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Témoignages Depuis le Covid-19, des agents de Pôle emploi confrontés aux "clashs, aux pleurs et aux cris"

Les agents de l'opérateur public sont en première ligne face à la crise provoquée par la pandémie. L'assassinat d'une des leurs à Valence, le 28 janvier, a accentué leurs craintes.  

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les agents de l'opérateur public sont en première ligne face à la crise provoquée par la pandémie. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Renforcement de la sécurité des agences, soutien psychologique, simplification de la procédure des signalements d'incidents... La direction de Pôle emploi a annoncé une série de mesures après l'assassinat d'une conseillère à Valence (Drôme), jeudi 28 janvier. Ce drame vient ponctuer plusieurs mois d'une situation particulièrement difficile pour les 55 000 agents de l'opérateur public, confrontés à une hausse du nombre de demandeurs d'emploi en raison de la crise sanitaire. Franceinfo a lancé un appel à témoignages pour recueillir leurs réactions et leur donner la possibilité de raconter leur quotidien dans ce contexte de pandémie. 

Parmi les salariés de Pôle emploi qui nous ont répondu, plusieurs ont d'abord rappelé que leur institution était la seule, en matière de prestations sociales, à être restée ouverte depuis le début de la crise : "La CAF a fermé ses accueils au public, la Sécu aussi. Les seuls à être restés ouverts, c'est nous", souligne Nadia*, conseillère emploi depuis dix ans à Paris. Si les 900 agences ont fermé leurs portes pendant deux mois lors du premier confinement, elles sont accessibles au public le matin depuis le 18 mai.  

Un public plus fragile dans les agences

Un lieu refuge pour certaines personnes isolées. "On était le seul organisme d'Etat ouvert, sans rendez-vous. Le seul endroit où les demandeurs d'emploi pouvaient crier leur désarroi", témoigne Margot, conseillère à l'emploi depuis quinze ans en Bourgogne-Franche-Comté. Si les mesures sanitaires ont réduit les flux de personnes dans les agences, celles qui se déplacent sont les plus en difficulté.  

"Les personnes qui viennent à l'accueil sont isolées, elles n'ont pas l'autonomie numérique nécessaire. Elles ont besoin de voir quelqu'un et de décharger leur anxiété."

Jeanne*, conseillère emploi dans le Rhône

à franceinfo

Selon plusieurs agents, la fin de l'accueil sans rendez-vous l'après-midi, depuis 2015, avait déjà dégradé le climat. Tout comme le processus de dématérialisation à l'œuvre chez Pôle emploi depuis plusieurs années. "Les process s'alourdissent avec le 100% numérique. Et du côté des demandeurs d'emploi, ça ne convient pas à tout le monde. Certains se sentent encore plus exclus", explique Manon*, conseillère en insertion professionnelle depuis 2007 dans le Lot-et-Garonne. Une situation aggravée par la crise actuelle. Ce public fragile cherche avant tout des réponses sur l'indemnisation. Or, les conseillers formés pour répondre à ces questions ne sont pas présents à l'accueil, comme le souligne Marthe*, conseillère dans les Hauts-de-France depuis une quinzaine d'années. "Les gens qui tiennent l'accueil sont des conseillers placement, souvent en CDD. Ils sont moins bien formés pour gérer les situations de stress."

Des gestes barrières qui éloignent

La mise en place des gestes barrières complique un peu plus la donne. Jauge oblige, les files d'attente s'allongent devant les agences, et la tension monte. Un agent est positionné à l'accueil sanitaire pour demander aux gens de remettre leur masque, de se passer du gel hydroalcoolique, de communiquer leurs prénom, nom, numéro de téléphone, e-mail... "C'est un poste à risque. On sent l'exaspération des gens, comme on est un symbole institutionnel", relève Manon*, dans le Lot-et-Garonne. Une fois cette étape franchie, masque, plexiglas et distance de sécurité nuisent à la bonne compréhension entre demandeurs d'emploi et conseillers. "On est pollué par ce nouveau protocole, ce qui fait qu'on s'éloigne encore plus de notre métier", déplore Jeanne*, dans le Rhône. Thomas*, chargé d'accueil dans le Sud, ne peut par exemple plus s'approcher des personnes qui ont besoin d'aide sur l'ordinateur. 

"Quand on ne peut plus s'approcher des personnes, ça devient compliqué. À 1,50 m, on prend une heure et demie pour faire une inscription."

Thomas*, chargé d'accueil dans le Sud

à franceinfo

Si les conseillers de Pôle emploi ont l'habitude d'être confrontés à un public en difficulté, tous les agents interrogés par franceinfo signalent une nette dégradation de la situation pour les personnes peu qualifiées, surtout depuis le deuxième confinement à l'automne. "La fin d'année, avec l'approche des fêtes, ce n'est jamais une période très facile pour les demandeurs d'emploi. Mais là, on savait que la situation n'allait pas s'améliorer, même si on changeait d'année", observe Jeanne*.

