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Mines de lithium en France : des projets mais encore beaucoup d’interrogations

La société Imerys a annoncé son intention de créer la première mine de lithium française dans l’Allier. Mais elle n’a toujours pas demandé de permis d’exploiter ni précisé les quantités d’eau qu’elle utilisera, dans une région où la ressource est en baisse.
Article rédigé par Maxime Tellier
Radio France
Publié
Temps de lecture : 15min
La carrière de Beauvoir à Échassières, dans l’Allier pourrait devenir l’une des plus grandes mines de lithium en Europe. (GUY CHRISTIAN / HEMIS.FR / AFP)

“La France doit extraire du lithium sur son territoire”, déclarait Barbara Pompili en février 2022 lorsqu’elle était encore ministre de la Transition écologique. Quelques mois plus tard, plusieurs entreprises annoncent qu’elles sont sur les rangs pour produire ce métal dans l’hexagone. Le lithium, surnommé “l’or blanc” à cause de sa couleur, est indispensable à la fabrication de batteries. La demande explose pour construire les futurs voitures électriques : l’UE aura besoin de 18 fois plus de lithium en 2030, d’après la Commission européenne.

Parmi ces entreprises qui veulent exploiter les sous-sols, la multinationale française Imerys projette d’ouvrir l’une des plus grandes mines d’Europe dans l’Allier, qu'elle veut mettre en exploitation d'ici 2027.

Un gisement “unique”

Le site choisi se situe sur la commune d’Échassières, à la frontière du département voisin du Puy-de-Dôme. La carrière de Beauvoir produit aujourd’hui du kaolin, une argile utilisée pour le carrelage et la céramique, notamment pour la porcelaine de Limoges. Une vingtaine de personnes travaillent en permanence pour une production annuelle de près de 30 000 tonnes.

Lorsque Imerys rachète le site en 2005, il sait alors que le sous-sol contient du lithium. Comme d’autres lieux en France, la carrière de Beauvoir a déjà fait l’objet d’études de la part du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Mais une connaissance plus fine de la composition du sous-sol n’a été possible qu’en lançant une campagne de sondages : Imerys a donc déposé un permis exclusif de recherche en 2015, renouvelé en 2020.

Les résultats de ces études se révèlent très prometteurs. “C’est un site unique”, déclare le directeur-général d’Imerys Alessandro Dazza le jour de l’annonce du projet. L’entreprise estime avoir de quoi produire 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium (une forme stable de ce métal) chaque année, ce qui permettrait de fabriquer 700 000 batteries de véhicules électriques pendant au moins 25 ans. Le sous-sol recèlerait près d’un million de tonnes d’oxyde de lithium, et sans doute plus. Imerys mène en ce moment de nouveaux sondages, car les précédentes études ont permis de constater que le gisement s’étendait plus profondément et plus au sud, vers le Puy-de-Dôme.

Deux familles belges et canadiennes en coulisses

Imerys est présent sur 32 sites industriels en France. Il vend ses produits dans 142 pays, pour un chiffre d’affaires de 4,4 milliards d’euros en 2021. Il compte investir un milliard d’euros dans l’Allier et créer 1 000 emplois, ce qui ferait de lui l’un des plus gros producteurs de lithium en Europe. Ce projet a été baptisé Emili (Exploitation des Micas Lithinifères par Imerys).

La mine d’Échassières est le plus gros projet européen de lithium rocheux (“kt ECL” signifie millier de tonnes en équivalent carbonate de lithium). (EXTRAIT PRESENTATION DU PROJET / IMERYS)

Son actionnariat est dominé par deux familles via leurs holdings : la société Frère Bourgeois, basée en Belgique, fondée par l’homme d’affaires Albert Frère, décédé en 2018, qui détient notamment le château Cheval Blanc, un grand cru de Saint-Émilion, avec Bernard Arnault. Et la famille Desmarais, à la tête de holdings fondées par Paul Desmarais, aujourd'hui décédé, qui fut l’un des hommes les plus riches du Canada. Ces deux familles détiennent des participations dans d’autres grands groupes : le cimentier Lafarge, Adidas, Pernod-Ricard ou encore Total.

À l’échelle mondiale toutefois, Imerys est très loin des grands acteurs implantés sur le marché du lithium : “Cinq compagnies représentent environ 80% de la production mondiale”, précise Benjamin Louvet, spécialiste des marchés de matière première chez Ofi Asset Management. Et Imerys n’en fait pas partie.

