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"Effort à saluer", "beaucoup d'avancées", "peut mieux faire"... On a interrogé des experts sur le plan de sobriété énergétique du gouvernement

Article rédigé par Mathilde Gracia
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, présente le "plan sobriété" du gouvernement français à Paris, le 6 octobre 2022.  (MAXIME GRUSS / HANS LUCAS / AFP)

Les spécialistes saluent un plan sobriété qui concerne tous les secteurs de l'économie et de la société mais regrettent un manque de suivi et de mesures structurelles. 

C'est la réponse du gouvernement à la crise énergétique qui frappe l'Europe cette année : le plan de sobriété. Avec lui, la France doit réduire sa consommation d'énergie de 10% en seulement deux ans. L'exécutif a donc sorti le grand jeu ce jeudi 6 octobre : neuf ministres ont présenté les mesures de leur secteur pour mettre en œuvre la sobriété. Au-delà de la nécessité de passer l'hiver en évitant les coupures d'électricité, le gouvernement a insisté sur les objectifs de long terme : atteindre la neutralité carbone en 2050 en réduisant notamment de 40% la consommation d'énergie. 

Ces mesures seront-elles suffisantes ? Franceinfo a demandé à des experts qui travaillent sur la sobriété énergétique depuis de nombreuses années ce qu'ils pensaient de ce plan. "C'est un effort qu'on peut saluer", analyse d'emblée Andreas Rüdinger, chercheur associé à l'Iddri, spécialiste des politiques énergétiques et climatiques.

"Il y a une volonté d'embarquer tout le monde, d'intégrer tous les secteurs et tous les acteurs, ça montre bien qu'il faut agir à tous les niveaux."

Andreas Rüdinger, chercheur associé à l'Iddri

à franceinfo

"Il y a beaucoup d'avancées dans ce plan sobriété, relève de son côté Nicolas Goldberg, consultant énergie pour Colombus Consulting et auteur d'une note de Terra Nova sur la sobriété énergétiquemais ça aurait été intéressant qu'ils se penchent sur la question avant cet été, pour avoir des mesures plus structurelles". D'autres experts partagent ces critiques. "Peut mieux faire", sentence ainsi Yamina Saheb, docteure en énergétique, et autrice du 3e rapport du GIEC, "la France est le seul pays européen qui présente un plan sobriété, c'est l'aspect positif, mais c'est dommage qu'elle ne profite pas de la crise pour mettre en place des changements structurels". 

"Les mesures sur le chauffage jouent beaucoup"

Avec son plan, le gouvernement mise en grande partie sur la bonne volonté des Français, des entreprises et des collectivités locales pour réduire la consommation globale de 10%. Un objectif atteignable ? "Si tous les engagements sont tenus, oui", soutient Anne Bringault du Réseau action climat. Les mesures sur le chauffage jouent beaucoup. Si tout le monde se chauffe à 19 degrés, les particuliers, les bureaux, etc, c'est déjà une baisse considérable". 

Les experts saluent effectivement le travail de sensibilisation et d'incitation sur cette limite de 19 degrés pour le chauffage. Nicolas Goldberg souligne aussi l'efficacité potentielle des dispositifs de pilotage de la température des bâtiments, qui visent à notamment à baisser le chauffage la nuit et le week-end lorsqu'ils sont inoccupés. "Si les outils sont bien déployés ça peut produire des effets sur le long terme et c'est parfait parce que c'est là qu'est le gisement d'économies d'énergie", assure-t-il.

Les mesures symboliques ont aussi leur importance pour Andreas Rüdinger de l'Iddri. L'extinction des feux pour les monuments historiques lors des pics de consommation, peut par exemple encourager les gens à agir. "Même si ça ne représente pas un gros potentiel en termes d'économies d'énergie, ça envoie le signal que quelque chose est en train de se passer", affirme le spécialiste des politiques énergétiques. 

Peu de contraintes

Mais comment s'assurer que les mesures seront bien respectées ? Les spécialistes critiquent le manque de suivi dans ce plan sobriété. Anne Bringault regrette par exemple que la charte de 15 actions concrètes, signée par des entreprises volontaires, soit une simple liste d'engagements : "Il faudrait que ces entreprises s'engagent à publier leurs résultats tous les six mois avec ce qu'elles ont fait et l'impact que ça a eu". L'extinction des publicités lumineuses et des vitrines entre 1 heure et 6 heures du matin devrait aussi s'accompagner de sanctions, puisqu'"on voit bien que ce n'est pas appliqué", dénonce Anne Bringault. 

La feuille de route du gouvernement ne comporte que très peu de contraintes pour les Français et les entreprises. Elle n'impose des mesures qu'aux administrations publiques. Si Andreas Rüdinger considère qu'une "police des températures" qui viendrait vérifier le thermostat dans les foyers n'est pas souhaitable, "il y a des secteurs dans lesquels, la réglementation peut être très efficace", explique le chercheur. C'est le cas de la limitation de vitesse sur les routes et les autoroutes".

Le plan sobriété prévoit une simple recommandation aux agents de l'Etat de ne pas dépasser 110km/h sur les autoroutes lorsqu'ils utilisent leur voiture de service, au lieu des 130 km/h légaux. Mais la recommandation n'est pas imposée à tous les Français. "C'est une mesure qui peut pourtant se défendre si on considère qu'on est en économie de guerre, poursuit Andreas Rüdinger. C'est une rhétorique qu'Emmanuel Macron lui-même a déjà utilisé au début de la guerre en Ukraine"

Dans l'attente de changements structurels

L'experte Yamina Saheb regrette enfin que le gouvernement ne soit pas allé plus loin avec ce plan. "Les mesures qui peuvent paraître inacceptables dans une situation normale, deviennent plus acceptables en cas de crise. Le gouvernement aurait dû se saisir de ce moment", explique-t-elle. Concrètement, les "changements structurels" que ces spécialistes recommandent, consistent notamment à développer les infrastructures et les aménagements urbains. Par exemple, dans le plan sobriété, "il est bien recommandé de prendre le train plutôt que l'avion mais sans mesures de déploiement du rail qui est indispensable à long terme pour la sobriété", déplore Nicolas Goldberg, de Colombus Consulting. "Il faut rendre la vie des gens plus faciles pour aller dans le bon sens", résume Andreas Rüdinger.

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