Niort et La Rochelle se battent pour accueillir Ikea
Le géant suédois compte installer un magasin en Poitou-Charentes. Les deux villes sont en course pour l'accueillir. Retour sur un duel qui illustre l'importance d'une telle implantation pour les villes moyennes.
"A ce jour, il n’existe pas de point de vente Ikea entre Nantes et Bordeaux. Nous réfléchissons à une implantation dans cette région de l'ouest", indique le géant suédois à francetv info. Les candidats sont déjà nombreux : Saintes, la communauté de communes Aunis Atlantique, Saint-Jean-d'Angély, La Rochelle (Charente-Maritime) et Niort (Deux-Sèvres). Nul ne sait encore quand l'enseigne prendra sa décision, mais les deux dernières villes font figure de favorites. Un nouveau dossier de compétition économique local, alors que le siège du Crédit agricole de Niort doit déménager près de La Rochelle. Ou comment l'arrivée d'un grand magasin devient un enjeu régional.
"Je rêve de voir un Ikea dans ma ville de cœur"
Ikea a la particularité de compter une clientèle captive, jeune et très attachée à la marque. La Rochelaise Amanda Bronscheer peut ainsi rouler pendant une heure et demie pour se rendre à Nantes, où est situé le magasin Ikea le plus proche. Il y a 18 mois, cette blogueuse mode et design crée donc, sur Facebook, un groupe de soutien à la création d'un Ikea à La Rochelle. "Comme je suis pas mal attachée à La Rochelle, ça me ferait plaisir." Sur sa page, les slogans utilisés par les fans sont les mêmes qu’au rugby. "On en joue forcément sur les pages." Et si Niort l’emporte ? Tant pis, "je leur laisserai les embouteillages".
En face, Florian Bouchée, 24 ans, employé dans les télécoms, veut montrer qu'il "n'y a pas que La Rochelle et Poitiers dans la région". Il a lancé son groupe "Pour un Ikea à Niort" le 1er janvier, après en avoir parlé avec le maire sur Twitter. "Quand on dit qu’on vient de Niort, les gens ne connaissent pas toujours. Je rêve de voir un Ikea dans ma ville de cœur, pour donner de la visibilité régionale à l’agglomération." En affichant un tel soutien sur les réseaux, il espère infléchir la position du géant. Même un tout petit peu.
"Moi aussi j'ai tweeté et liké", sourit Philippe Dutruc, président de la chambre de commerce et d'industrie des Deux-Sèvres. Il y a trois mois, pourtant, des rumeurs ont annoncé la victoire de La Rochelle. "Je me demande si ce n'est pas une fuite organisée là-bas, pour cristalliser les réactions des élus." Aujourd'hui, il fourbit ses armes dans ce duel régional. "Choisir la zone de chalandise de La Rochelle serait un non-sens, car cette zone de population est en fait gonflée par le nombre de touristes, qui ne sont pas des clients potentiels. Pour en obtenir davantage, il faut s'éloigner un peu des côtes."
En période de discussions, les maires font profil bas
Après s'être installé dans les grandes villes françaises, le géant suédois s'attaque aux villes moyennes depuis quelques années. "Nous souhaitons être implantés à moins d’une heure de route pour 80% des français", précise le groupe à francetv info. Peu de collectivités refusent de l'accueillir. "On retrouve une logique de concurrence entre les villes, explique Solène Gaudin, géographe spécialiste de l'aménagement. En effet, un tel magasin génère au moins 200 emplois directs et plusieurs milliers d'emplois indirects, pour la construction et le développement commercial alentour." Le nouveau magasin de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), par exemple, propose 200 postes depuis le 1er janvier. Le groupe se défend de telles intentions : "nous ne mettons jamais en concurrence deux villes, ou territoires".
Pourtant, les élus espèrent ainsi doper l'image de leur ville et bénéficier de l'arrivée de consommateurs sur leur territoire. En 2009, l'Observatoire de l'économie et des territoires de Touraine a tiré des conclusions positives après l'implantation d'un Ikea à Tours : 35% des clients du magasin n'étaient jamais venus dans l'agglomération auparavant. "On est ici dans le marketing urbain, poursuit Solène Gaudin. Les villes souhaitent entrer dans un club des grandes métropoles. A une échelle moindre, c'est un peu comme les JO."
Consciente de l'enjeu, la mairie de Niort reste discrète. "Nous sommes bien évidemment intéressés par la venue d’Ikea sur le territoire, résume Rodolphe Robuchon, directeur de cabinet du maire UDI Jérôme Baloge. Mais nous respectons le temps nécessaire à l'enseigne pour réaliser ses études." A La Rochelle, même discrétion. Le maire divers gauche Jean-François Fountaine, également président de la communauté d'agglomération, confirme simplement que des échanges sont en cours. Entre-temps, la chambre de commerce et d'industrie a donné son feu vert, car elle estime qu'une telle implantation ne bouleversera pas le tissu économique local.
Une concurrence politique plutôt qu'économique
Un connaisseur du dossier nuance cette rivalité. "Je ne suis pas sûr qu'il y ait une réelle concurrence entre les zones de chalandise, le bassin de clients est le même entre les deux." Malgré toute leur bonne volonté, le rôle des élus reste d'ailleurs limité, car Ikea raisonne toujours de la même manière. Il faut que le site dispose "d'une masse critique d’un million d’habitants qui peuvent accéder au site en une heure de voiture". Un critère important, alors que Niort et La Rochelle ne sont distantes que de 60 kilomètres. La préfecture de Charente-Maritime dispose d'un bassin d'habitants plus élevé : 74 000 habitants dans la ville et 162 000 dans l'agglomération, contre 57 000 dans la ville de Niort et 117 000 pour son agglomération. Mais celle-ci bénéficie du croisement des autoroutes A83 et A10. Un sacré avantage.
D'autres éléments pèsent dans la balance, comme l'accueil réservé au projet. La chambre de commerce et d’industrie de La Rochelle va lancer une étude sur la revitalisation du centre-bourg d’Angoulins, lancée mardi 6 janvier, pour sonder les habitants de cette ville de la périphérie rochelaise sur le projet Ikea. Comme le signale Sud Ouest, ce choix mécontente d'ailleurs les habitants de la zone des Cottes-Mailles, sur la commune voisine d'Aytré, eux aussi intéressés par le projet. Rien de surprenant, selon Solène Gaudin, puisque les phénomènes de concurrence entre les territoires ont souvent lieu au niveau local, entre des villes périphériques.
Enfin, le géant suédois est très attentif au prix du foncier, car son modèle lui interdit de bâtir des magasins dont la superficie serait inférieure à 30 000 m2, sans compter le parking et le stockage. Certaines collectivités décident d’aménager des accès routiers avec Ikea, comme à Rennes. Mais tout ceci, bien sûr, se déroule dans le secret des négociations.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.