Dès l’annonce du projet le 24 octobre 2022, Imerys affirme avoir reçu de très nombreux appels. Parmi eux, des constructeurs automobiles, et notamment le fabricant de batteries Automotive Cells Company (ACC) qui est détenu par trois actionnaires puissants : Stellantis (fabricant des Peugeot et des Citroën), Mercedes et Total. ACC construit actuellement trois usines en Europe, dont une dans les Hauts-de-France. Son patron, Yann Vincent, reconnaît avoir passé quelques coups de fil et se dit très intéressé par la future mine française. Depuis l’annonce de l’Union européenne d’interdire la vente de voitures neuves à moteur thermique d’ici 2035, les constructeurs ont en effet tout intérêt à sécuriser leur approvisionnement en lithium.

Un projet très confidentiel

Conscient des craintes que pourrait susciter la création d’une telle mine, Imerys a choisi un site déjà exploité. Il ne veut pas subir le même sort qu’un autre grand projet européen porté par l’australien Rio Tinto en Serbie qui, lui, a été annulé en début d’année après des manifestations des protecteurs de l’environnement et des habitants, qui dénonçaient le saccage de sites naturels et de terres agricoles.

Le projet de mine de lithium de Rio Tinto en Serbie a poussé des milliers de manifestants dans la rue le 4 décembre 2021 à Belgrade. (OLIVER BUNIC / AFP)

Avant d’annoncer son projet, Imerys s’est assuré de la discrétion de certains élus locaux. Certains ont signé, à sa demande, une clause de confidentialité. C’est le cas du président du Conseil départemental de l’Allier Claude Riboulet : "Tout projet a une phase qui doit rester discrète et confidentielle, explique-t-il à la cellule investigation de Radio France. Il s’agissait de vérifier si le projet était viable ou pas. À chaque fois qu’on communique trop en amont, vous pouvez être sûr qu’il y aura des difficultés. (...) Mais en l’occurrence, il n’y a rien à cacher."

Si le département a été associé au projet, c’est notamment parce qu'Imerys projette de construire des tuyaux de transport du minerai entre la mine et une gare qui sera située à proximité du site d’extraction. Or ces tuyaux devraient passer sous les routes départementales existantes.

Un impact environnemental mal mesuré

Imerys dit vouloir adhérer à un label de mine responsable : Irma (Initiative for responsible mining assurance), et vante la transparence de sa démarche. L’entreprise a entamé des réunions publiques avec les habitants des communes voisines pour répondre à leurs questions. À Échassières, elle prévoit une exploitation souterraine afin d’éviter les nuisances sonores et l’émission de poussières. Imerys s’engage aussi à ce que les véhicules utilisés sur le chantier soient électriques. Mais il lui faudra aussi construire une usine de raffinage où la roche broyée sera chauffée à haute température, puis lessivée avec de l’eau et traitée par des produits acides. L’emplacement de cette usine n’a pas été communiqué, même si plusieurs élus évoquent Montluçon.

Pour autant, Imerys reste flou sur plusieurs questions. Il ne dit rien de la quantité d’eau qu’il utilisera pour transporter et traiter son minerai, ni de quelle source elle proviendra. Idem sur l’utilisation de produits chimiques ou sur la quantité de résidus miniers. L’enjeu n’est pas mince, car il table sur un gisement d’un million de tonnes d’oxyde de lithium avec une concentration d’environ 1%. Il faudrait donc extraire et broyer 100 millions de tonnes de roche pour produire ce lithium.

La carrière de Beauvoir dans l’Allier, actuellement exploitée pour ses ressources en kaolin, pourrait être le lieu d’implantation d’une mine de lithium. (GUY CHRISTIAN / HEMIS.FR / AFP)

Or à proximité immédiate de la carrière actuelle se trouve un site classé Natura 2000, la forêt des Colettes, et des exploitants agricoles : une maraîchère et un producteur de noisettes notamment. Et tous constatent d’année en année une diminution de la ressource en eau, due au manque de pluie et aux vagues de chaleur qui se succèdent. L’installation d’une mine, en plus de la carrière actuelle de kaolin, les inquiètent donc. À cela, Imerys répond que le projet n’en est qu’à ses débuts et qu’aucune construction n’est envisagée avant 2024. "Les procédés utilisés ne sont pas encore définis", affirme un porte-parole de l’entreprise.

Imerys a donc beaucoup communiqué sur un projet qui semble loin d’être ficelé. "Pour l’instant, l’opérateur nous présente les avantages de son projet de mine, mais on ne parle pas de ce qui est susceptible d’impacter la vie des habitants et du territoire concernés", regrette Olivier Gourbinot, juriste à l’association France nature environnement. Pour Imerys, "le plus dur est encore à venir", nous confient plusieurs élus locaux.

