: Vrai ou faux Emmanuel Macron a-t-il raison d'affirmer qu'il est possible de "mieux gagner sa vie" en restant chez soi plutôt qu'en travaillant ?
Selon une statistique publiée par Pôle emploi en 2019, pour un demandeur d'emploi sur cinq, le montant de l'indemnisation chômage mensuelle est plus élevé que le salaire mensuel moyen perçu antérieurement. Mais cette statistique est vivement contestée par les spécialistes de l'assurance-chômage.
Cela vous a peut-être échappé : Emmanuel Macron n'a pas parlé que du Covid-19, lundi 12 juillet, lors de son allocution. En fin de discours, le président de la République a évoqué la réforme des retraites et celle de l'assurance-chômage. Pour défendre cette dernière, le chef de l'Etat a déclaré ceci : "En France, on doit toujours bien mieux gagner sa vie en travaillant qu'en restant chez soi, ce qui n'est actuellement pas toujours le cas."
Est-il possible, au chômage, de gagner autant, voire davantage, que lorsqu'on travaille ? La cellule Vrai ou fake de franceinfo s'est penchée sur la question.
Une statistique contestée dès 2019
Sollicité à plusieurs reprises par franceinfo, l'Elysée n'a pas explicité les situations auxquelles Emmanuel Macron entendait faire allusion. Sa déclaration fait toutefois écho à une précédente affirmation de l'exécutif. Pour "un demandeur d'emploi sur cinq", "le montant de l'allocation chômage mensuelle est plus élevé que le salaire mensuel moyen perçu antérieurement", avaient affirmé, en février 2019, Edouard Philippe, le Premier ministre de l'époque, et Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail, lors d'une conférence de presse sur la réforme de l'assurance-chômage.
D'où venait cette affirmation ? D'une fiche de Pôle emploi (PDF), rendue publique un mois plus tard, en mars 2019. Dans la foulée, cette statistique selon laquelle 21% des chômeurs étaient concernés avait été déconstruite par plusieurs médias, dont franceinfo. En cause : la méthode de calcul.
Pôle emploi s'était fondé sur des moyennes mensuelles de salaires, une méthode qui fait "baisser artificiellement" les anciens revenus des allocataires, selon le sociologue Mathieu Grégoire. Les experts interrogés par franceinfo dénonçaient une "manipulation" des chiffres et assuraient que, selon une autre méthode de calcul, "le salaire est toujours supérieur à l'allocation".
La loi interdit une telle situation
Deux ans plus tard, la donne n'a pas changé, martèle Mathieu Grégoire. "Un jour de salaire est toujours supérieur à un jour d'indemnité chômage (...) TOUJOURS !", a-t-il écrit, mardi 13 juillet, sur Twitter. "C'est inscrit noir sur blanc dans la loi", a ajouté ce chercheur au CNRS, spécialiste de l'assurance-chômage. En effet, l'article L5422-3 du Code du travail dispose que l'indemnisation versée "ne peut excéder le montant net de la rémunération antérieurement perçue".
Des situations dans lesquelles l'indemnisation est supérieure au salaire moyen perçu antérieurement existent sans doute, estime l'économiste Bruno Coquet, chercheur affilié à l'OFCE. Elles représentent toutefois une minorité de cas, difficile à quantifier, selon lui. "Certes, on peut gagner plus en étant au chômage 30 jours qu'en travaillant dix jours, reconnaît aussi Mathieu Grégoire. Mais quel argument !"
Un discours "néo-libéral" sans réel fondement ?
Le lendemain de l'allocution présidentielle, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a défendu la réforme de l'assurance-chômage en opposant deux projets de société : une société "qui incite au travail et qui permet de vivre dignement du travail" et une autre "dans laquelle on dit aux gens 'Vous savez, si vous restez chez vous, vous vivrez aussi bien'".
Ces propos tenus par l'exécutif relèvent du "discours habituel néo-libéral", qui stigmatise les personnes sans emploi en les désignant comme d'oisifs profiteurs du système, déplore Jean-Christophe Sarrot, responsable du Réseau emploi-formation de l'association ATD Quart Monde.
Selon Bruno Coquet, de nombreuses études montrent pourtant que, très majoritairement, les personnes sans emploi ne sont pas réfractaires à la reprise d'une activité et ne cherchent pas à optimiser leur allocation. "Tout le monde dit connaître quelqu'un qui a refusé une offre d'emploi et qui a préféré partir en vacances, ou qui a refusé un contrat long à la place de son contrat court. On a toujours des tas d'exemples mais, statistiquement, on ne les voit pas", remarque Bruno Coquet.
"Les études ne montrent pas que cette indolence à la reprise d'emploi existe."
Bruno Coquet, économisteà franceinfo
Cette prétendue indolence est souvent reliée à la question des offres d'emplois non pourvues, qui existeraient selon certains en raison d'allocations chômage jugées trop confortables. Mais parmi les 3,2 millions d'offres d'emploi reçues chaque année par Pôle emploi, "seules 19 500 ne reçoivent aucune candidature, soit 0,6%", avait relevé le sociologue Hadrien Clouet, en 2019. Par ailleurs, Bruno Coquet note que ces offres ne sont pas non plus pourvues par les personnes non indemnisées, qui sont majoritaires. En effet, l'Unédic, l'organisme de gestion de l'assurance chômage piloté par les syndicats et le patronat, indemnise environ 40% des chômeurs inscrits. "L'indemnisation n'est donc pas la seule raison", commente l'économiste.
Une méconnaissance des droits
Mais les personnes sans emploi font-elles des calculs pour optimiser les allocations chômage par rapport à l'emploi ? Ce sont des situations minoritaires, selon Mathieu Grégoire et Claire Vivès, sociologue, chercheuse au Centre d'études de l'emploi et du travail. "Lorsqu'on interroge des salariés ayant occupé des contrats de moins d'un mois, on découvre que leurs stratégies concernent avant tout l'emploi (ménager leur réputation sur le marché du travail, favoriser une embauche future) et secondairement le niveau d’allocation", écrivent-ils dans Connaissance de l'emploi (PDF).
Hadrien Clouet le confirme. Ce spécialiste des questions de travail rapporte à franceinfo que lors de ses travaux, "des mois de recherches à Pôle emploi", il n'a jamais rencontré une personne cherchant à optimiser son assurance chômage. Selon le chercheur, "les cadres pourraient faire ces calculs car ils connaissent bien les règles". En revanche, "les populations précaires ne les font pas. Les calculs étant compliqués, elles ne vont pas s'y risquer car elles ne sont pas sûres d'elles", poursuit-il.
A rebours d'une optimisation, l'universitaire fait état d'une méconnaissance des droits. "Nous constatons que les salariés au Smic, les petits salaires, ne font pas valoir leurs droits, ne sont pas au courant de tous les mécanismes, comme la prime d'activité", relève-t-il. Le Centre d'études de l'emploi et du travail montrait, dans un rapport de 2016 (PDF), que les populations éligibles ne connaissaient pas ou mal le dispositif d'activité réduite permettant d'être indemnisé tout en travaillant. Hadrien Clouet ajoute qu'entre un quart et un tiers des personnes passent par le chômage, parfois sur de courtes périodes, sans avoir recours à leurs droits.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.