A Belfort, les salariés d'Alstom "déboussolés" par les annonces contradictoires de la direction et du gouvernement
Menacés de délocalisation à Reichshoffen, en Alsace, les quelque 400 ouvriers de l'usine belfortaine restent dans l'incertitude quant à leur avenir. Récit d'une journée à rebondissements.
Drôle de journée pour les salariés d'Alstom. A la pause déjeuner, en ce mardi 13 septembre, les micros et les caméras les attendent par dizaines devant les grilles du site où travaillent les quelque 400 employés menacés de transfert vers d'autres usines du groupe depuis l'annonce, mercredi, de la fermeture de la production d'ici 2018. Tous sont invités à réagir. Mais réagir à quoi ? Alors que les annonces fusent sur "le cas Alstom", les premiers concernés, eux, ont de plus en plus de mal à y voir clair. Retour sur une journée dans le flou.
A midi : "On ne va pas sauter de joie"
"Pour l'instant, on attend de voir", glissent, unanimes, ceux qui acceptent de livrer leur sentiment avant de rejoindre à la hâte leurs voitures. "Les informations, on les apprend en même temps que vous", résume Mickaël, un salarié de 35 ans, témoignant du "flou total" qui entoure son avenir et celui de ses collègues.
Après avoir entendu l'exécutif annoncer pendant le week-end sa ferme intention d'empêcher la fermeture du site, tous ont reçu un e-mail, signé de la direction du groupe, leur confirmant la fin de l'activité Transport à Belfort. Un coup dur inattendu, asséné à 8h30. "C'est sûr que quand on apprend ça, on ne va pas sauter au plafond", ironise-t-il. "On nous a souvent dit que les jeunes générations ne finiraient pas leur carrière ici. Mais quand on y a fait ses premières années, c'est dur à entendre", conclut-il sur un ton ni résigné, ni enthousiaste. Perplexe et attentif, comme tout le monde.
Dans la foulée, Manuel Valls a répété qu'il était "hors de question que le site de Belfort ferme", assurant la réouverture de négociations avec la SNCF, concernant de nouvelles commandes. Eux qui fabriquent des locomotives sont, depuis une semaine, montés à bord d'un ascenseur émotionnel. "Les salariés sont déboussolés", résume Roland François de la CGT.
A croire que, plus les réunions, les discussions et les déclarations se succèdent, plus il est difficile d'imaginer ce que l'avenir réserve aux gens d'Alstom. Et pour cause : à 11 heures, la direction du site a convié les syndicats à une réunion, afin d'expliciter la déclaration matinale du groupe. Mais à 11h35, ils apprenaient enfin que l'envoi de ce communiqué aux salariés était "une maladresse". Rédigé pendant le week-end, il n'avait pas vocation à être ainsi partagé, leur a-t-on dit.
C'est une erreur qui en dit long sur le mépris à l'égard des salariés.
Dans cet épisode confus, "la direction a cassé le relationnel avec les salariés. Les gens avaient confiance, mais là…", poursuit Olivier Kohler, de la CFDT, notant la difficulté de délivrer un message clair alors que direction et gouvernement envoient des signaux contradictoires.
A 14h30 : "On ne va pas se laisser endormir par la direction"
Micro à la main, le représentant syndical profite d'une assemblée générale pour réaliser un résumé bienvenu des épisodes précédents. Il est 14h30 et les salariés se sont rassemblés sous le soleil écrasant qui inonde une cour du site. Il y a "autant, voire plus de monde que lors de la première AG", organisée à la hâte après l'annonce surprise de l'arrêt de la production, se réjouit-il. "Depuis mercredi, les choses ont bougé", commence le délégué CFDT.
Vous avez tous entendu les intentions de l'Etat, qui a défini pour objectif de maintenir, ici à Belfort, la construction ferroviaire. Cet objectif va dans le bon sens. Mais on reste très prudent.
A l'esprit, tous gardent les discours de Florange et autres bonnes intentions politiques, finalement incapables de faire plier les industriels. La "déclaration de guerre", le "bras de fer", que ce membre de la CFDT décrit aux salariés, se joue bien avec Alstom. "On ne va pas se laisser endormir par la direction générale" du groupe, lance-t-il, appelant à faire grève jeudi pour défiler dans les rues de Belfort.
