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Malaise chez les CRS : "Est-ce que ça vaut le coup de se sacrifier financièrement, moralement, physiquement ?"

Le ministre de l'Intérieur reçoit lundi les syndicats de policiers opposés à une réforme de la prime d’éloignement perçue par les CRS dans le cadre de leurs missions. Une mesure jugée injuste par ces agents des forces de l'ordre. Franceinfo a rencontré l’un d’eux.

Article rédigé par Mathilde Lemaire, franceinfo - Edité par Cécile Mimaut
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Un CRS en faction dans la Loire, en 2010 (image d'illustration). (MAXPPP)

Les syndicats de policiers ont de nouveau rendez-vous, lundi 9 octobre, avec Gérard Collomb. Il s'agit de tenter de sortir du conflit qui oppose les CRS au ministre de l'Intérieur. Les policiers des Compagnies républicaines de sécurité sont en colère depuis plusieurs semaines contre le projet du gouvernement de fiscaliser leurs indemnités de déplacement (Indemnité journalière d'absence temporaire - IJAT).  

Quel est le quotidien, quelles sont les conditions de travail et les revenus d'un CRS ? Farid, CRS dans une compagnie de banlieue parisienne, a accepté de répondre à franceinfo. Il y a 14 ans, le Bac en poche, il a passé un an à l’école de police. Il y a appris le sang-froid indispensable au métier, dit-t-il, loin du cliché du policier "bête et méchant qui ne sait que taper"

"Ce qui nous incombe c’est la sécurité de nos concitoyens. Ce n’est pas simple. Il faut être fort psychologiquement, ne pas céder à des insultes ou à des jets de projectiles derrière votre bouclier", explique-t-il, "fier" d’appartenir à ce corps de la Police nationale.

Le reportage de Mathilde Lemaire

Des policiers devenus des cibles

Farid a été mobilisé lors des émeutes de 2005 et 2007, a passé des mois à Calais, mais c’est au cœur des villes, dans des manifestations toujours plus tendues depuis deux ans, qu’il a eu le plus peur. "On a passé un cap de violence gratuite, avec des jets de cocktails Molotov, témoigne le policier. On ne sait pas ce qu’on va devenir dans les minutes qui suivent une attaque-éclair comme ça." 

Quand ça explose à côté d’un collègue et que vous voyez le collègue prendre feu, vous vous dites le prochain c’est peut-être moi.

Farid, policier dans les CRS

à franceinfo

L’image de son collègue transformé en torche humaine, le 1er mai dernier place de la Bastille à Paris, est imprimée sur sa rétine. Farid a lui-même été blessé plusieurs fois lors de sa carrière.

200 jours par an en déplacement

Depuis 2015, les CRS composent aussi avec le risque terroriste. Le moindre rassemblement nécessite une sécurisation, sans que les équipements suivent, déplore Farid, qui nous montre les véhicules "très fatigués" de sa compagnie. "Celui-ci doit frôler les 300 000 kilomètres. Les sièges ne se rabattent plus." L’équipement de protection individuelle est aussi au centre des préoccupations. "Parce qu’on a pleuré, on commence à avoir des gilets pare-balles lourds, nouvelle génération. Mais ce n’est pas encore ça", dit le policier.

Ces conditions de travail sont largement critiquées dans la profession et rajoutent aux contraintes quotidiennes. Farid est mobilisable sur tout l’hexagone et dort souvent dans des hôtels de zones commerciales ou des cantonnements. Deux cents jours par an loin de sa femme qui vit dans le Nord et gère seule leur petite fille.

Aujourd’hui on va être sur un match de foot, demain matin sur la sécurisation des aéroports ou des gares. Ou sinon on va nous demander en renfort à l’autre bout de la France.

Farid

à franceinfo

"On est beaucoup sur les routes", résume le policier qui accepte ces obligations liées à la fonction des CRS. "C’est le jeu", dit-il. "Mais tous les acquis, on essaie gentiment de nous les sucrer. Et on se retrouve à se demander si maintenant ça vaut le coup de se sacrifier financièrement, moralement, physiquement", poursuit-il.

Le sentiment d'un manque de reconnaissance

Farid gagne 2 100 euros par mois. Cela inclut l’indemnité de déplacement que le gouvernement veut aujourd’hui taxer. Cette réforme ferait baisser "injustement"  ses revenus et ceux de ses collègues. Un argument qu'entend parfaitement Grégory Joron, secrétaire national du syndicat SGP Unité Police pour la branche CRS. "On a passé deux ans et demi à essorer les CRS, déclare-t-il à franceinfo. On leur a demandé d’être encore plus disponibles. Il y a énormément de kilomètres. Les collègues ont été appelés sur tous les fronts, l’état d’urgence, la COP21, l’Euro de football, etc."

Il y a un épuisement au niveau des forces mobiles.  Et de l’autre côté on met en danger le montant de nos indemnités. Pour les collègues, ça a été ressenti comme une agression.

Grégory Joron, du syndicat SGP Unité Police

à franceinfo

A défaut de faire grève, ce qui leur est interdit, plus de 2 000 CRS se sont mis simultanément en arrêt maladie le 21 septembre dernier en signe de protestation. Leurs représentants se disent prêts à renouveler une telle journée avec une plus grande ampleur s'ils ne sont pas entendus. "Quand ça se passe très mal, on appelle les Compagnies républicaines de sécurité, le dernier rempart pour protéger l’institution", rappelle Grégory Joron, qui sera dans la délégation intersyndicale reçue à Beauvau aujourd’hui.          

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