Effectifs en baisse, agressions… Pourquoi les pompiers en ont-ils "ras le bol" ?
Les soldats du feu ont manifesté en nombre, mardi, à Paris. Une mobilisation marquée par plusieurs affrontements avec les forces de l'ordre. Franceinfo revient sur les raisons qui ont poussé les pompiers à descendre dans la rue.
Un ras-le-bol généralisé. Des milliers de pompiers professionnels "en colère" ont défilé, mardi 15 octobre, à Paris, pour dénoncer le manque d'effectifs et de reconnaissance de leur profession, lors d'une manifestation nationale qui s'est conclue par des échauffourées avec les forces de l'ordre. La marche a réuni entre 7 000 et 10 000 personnes, selon les neuf syndicats de la profession, qui avaient tous appelé à la mobilisation. Les images d'affrontements entre policiers et soldats du feu ont fait le tour des réseaux sociaux et suscité de nombreuses réactions des politiques. Quelles sont les causes de cette colère ? Franceinfo fait le point.
Que réclament les pompiers ?
Les revendications des pompiers restent constantes depuis le début de leur mobilisation fin juin : la lutte contre la "sursollicitation" (les missions qui ne relèvent pas de l'urgence et du cœur de métier des pompiers), une revalorisation de la prime de feu (28% du salaire de base, contre 19% actuellement) à hauteur des primes de risque accordées aux policiers et gendarmes, et des solutions contre les agressions dont ils sont victimes.
Les soldats du feu dénoncent également des effectifs en diminution. "Il y a une baisse des effectifs préoccupante alors qu'on est débordés par le nombre d'interventions. On nous demande tout, y compris de remplacer des ambulances. A un moment donné, on ne va plus y arriver", explique à l'AFP Mathias Gosse, 53 ans, pompier à Grasse (Alpes-Maritimes), "monté" mardi à Paris. "Et en plus, on menace notre régime de retraite qui nous permet de partir à 57 ans (avec 42 annuités)", ajoute-t-il.
Julien, pompier en Dordogne, explique à franceinfo que le fonctionnement de sa caserne est devenu très problématique au quotidien.
On n'a pas assez de pompiers professionnels dans les casernes, on est obligés de solliciter des pompiers volontaires. Les délais s'allongent et les réponses opérationnelles ne sont pas adéquates.
Julien, pompier en Dordogneà franceinfo
L'un de ses collègues déplore, lui, le manque de reconnaissance. "Toute la fonction publique est laissée à l’abandon, que cela soit les sapeurs-pompiers, la police, l’hôpital… Aujourd’hui, on est là pour sauver le peu de services qu'il nous reste en France."
Comment se sont-ils mobilisés jusqu'à présent ?
Depuis le mois de mars, les sapeurs-pompiers ont posé leurs revendications. Mais c'est trois mois plus tard que la mobilisation s'est concrétisée. Sept des neuf syndicats de pompiers professionnels ont ainsi appelé à la grève à partir du 26 juin et jusqu'au 31 août. Objectif : exprimer leur "ras-le-bol" face à un Etat qui, selon eux, les "laisse démunis face à la multiplication des interventions et parfois des agressions", et lui réclamer plus de moyens ainsi qu'une revalorisation salariale. Selon les organisations syndicales, la grève a été suivie ces derniers mois dans 90% des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis). Devant l'Assemblée nationale, cet été, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a, lui, avancé un chiffre de "5%" de grévistes.
Face à l'absence de réponse du gouvernement, les pompiers ont décidé, le 29 août, de prolonger leur grève de deux mois jusqu'à fin octobre, à l'appel de sept syndicats. Mais le service minimum continue d'être assuré, comme lors des deux mois précédents. La grève n'a jusqu'ici pas empêché les interventions et s'est surtout traduite par des banderoles sur les casernes, des inscriptions sur les engins, et le port de tee-shirts et de brassards chez les pompiers grévistes.
