Fin du télétravail chez Amazon : les entreprises françaises vont-elles exiger un retour à temps plein au bureau ?

Article rédigé par Thomas Destelle
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un homme pratique le télétravail depuis son domicile. Photo d'illustration. (LOIC VENANCE / AFP)
La multinationale américaine a annoncé lundi à ses salariés administratifs qu'ils devraient revenir au bureau et arrêter le télétravail. Un tel retour en arrière est-il possible en France ?

Le télétravail est-il menacé en France ? Si les entreprises françaises s'inspirent du géant Amazon, les salariés habitués au travail à domicile peuvent le craindre. L'entreprise américaine a indiqué, lundi 16 septembre, à ses employés des services administratifs qu'ils devraient retourner à plein temps au bureau.

Un retour à la situation d'avant le Covid-19 ne devrait pas se reproduire en France, selon Benoît Serre, le vice-président délégué de l'Association nationale des DRH (ANDRH). Cependant, les entreprises françaises n'hésitent pas à faire marche arrière et mettent des limites au télétravail. "Il s'agit de réguler les occasions de distance, non pas pour les interdire, mais pour empêcher que ce soit à tout moment", explique le vice-président délégué de l'ANDRH.

franceinfo : Amazon annonce vouloir mettre fin au télétravail, est-ce que cela vous étonne ?

Benoît Serre : Oui et non. Les entreprises aux États-Unis, notamment de la tech, avaient considérablement promu le "full télétravail", le télétravail à plein temps, au moment du Covid. Certains d'entre eux disaient même que les gens allaient pouvoir se mettre où ils veulent, etc. Donc d'une certaine manière, c'est un peu un retour à l'envoyeur parce qu'on savait que ça ne fonctionnerait pas.

En France, vous avez très peu d'entreprises qui revendiquent un télétravail à plein temps parce que cela a des effets assez néfastes sur le fonctionnement de l'organisation et je ne suis pas convaincu que les gens y soient si attachés. Donc je ne suis pas très étonné par ces mouvements dans les entreprises aux États-Unis.

Après, il faut comprendre qu'Amazon est une entreprise où une partie des collaborateurs ont été en "full télétravail" alors que ses entrepôts, par définition, ne le sont pas. J'imagine donc que ce n'est pas illogique qu'Amazon se soit rendu compte qu'il y avait quand même une sorte de curiosité d'un point de vue du management à avoir une partie des collaborateurs obligés d'être présents dans des plateformes de distribution et toute une autre partie qui finalement ne venait jamais.

Est-ce qu'en France des entreprises veulent revenir sur le télétravail ?

En France, il n'y a pas de mouvement de retour, c'est davantage un mouvement d'organisation. Il ne faut pas perdre de vue que la France était un pays où il y avait assez peu de télétravailleurs avant la crise du Covid. La pandémie a fait que le télétravail est arrivé de manière massive et d'une façon assez désordonnée. On a donc plus ou moins organisé rapidement les choses, et puis elles se sont installées.

Maintenant qu'on est sorti de cette crise et qu'on a acquis, d'une certaine manière, une forme d'expérience, les défauts et les qualités du télétravail apparaissent dans les organisations. Par conséquent, les entreprises sont plutôt en train de l'organiser, de le structurer, et donc de le rendre un peu moins "open bar", sans limite, avec des salariés qui viennent quand ils veulent. D'ailleurs, c'est la meilleure manière de faire pour que le télétravail subsiste.

"Si on continue à garder un télétravail sans organisation, où chacun fait ce qu'il veut, il va disparaître. L'organisation de l'entreprise nécessite quand même que les gens se voient et se parlent."

Benoît Serre, vice-président délégué de l'ANDRH

à franceinfo


Quelles sont les limites que les entreprises veulent mettre au télétravail ?