En attendant, une petite foule se masse devant l'entrée du bâtiment, où elle attend des explications d'Alain Courau, le directeur du site. "Il ne viendra pas", annonce finalement le syndicaliste, sous les sifflets. Mais surprise, quelques secondes plus tard, le directeur apparaît : "Je ne suis pas habilité à parler devant la presse", explique-t-il, invitant les salariés à lui poser leurs questions dans l'enceinte du bâtiment. Plus personne ici n'est à un malentendu près.
La direction d'#Alstom refuse de s'exprimer face à la presse. pic.twitter.com/38EMeIpDmQ
— Marie-Ad' (@Marie_ad) September 13, 2016
Et les questions des salariés étaient nombreuses, confirme Valérie Chardon, du syndicat CFE-CGC, à l'issue de cette réunion qui s'est finalement tenue en privé, dans un atelier. "Pourquoi nous sommes transférés alors que les compétences sont ici, à Belfort ? Est-ce que c'était prévu d'avance ? Quel est le rôle de General Electric ? Pourquoi maintenant, alors qu'il existe encore plein d'opportunités pour le site ?" énumère-t-elle, devant les grilles de l'usine. Et de trancher : "En réalité, la direction locale n'a pas davantage d'informations." Pour l'instant, le discours officiel reste celui d'un transfert de l'activité en Alsace, à Reichshoffen, à quelque 200 km de là.
A 16 heures : "Personne ne se voit bouger"
Résultat : "Les salariés sont suspendus aux lèvres du gouvernement", soupire William, un soudeur-chaudronnier de 55 ans, dont 39 chez Alstom. A 16 heures, il vient tout juste de finir sa journée. Lui qui a connu les mouvements sociaux qui ont secoué le site belfortain en 1979 – "59 jours de grève !" se souvient-il – et au début des années 1990 note qu'à l'époque, la mobilisation était tout autre, mais le site aussi, depuis ramené à 480 personnes au fil des ans et du rachat par General Electric du secteur énergie du groupe. Pourtant, "personne ne se voit bouger de Belfort", concède-t-il. Y compris chez les plus jeunes.
Frédéric, qui travaille au planning-projet, a deux enfants de 7 et 13 ans, scolarisés ici, une épouse "qui gagne à peine plus que le smic", "une maison à payer et des parents qui vieillissent. L'histoire d'une famille ordinaire". Alors le déménagement n'est pas envisageable, "même si depuis Paris, les gens peuvent se dire : 'Mais de quoi ils se plaignent ? On leur propose du boulot à 200 km'". Ceux-là n'ont jamais eu tant de route à faire avec, en prime, une traversée quotidienne de Strasbourg, ajoute-t-il en souriant.
Ce matin, son supérieur l'a convoqué pour évoquer l'avenir. Mais ce dernier s'annonce trouble : "Nous ne sommes pas dans le cadre d'un plan social d'entreprise, négocié en amont, etc. On a une clause de mobilité dans notre contrat", souffle-t-il.
C'est facile de bouger quand on a de l'argent, qu'il y a une aisance financière. Mais là, personne ne va me donner les 2 000 euros qui compenseraient la perte du travail de mon épouse si je pars.
S'il déplore la communication "schizophrène" d'Alstom, "qui nous qualifie de site d'excellence, nous parle de l'attachement à Belfort, pour nous annoncer ensuite sa fermeture", il constate surtout que les salariés n'ont aucun moyen de se projeter dans le futur.
Du moins jusqu'à la fin du mois, quand les syndicats rencontreront à nouveau le secrétaire d'Etat à l'Industrie, Christophe Sirugue. Car pendant que Frédéric se décidait à faire grève jeudi, pour la première fois depuis son arrivée à Alstom il y a 9 ans, le secrétaire d'Etat s'engageait devant les représentants venus à Paris, à faire, fin septembre, des propositions sur l'avenir de l'usine. Deux semaines de suspense, pour les optimistes, et d'angoisse, pour tous les autres.
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