Les pompiers se joignent aussi aux mobilisations du personnel hospitalier dans le cadre de la grève des urgences. Le 11 septembre, ils étaient ainsi quelques centaines à manifester à Paris à l'appel de la CGT. Quelques jours plus tard, le 29 septembre, la profession s'est réunie à l'occasion de son 126e congrès national à Vannes (Morbihan), clôturé par Christophe Castaner. Sans que cela débouche sur des solutions. Les pompiers ont été "déçus" que le ministre n'apporte guère d'"annonces concrètes en réponse à des attentes vieilles de plus de quinze ans", souligne ainsi la Fédération nationale des sapeurs-pompiers (FNSPF), qui représente les 247 000 sapeurs-pompiers de France.
Pourquoi sont-ils descendus dans la rue mardi ?
"Aujourd'hui, nous sommes dans une forme de ras-le-bol", a prévenu sur franceinfo Grégory Allione, président de la FNSPF, à quelques heures de la manifestation nationale de mardi. "Nous allons manifester car ni le gouvernement, ni les collectivités locales qui financent les services départementaux d'incendie et de secours n'ont répondu à nos attentes", a expliqué à l'AFP André Goretti, président fédéral de la FA/SPP-PATS, premier des neuf syndicats de pompiers professionnels.
Au son des sifflets et des sirènes, vêtus de leurs tenues bleu marine à bandes jaunes fluorescentes, les pompiers professionnels – qui représentent 16% des 247 000 pompiers français – ont défilé en brandissant notamment des pancartes clamant "Faire plus avec moins, bienvenue chez les pompiers" ou "Stop au mépris du politique".
Quelques tensions ont émaillé la marche, notamment après l'arrivée du cortège place de la Nation, où les forces de l'ordre ont usé de gaz lacrymogène et de lanceurs d'eau pour disperser les manifestants. Parmi ces derniers, certains sont descendus sur le périphérique parisien à hauteur de la porte de Vincennes, où ils ont brièvement perturbé la circulation.
Canons à eau et gazs lacrymogènesanons pour disperser les #pompiers réunis devant l'Assemblée nationale. #Paris @franceinfo pic.twitter.com/JthlMXpIy0
— Josselin Debraux (@jdebraux) October 15, 2019
Plusieurs dizaines d'autres pompiers se sont rassemblés devant l'Assemblée nationale, où ils ont été dispersés en fin de journée après plusieurs heures de face-à-face tendu avec les forces de l'ordre. La préfecture de police a dénoncé "l'irresponsabilité de certains manifestants" qui ont maintenu des actions "en dépit des ordres de dispersion". Trois membres des forces de l'ordre ont été blessés et six manifestants interpellés pour violences ou jets de projectiles, selon la préfecture de police.
Que répond le gouvernement ?
Interrogé mardi lors de la séance de questions au gouvernement, le secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Laurent Nuñez, a assuré que les problèmes des sapeurs-pompiers étaient pris à "bras le corps" par le gouvernement. Il a annoncé l'expérimentation d'un "numéro unique" d'urgence – le 112 – qui permettrait de mieux orienter les appels.
Le Gouvernement est à l’écoute des sapeurs-pompiers et échange en permanence avec leurs organisations représentatives.
— Laurent Nunez (@NunezLaurent) October 15, 2019
Qu’il s’agisse du secours aux personnes, du numéro unique d’appel ou de leurs missions, nous dialoguons et travaillons ensemble dans un climat constructif. pic.twitter.com/8uMPhojYMK
Une délégation syndicale a également été reçue mardi après-midi au ministère de l'Intérieur. Qu'en est-il ressorti ? "Rien de positif, assure à franceinfo André Goretti, président fédéral de la FA/SPP-PATS. Des réunions techniques ont été avancées, sans en connaître les dates." L'expérimentation du numéro unique ne le satisfait pas non plus. "C'est une promesse qui remonte à quelques années. (…) Nous sommes toujours dans la même configuration : une proposition de système d'alerte unique et un numéro unique qui n'est toujours pas mis en application", déplore-t-il.
Résultat : l'intersyndicale a décidé de poursuivre le mouvement de grève "jusqu'au 31 décembre a minima", dixit André Goretti. "On est dans une problématique de mépris de la part du gouvernement. Nous avons posé nos revendications depuis le mois de mars, nous sommes entrés en mouvement social à partir de fin juin et après ces trois mois de grève, nous n'avons toujours pas obtenu de véritable réunion qui aurait pu conduire à échanger sur nos revendications", conclut-il.
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