Des dispositifs d'aide complexes

Les perspectives sont particulièrement sombres dans certains secteurs d'activité, comme l'hôtellerie-restauration. Si des mesures d'aide ont été mises en place, comme le chômage partiel ou le prolongement des droits, certains profils, à l'instar des commis, plongeurs, serveurs, cuisiniers ou saisonniers, ne rentrent pas forcément dans les cases. "Ceux qui étaient entre deux contrats courts au moment du confinement n'ont pas pu recharger leurs droits", observe Noémie*. La conseillère en évolution professionnelle depuis quatre ans à Paris cite l'exemple de cette mère de famille "qui ne peut plus payer son loyer et menace de se suicider". Ou encore de "cette serveuse depuis trente ans dans la restauration, dont les factures s'accumulent et qui n'a plus que trente jours de droits".

"Il y a de plus en plus de clashs à l'agence le matin. Des gens excédés par leur situation financière pleurent, crient."

Noémie*, conseillère à Paris

à franceinfo

Restent alors les minimas sociaux, le RSA ou l'Allocation de solidarité spécifique (ASS). Mais là encore, certains ne remplissent pas les conditions et dépassent de peu les plafonds. "On a eu un nombre incalculable de personnes qui ne voulaient pas quitter l'accueil car elles ne comprenaient pas pourquoi elles n'y avaient pas droit. Je comprends, elles sont à cran, elles attendent ça pour manger", illustre Nadia*, également conseillère à Paris. Et de pointer le problème de la sous-traitance de certaines prestations. "C'est nous qui versons l'ASS, mais son traitement a été transféré à un prestataire. Les dossiers, on ne les a pas en main."

"Dans l'imaginaire des gens, on ne fait rien pour eux. Au contraire, on essaie d'amortir le plus possible."

Nadia*, conseillère Pôle emploi

à franceinfo

L'agente regrette aussi le manque de visibilité dans le millefeuille de dispositifs mis en place par le gouvernement pendant la crise, comme l'aide financière octroyée aux demandeurs d'emploi de moins de 26 ans. "On a eu un afflux de jeunes qui voulaient en bénéficier, mais l'un des critères est d'être en accompagnement renforcé par Pôle emploi ou par la mission locale. Les conditions ne sont pas très claires", note Nadia*

"La peur de ne pas retrouver un emploi"

"On est au front face aux demandeurs d'emploi et on n'a pas forcément toutes les billes, appuie Véronique*, agente de gestion des droits en Alsace depuis six ans. On est nous-mêmes dans un climat anxiogène lié à la pandémie et on se prend la peur, l'anxiété et l'agressivité de ceux qui ont peur de ne pas retrouver un emploi." Si le nombre de signalements pour des agressions ou des incivilités en 2020 est moins élevé qu'en 2019 (9 000 contre 10 000, mais les agences ont été fermées deux mois en 2020), il a nettement augmenté en 2021 depuis l'assassinat de la conseillère à Valence. "En trois jours, on a eu le même nombre de signalements qu'en un mois", résume Marthe*, conseillère dans les Hauts-de-France et élue au CSE. Le sentiment d'insécurité, déjà présent, s'est accru. 

"Ce drame nous a touchés mais malheureusement, il ne nous a pas étonnés. On s'est tous dit 'Un jour, ça arrivera', et ça y est, c'est arrivé", s'attriste Manon*, dans le Lot-et-Garonne. Margot*, en Bourgogne-Franche-Comté, ne s'était pourtant jamais sentie en danger à l'accueil durant ses quatorze années d'expérience. "C'est toujours un poste que j'ai tenu avec plaisir. Même si une personne arrivait un peu énervée, j'ai toujours réussi à désamorcer et à trouver une solution. Après le confinement, on a l'impression que les gens sont devenus fous." La jeune femme a notamment eu le droit à un doigt d'honneur et à un geste d'égorgement. Elle est en arrêt pour dépression depuis le mois de novembre. 

Le plus dur à venir ? 

Pour Carine*, conseillère placement depuis une dizaine d'années en Auvergne-Rhône-Alpes, ce genre d'agressions est le fait d'une minorité qui souffre parfois de problèmes psychiatriques. A l'entendre, la culture du risque fait partie du métier. "Vous ne laissez jamais une agrafeuse traîner sur votre bureau." Elle concède que l'agressivité est plus fréquente ces derniers temps. 

"Il y a encore quinze jours, je me suis fait traiter de 'Grosse merde' à l'accueil."

Carine*, conseillère en Auvergne-Rhône-Alpes

à franceinfo

Si elle salue les mesures pour renforcer la sécurité des agences, Carine* met en garde : "Il ne faut pas qu'on se bunkerise, on est un service public." Un avis partagé par Thomas*, dans son agence du Sud : "Certains agents voudraient des portiques de sécurité. Mais tout le monde sonnerait, on n'est pas à l'aéroport !" Pour certains, comme Jeanne* dans le Rhône, "ce sont des effectifs qu'il nous faut". Les portefeuilles de demandeurs d'emploi à suivre sont toujours beaucoup plus épais que prévu. Et ils risquent d'exploser avec la crise économique à venir. "Il y a le chômage partiel, mais quand ça va s'arrêter... Les gens craignent que les licenciements s'intensifient, s'inquiète Manon*, dans le Lot-et-Garonne. Ce n'est pas encore le tsunami, mais ça risque d'arriver."

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