En Bretagne, des gisements mais pas de projet pour l’instant

Mais on ne trouve pas du lithium que dans l’Allier. Selon le BRGM, qui a publié une étude sur le sujet en 2018, il existe une quarantaine de sites en France répartis sur trois régions : le Massif Central mais aussi la Bretagne et l’Alsace. Dans la première zone, outre le projet d’Imerys, la Compagnie des mines arédiennes a déposé trois permis exclusifs de recherche en octobre 2022 sur d’anciens sites miniers de Haute-Vienne. Cette société est contrôlée par Aquitaine Gold Corporation, une start-up canadienne. Son président Yves Guise précise avoir "au moins trois ans de recherches avant de pouvoir faire le point sur l’intérêt du gisement".

Carte de la répartition des ressources de lithium en France et les gisements à faible ou fort potentiel, selon un rapport du BRGM de décembre 2018. (AFP)

Un autre gisement très important se situe sur la commune de Tréguennec dans le Finistère. Sa présence a provoqué des remous début 2022 lorsque Le Télégramme s’en est fait l’écho. Quelques jours plus tard, en déplacement sur le site, Bérangère Abba, alors secrétaire d’État à la Biodiversité, n’exclut pas l’ouverture d’une exploitation. Sa déclaration suscite alors une vive opposition des élus et des habitants. Un rassemblement réunissant plus de 600 personnes a lieu à Tréguennec le 26 février. Un chiffre impressionnant pour une commune de 350 habitants.

Interrogé sur ce gisement, le ministère de la Transition énergétique reste lui aussi ambigu. Il répond simplement qu’à ce jour, aucun permis exclusif de recherche n’a été déposé et qu’aucune entreprise n’est candidate. Un tel projet se heurterait cependant à de gros obstacles. Car le lithium se trouve sur un site naturel triplement protégé : zone Natura 2000, zone humide labellisée (Ramsar) et propriété du Conservatoire du littoral.

L’Alsace : un territoire convoité

Une autre zone riche en lithium a été identifiée en Alsace, dans le bassin rhénan. Mais ici, il ne se trouve pas sous forme rocheuse. Il est dissous dans la saumure, de l’eau salée qui circule dans le sous-sol. Pour l’extraire, les porteurs de projets comptent s’appuyer sur des centrales de géothermie qui produisent de la chaleur et/ou de l’électricité en pompant l’eau dans les couches souterraines, et dont certaines existent déjà.

La méthode a déjà été expérimentée notamment par Eramet, un des leaders du secteur minier en France. La technique consiste à filtrer l’eau pompée grâce aux centrales géothermiques. Les premiers kilos de lithium français ont déjà été extraits, en 2021 dans le cadre d’un projet baptisé EuGeLi (European Geothermal Lithium) soutenu et financé par l’Union européenne.

Image satellite de la centrale géothermique de Soultz-sous-Forêts où ont été extraits les premiers kilogrammes de lithium français. (CAPTURE ECRAN / GOOGLE MAPS)

Il reste cependant à passer à l’étape industrielle. Pour cela, Electricité de Strasbourg (ES), filiale d’EDF, a déposé deux permis exclusifs de recherche sur un secteur de 83 communes au nord-est d’Haguenau et au sud de Strasbourg. À terme, l’Alsace pourrait fournir jusqu’à 30% des besoins français en lithium, selon Jean-Jacques Graff, président de l’Association française des professionnels de la géothermie.

Mais dans la région, on trouve un autre acteur : Lithium de France. Basée à Bischwiller, l’entreprise est une filiale du groupe Arverne, fondé en 2020. Elle est dirigée par deux anciens de l’industrie pétrolière, Pierre Brossollet et Guillaume Borrel (passé par Total pour le premier et Schlumberger pour le second). Le groupe ne réunit qu’une vingtaine de salariés pour l’instant, mais il compte développer sa propre méthode d’extraction du lithium par géothermie dès 2026. Lithium de France a déposé deux permis exclusifs de recherche portant sur 44 communes au nord et à l’est d’Haguenau.

La multiplication de ces projets de géothermie fait cependant craindre à certains la survenue de séismes, comme ce fut le cas en 2019 et en 2020 à Vendenheim au nord de Strasbourg. Selon un rapport d’experts réunis par la préfecture du Bas-Rhin et rendu en 2022, l’entreprise Fonroche en serait la seule responsable, ayant creusé trop profondément en-dehors du périmètre autorisé. Cette entreprise a depuis changé de nom (Géorhin) et a été placée en procédure de sauvegarde en raison de difficultés financières. Malgré cela, Romain Millot, géochimiste au BRGM veut rester optimiste : "La géothermie fonctionne depuis 30 ans à Soultz-sous-Forêts, relève-t-il. Et il n’y a pas eu de sismicité détectée. La centrale de Rittershoffen, plus récente, qui produit également de la chaleur et de l’électricité, pourrait donc bientôt extraire du lithium."

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