Ce que les entreprises mettent souvent en place, c'est de définir certains moments de la vie de l'entreprise qui nécessitent la présence physique. Ensuite, il y a une limitation du nombre de jours - deux jours par semaine généralement - et une fixation des règles de validation. Autrement dit, ne plus permettre que le salarié puisse décider tout seul de ne pas venir un matin parce qu'il a regardé son agenda et qu'il ne voit pas la nécessité de venir. Et puis, vous avez des entreprises, par exemple, qui ont des comités de direction, des réunions de service, ou des entretiens annuels qui ne peuvent pas se faire à distance. D'une certaine manière, il s'agit de réguler les occasions de distance, non pas pour les interdire, mais pour empêcher que ce soit à tout moment.

Ces limites ne risquent-elles pas d'être en contradiction avec les besoins et les envies des salariés ?

C'est toujours un peu le même problème. Je crois, et j'observe, que l'aspiration profonde des gens, est d'avoir des modèles un peu moins hiérarchiques et d'avoir un peu plus de grande liberté d'organisation dans leur travail.

Il s'avère que le télétravail est une des voies, mais il n'y a pas que cette voie-là. Vous avez aussi une plus grande liberté d'organisation lorsqu'on vous fait plus confiance, que vous êtes moins dans des régimes de contrôle, etc. C'est la véritable aspiration auquel il faut répondre, c'est une certitude.

"Le souhait d'une plus grande liberté d'organisation pour le moment passe par le télétravail mais, si ça doit s'installer durablement, cela passe sans doute par une révision du modèle de management qui, notamment en France, sont des modèles très fondés sur le présentéisme."

Benoît Serre, vice-président délégué de l'ANDRH

à franceinfo

On donne de la valeur à la présence. Or, quand on a étudié le fait de savoir si le télétravail dégrade ou renforce la productivité de l'individu, on s'est rendu compte qu'au final, ça ne l'a pas tellement changé. Pour une raison simple, celui qui est peu motivé ou peu actif dans son activité professionnelle lorsqu'il est au bureau ne le sera pas plus quand il est à distance. Celui qui est plutôt motivé et actif dans son activité professionnelle dans l'entreprise l'est tout autant à distance ou en présence.

Comment une direction peut-elle revenir sur le télétravail mis en place dans l'entreprise ?

Cela dépend des conditions dans lesquelles elle a installé le télétravail. En France, vous avez deux manières de l'installer. Vous pouvez tout d'abord passer par un accord avec les partenaires sociaux. C'est le cas dans beaucoup d'entreprises. D'ailleurs, on entend beaucoup parler du télétravail en ce moment car il s'agit d'accords triennaux qui ont souvent été négociés en 2020-2021 et qu'ils arrivent à échéance.

Sinon l'entreprise a installé le télétravail par charte, c'est-à-dire sans négociation. Dans ce cas, elle peut le changer de la même manière, donc sans négociation. Beaucoup d'entreprises ont plutôt choisi d'avoir un dialogue social, et c'est heureux.

Le salarié peut-il refuser ces nouvelles règles de télétravail ?

C'est difficile parce que le télétravail, depuis la fin des années 2000, est un droit. Si une entreprise refuse le télétravail partiel à quelqu'un, il faut qu'elle le justifie. En revanche, si vous avez une charte ou un accord collectif, les salariés sont obligés d'y souscrire et de l'appliquer, comme avec un règlement interne en entreprise.

Par exemple, vous avez des entreprises depuis longtemps déjà qui ont interdit de faire du télétravail quand on est à l'étranger. L'employeur peut tout à fait l'imposer soit par négociation, soit par charte, à ses collaborateurs. Le salarié n'a donc pas le droit de le refuser.

À l'inverse, l'entreprise ne peut pas imposer le télétravail à ses salariés - sauf s'il y a un accord encore une fois. Certains salariés refusent le télétravail parce qu'ils ont des conditions de vie ou d'installation qui font qu'ils sont mieux au bureau. Au final, il y a eu des évolutions dans les locaux des entreprises pour mettre en place ce qu'on appelle des bureaux flexibles où il y a suffisamment de place pour accueillir tout le monde, s'ils veulent tous venir. 

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