sais pas quel sera l'impact dans ma ville", avoue le maire de Gournay-sur-Marne. "Il va falloir réunir les élus. Il faudra aussi l'expliquer aux habitants, ce sera sans doute l'un des thèmes de la rentrée lors des réunions de quartier", explique Claude Capillon, qui pense néanmoins tout haut sur de possibles économies à venir. Sur quels secteurs on joue ? Est-ce que l'on ferme l'école d'arts plastiques, est-ce que l'on ferme le cinéma municipal ?Claude Capillon, maire de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis)à franceinfoA Leudeville, le maire commence lui déjà à "vaguement réfléchir" aux conséquences d'une compensation insuffisante de cette suppression de la taxe d'habitation. "Je voudrais faire un gymnase. Je savais que ce ne serait pas possible sous cette mandature, mais je voulais le faire à la prochaine. Mais, là, ce sera plus compliqué", soupire-t-il. Le maire de Leudeville (Essonne), Jean-Pierre Lecomte, le 17 juin 2017. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO) "Si ce n'est pas une compensation à l'euro près, il faudra faire des économies, soit sur le personnel, soir sur le fonctionnement de la commune. Après, il y a aussi la question de l'augmentation de la taxe foncière", dit-il, même si ce dernier n'y songe pas tellement, après des augmentations de cet impôt déjà survenues récemment au niveau de l'intercommunalité puis du département. Jean-Pierre Lecomte se prépare à passer un été studieux, à surveiller les annonces de l'Etat sur le sujet. "Dans ma fonction de maire, ce sera la préoccupation de la fin de l'année", conclut-il.