Fiscalité, chômage : le gouvernement pris au piège des annonces
De la pause fiscale à la baisse du chômage, l'exécutif a affiché en début de quinquennat des objectifs ambitieux. Qui le mettent aujourd'hui en difficulté.
Jean-Marc Ayrault l'avait promis : "Neuf Français sur dix ne [seraient] pas concernés par les augmentations de fiscalité" entrant en vigueur en 2013. Et puis l'avis d'imposition est arrivé dans la boîte aux lettres, et certains ont vu rouge : selon des chiffres diffusés par Bercy et cités par Le Monde et Libération (édition abonnés) jeudi 26 septembre, 44% des foyers fiscaux ont vu leurs impôts augmenter en 2013. Soit plutôt un Français sur deux qu'un Français sur dix.
Des chiffres qui mettent le gouvernement dans l'embarras
Un revers pour le Premier ministre ? Pas si simple : en réalité, la hausse des impôts sur le revenu qui touche beaucoup de ménages n'est pas imputable qu'à la politique fiscale du gouvernement. Augmentation des revenus, changement de structure du foyer... Beaucoup "payent" ainsi en partie l'évolution de leur propre situation.
Mais les explications ont beau être données, le mal est fait : les deux chiffres mis côte à côte font un effet désastreux. Et menacent de saper encore un peu plus le discours sur la fameuse "pause fiscale" promise aux Français. Celle-ci semble d'ailleurs sans cesse reculée : d'abord évoquée pour 2014, elle est ensuite annoncée comme "effective en 2015" et finit par être promise... jusqu'en 2017 par Bernard Cazeneuve, ministre du Budget.
Entre cafouillage et surenchère, l'épisode fait les choux gras de l'opposition qui dénonce une "décrédibilisation de la parole politique", à l'instar de Gilles Carrez, président UMP de la commission des Finances de l'Assemblée. Contacté par francetv info, celui-ci raconte : "Quand j'ai entendu Ayrault [parler des neuf Français sur dix] à la télévision, en septembre dernier, j'ai failli appeler son cabinet pour leur dire : 'vous avez besoin d'un coach !'", explique le député, pour lequel le gouvernement a fait preuve d'une erreur de jugement grossière.
"La promesse formulée par Jean-Marc Ayrault n'était pas tenable"
Faute politique ou erreur de com' ? Pour Claude Posternak, président de l'agence de communication La Matrice, la distinction n'a pas lieu d'être. "La communication politique, c'est de la politique", résume l'ancien conseiller en communication de Martine Aubry. Pour lui, l'erreur du gouvernement a d'abord été sur le fond. "Lorsqu'il est arrivé au pouvoir, le gouvernement n'a pas mesuré l'ampleur de la crise et des efforts à fournir. La promesse formulée par Jean-Marc Ayrault n'était pas tenable à ce moment-là."
Mis à mal sur la fiscalité, le gouvernement pourrait se consoler avec les nouvelles venues d'un autre front : l'emploi. Le nombre de chômeurs a connu au mois d'août une chute aussi spectaculaire qu'inespérée, avec 50 000 demandeurs d'emploi en moins. Sauf que cette baisse apparaît, à court terme, tout sauf pérenne : elle s'explique avant tout par une augmentation brutale des "cessations d'inscription pour défaut d'actualisation". C'est-à-dire des chômeurs sortis de listes mais pas forcément de retour sur le marché de l'emploi.
L'objectif chiffré, nécessaire mais pas suffisant
Résultat : loin de pouvoir crier victoire, le gouvernement doit tempérer les ardeurs des commentateurs. "Je ne dirai pas que c'est l'inversion de la courbe du chômage", promise par François Hollande pour la fin de l'année, a ainsi commenté Michel Sapin, sur RTL. Très prudent, le ministre du Travail a rappelé qu'une telle inversion se mesurait "sur plusieurs mois d'affilée". Un comble.
Mais le gouvernement fait ici preuve de lucidité. "Ils restent prudents parce qu'ils savent très bien que le chômage risque d'augmenter à nouveau en septembre", souligne Claude Posternak. Etant donné la volatilité de ces chiffres, le gouvernement aurait-il dû s'abstenir ? Non, répond le communicant. "Les politiques, comme tous les responsables, doivent rendre des comptes. Le fait que les engagements soient chiffrés est plutôt une très bonne chose."
Pour lui comme pour l'opposition, le problème n'est pas tant sur l'affichage des objectifs que sur la tangibilité des efforts fournis pour les atteindre. "Ce que veulent les Français, ce sont des engagements sur des réalités", explique Claude Posternak. "Concrètement, qu'est-ce qui est mis en place pour faire baisser le chômage ?"
Une pédagogie à revoir ?
Sur ce point, il y a, pour le communicant, une lacune au sommet de l'Etat. "Aujourd'hui, le président de la République peine à mettre des mots sur son action, et ce alors que les Français sont en demande de pédagogie. Comme il faut tout de même fixer un cap, il y a un glissement des mots vers les chiffres. Et quand les chiffres ne sont pas bons, ça coince..."
Un déficit de pédagogie dont le chef de l'Etat connaît pourtant bien les risques. Réputé pour vouloir assurer lui-même sa communication, au risque de court-circuiter ses équipes, François Hollande a un jour confié à Denis Pingaud, spécialiste de la communication politique et auteur de L'homme sans com' (Editions du Seuil) : "La mauvaise politique donne rarement de la bonne communication. Une bonne politique peut être néanmoins gâchée par une mauvaise communication." Un cycle infernal dont le gouvernement peine à se dégager.
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