: Vidéo "Affaires sensibles". Derrière la vente controversée d'Alstom à General Electric, un "deal" du PDG français avec la justice américaine ?
Trois ans d'enquête, un million de courriers électroniques, des enregistrements... En 2014, la justice américaine a usé des grands moyens pour accuser le français Alstom de corruption. Etait-ce la perspective d'une amende de 1 milliard d'euros qui a décidé son PDG à vendre Alstom Energie à son rival General Electric ? Le 25 octobre, "Affaires sensibles", coproduit par France Télévisions, France Inter et l’INA d'après l'émission originale de France Inter, raconte une lutte sans merci entre la France et les Etats-Unis pour le contrôle de l'un des fleurons de notre industrie.
"Ils ont distribué des dessous-de-table pour décrocher des contrats en Indonésie, en Egypte, en Arabie saoudite et aux Bahamas. En tout, Alstom a payé des dizaines de millions de dollars en pots-de-vin, pour obtenir 4 milliards de dollars de contrats, et 300 millions de profits. Alstom a accepté de plaider coupable, de reconnaître ses torts, et de payer une amende de 772 millions de dollars." Tel est, en décembre 2014, le réquisitoire que livrent à la presse les procureurs américains, "la conclusion d'une enquête historique, qui marque la fin d'un système de corruption qui a duré plus de dix ans, un système élaboré et dissimulé par Alstom".
Cette enquête a été menée sur la base d'une loi anticorruption parfois accusée d'être une arme économique au service des intérêts américains. Depuis 1998, le FCPA (Foreign Corrupt Practices Act), la loi contre les pratiques de corruption hors Etats-Unis, permet à la justice américaine de poursuivre partout dans le monde des dirigeants qui ne le seraient pas dans leur propre pays. En France, Alstom n'a jamais été inquiété pour corruption : à l'époque, la pratique des pots-de-vin, ou plutôt des "commissions", n'était pas rare.
La vente d'Alstom Energie contre l'abandon des poursuites ?
Si l'enquête est historique, l'amende l'est aussi – même si elle n'atteint pas le milliard initialement annoncé. Quoi qu'il en soit, elle clôt la procédure contre les dirigeants de la multinationale française. De quoi relancer certains soupçons sur son PDG de l'époque, Patrick Kron ? Aurait-il négocié avec la justice américaine la vente d'Alstom Energie à General Electric contre l'abandon des poursuites ?
Arnaud Montebourg, alors ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique (lors de son interview pour "Affaires sensibles", il n'avait pas encore annoncé sa candidature à l'élection présidentielle de 2022), en est convaincu : "Il a échangé la vente d'Alstom contre son immunité personnelle. Quand vous vendez votre pays, parce que Alstom, c'est un morceau de la France, pour vous sauver vous, vous êtes un traître…" Des accusations que réfute Patrick Kron, rappelant que "la justice n'a eu aucun élément contre [lui], ni aux Etats-Unis ni ailleurs".
De fait, confirme Robert Luskin, à l'époque avocat américain d'Alstom, "dans la plupart de ces affaires, les très hauts dirigeants sont rarement mis en cause. Ceux qui sont poursuivis sont les managers qui peuvent être directement reliés aux malversations". C'est en effet un cadre d'Alstom, Frédéric Pierucci, qui a été arrêté et incarcéré sur le sol américain. Et il est lui aussi persuadé qu'il y a eu collusion, comme il en témoigne pour "Affaires sensibles".
Un accord de "plaider-coupable" signé le jour où la vente est entérinée
Selon lui, les autorités américaines auraient même attendu que la vente d'Alstom soit définitivement entérinée pour clore l'affaire. Est-ce vraiment une coïncidence si l'accord de "plaider-coupable" avec le Department of Justice, le ministère de la Justice américain, a été signé le même jour ?
En 2018, une commission d'enquête parlementaire (présidée par le député LR Olivier Marleix) a également cherché à savoir si le PDG n'aurait pas vendu Alstom Energie pour régler l'amende américaine... et s'il y aurait eu collusion entre la justice américaine et General Electric pour s'accaparer Alstom. Selon les conclusions, rendues en avril 2018, "aucun élément factuel ne permet de corroborer la théorie selon laquelle General Electric aurait instrumentalisé ces procédures judiciaires pour faciliter le rachat d'Alstom".
Extrait de "Affaire Alstom : la guerre secrète", une enquête de Sylvain Pak et Gaël Hubert à voir le 21 octobre 2021 dans "Affaires sensibles", magazine présenté par Fabrice Drouelle et coproduit par France Télévisions, France Inter et l’INA d'après l'émission originale de France Inter.
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