Interdire les parachutes dorés : la Suisse l'a fait, pourquoi pas la France ?
La décision de nos voisins helvètes met en lumière les hésitations françaises au sujet des rémunérations excessives de certains dirigeants.
A chaque scandale, le débat ressurgit : comment encadrer les rémunérations indécentes des patrons des grandes entreprises ? Echaudés par le cas du PDG du laboratoire pharmaceutique Novartis, qui lorgnait un parachute doré de 60 millions d'euros auquel il a finalement dû renoncer, les Suisses se sont prononcés dans les urnes, dimanche 3 mars, pour un contrôle très strict de ces rémunérations.
Une fois le texte définitivement adopté, certaines d'entre elles (indemnités de départ ou primes pour des achats d'entreprises) seront carrément interdites. Le montant des rémunérations des dirigeants sera fixé par l'assemblée générale des actionnaires. Et pour les récalcitrants, les sanctions pourront aller d'une amende de six ans de revenus à trois ans de prison.
La décision des Suisses, dans un pays peu suspect de vouloir "casser du riche", met en lumière les hésitations françaises sur ce sujet. Francetv info revient sur les raisons pour lesquelles les rémunérations, à l'exception du secteur public, restent peu encadrées en France.
1Parce que Nicolas Sarkozy n'a pas tenu sa promesse
En 2007, il s'était en effet engagé à interdire "la pratique détestable des golden-parachutes". Une promesse restée lettre morte au bout de cinq années de pouvoir, à tel point que pendant la campagne de 2012, le président sortant a réitéré sa proposition : "Il faut interdire les retraites chapeaux et les parachutes dorés", a-t-il martelé sur le plateau de France 2.
La proposition ne figurait pas dans le programme de François Hollande. Mais le candidat du PS, dans son engagement numéro 26, promettait d'imposer "aux dirigeants des entreprises publiques un écart maximal de rémunérations de 1 à 20". Ce qui est chose faite depuis un décret adopté fin juillet.
2Parce que le gouvernement temporise
La votation suisse a suscité les applaudissements du Front de gauche, du Front national, du Parti socialiste, et même de Jean-Marc Ayrault, qui y a vu "une excellente expérience démocratique". "Les Suisses souvent nous montrent la voie et, personnellement, je pense qu'il faut s'en inspirer", a estimé le Premier ministre. Sans dire quand, et encore moins de quelle manière.
Interrogé sur RTL un peu plus tôt, le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, s'était d'ailleurs montré moins emballé sur une éventuelle transposition en France de l'initiative suisse : "On va peut-être attendre quelques leçons", a-t-il dit dans un sourire, tout en concédant "regarder ce genre de décisions avec intérêt".
Depuis le début du quinquennat de François Hollande, seule une taxation accrue des parachutes dorés a été votée. Les indemnités de rupture sont désormais assujetties aux cotisations sociales dès qu'elles dépassent 364 000 euros, contre 1,1 million auparavant.
Paru en février, un rapport parlementaire préconise (entre autres) l'interdiction des retraites chapeaux et un plus grand contrôle de la part des actionnaires. Le gouvernement devrait présenter avant l'été un texte au Parlement sur la gouvernance des entreprises, mais l'exécutif n'a pas laissé filtrer son contenu. Seule évolution acquise : la présence de représentants des salariés dans les conseils d'administration, mesure incluse dans le projet de loi sur l'emploi présenté mercredi en Conseil des ministres.
Quant à l'accord trouvé au niveau européen pour limiter le montant des bonus à celui de la rémunération fixe, également mis en avant par Pierre Moscovici, il ne concerne que les dirigeants des banques.
3Parce que l'efficacité de la mesure n'est pas certaine
Malgré le texte adopté en Suisse, "si une entreprise veut verser 25 millions à un haut dirigeant, elle trouvera toujours le moyen de le faire", pronostique Rolf Soiron, président du cimentier Holcim et de la société de biotechnologie Lonza, cité par Reuters.
Par ailleurs, confier aux actionnaires le soin de fixer les rémunérations des dirigeants n'offre pas une garantie totale contre les abus. Retraites chapeaux, parachutes dorés et autres stock-options doivent déjà, selon la législation actuelle, obtenir l'assentiment des actionnaires, ce qui, de Vivendi à Valeo, en passant par Carrefour ou Vinci, n'a pas empêché les scandales ces dernières années.
Dans quelques cas récents (Air France, Safran), les actionnaires ont certes refusé l'octroi d'un parachute doré à leur dirigeant sur le départ. Mais ces décisions ne sont pas révélatrices d'un mouvement général : elles ont été prises sous l'impulsion de l'Etat, actionnaire minoritaire de ces entreprises.
Certains soulignent d'ailleurs que le "printemps des actionnaires", qui a fait souffler l'an dernier un vent de panique chez les dirigeants américains et britanniques, inquiets pour leurs bonus, n'a pas fait tache d'huile en France.
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