Affaire du "Grêlé" : "Il ne faut jamais rien lâcher dans ces dossiers", souligne un procureur spécialiste des "cold cases"
"Il faudra aussi continuer l'enquête qui, à mon avis, ne va pas se clôturer avec le décès de cette personne", estime le procureur général de Grenoble, Jacques Dallest.
"On ne peut que se réjouir du dénouement de cette affaire après 35 années d'enquête. Il ne faut jamais rien lâcher dans ces dossiers. Le progrès scientifique peut permettre d'élucider des affaires des années après", déclare sur franceinfo vendredi 1er octobre le procureur général de Grenoble, Jacques Dallest, auteur d'un rapport en avril pour une meilleure prise en charge des "cold cases". Il réagit à la résolution de l'affaire du "Grêlé", un criminel accusé d'au moins quatre meurtres et six viols perpétrés dans les années 80 et 90 en Île-de-France, dont l'identité vient d'être découverte.
franceinfo : Les enquêteurs de la cellule "cold case" n'ont jamais lâché cette affaire. Leur travail est essentiel ?
Jacques Dallest : Oui, c'est vraiment la démonstration que l'on ne peut pas baisser les bras. Quelquefois, il arrive qu'on se dise : "On a épuisé toutes les pistes, on n'a pas d'élément nouveau : on arrête et on clôture le dossier". Je crois qu'il faut éviter de le faire, par respect pour les familles, et en se disant qu'on peut sans doute avancer dans une affaire des années plus tard. Il faut vraiment des enquêteurs et des magistrats qui soient déterminés à aller jusqu'au bout, même si ce n'est pas le magistrat qui a pris l'affaire à son départ. Et que par la suite, on ait la même volonté de réussir à élucider une affaire comme ça. Il faudra aussi continuer l'enquête qui, à mon avis, ne va pas se clôturer avec le décès de cette personne, pour savoir elle bien l'auteur de ces faits, et si elle n'en a pas commis d'autres. C'est encore un travail de longue haleine.
Le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire prévoit la création d'un pôle national chargé des crimes en série ou non élucidés avec des magistrats spécialisés. C'est quelque chose que vous souhaitiez ?
Bien sûr, je me réjouis de ce projet de créer au moins un pôle national. Mais je crois que compte tenu du nombre important de "cold cases" - le chiffre est difficile à préciser, mais on a plus de 300 l'affaire non élucidées - si on voulait vraiment progresser, il faudrait plusieurs pôles spécialisés pour justement régionaliser et mettre une force de frappe suffisante pour faire face à ce nombre très important de "cold cases".
Dans cette affaire, on constate l'importance de l'ADN, mais aussi celle de la conservation des scellés, et ce n'est pas toujours le cas dans ces dossiers anciens.
Il faut évidemment déjà récupérer le dossier quand le dossier a été clôturé, mais aussi, parallèlement, absolument, conserver les scellés et les pièces à convictions. Sur le moment, peut-être qu'elles ne parleront pas. Mais des années plus tard, à la faveur du progrès scientifique, elles pourront peut-être mettre en évidence un ADN qui correspondra à celui de l'auteur. Il faut qu'il y ait un lieu de rangement et une traçabilité de chacun des scellés pour que, 10, 20 ou 30 ans plus tard, on puisse les expertiser de nouveau.
Est-ce qu'il faut plus largement développer une "mémoire criminelle" ?
C'est quelque chose que je recommande depuis longtemps. Je pense qu'il faut que tous les parquets, notamment les parquets de pôles criminels où l'on instruit des affaires criminelles, soit 91 juridictions concernées, aient cette "mémoire criminelle". C'est-à-dire que chaque fois qu'une affaire criminelle est traitée, qu'elle soit enregistrée afin qu'on puisse le "ré-exhumer", le trouver très facilement après qu'il soit clôturé, pour assurer une continuité, retravailler des dossiers. C'est tout à fait facile à faire grâce à l'informatique. La "mémoire criminelle", c'est une forme de traçabilité qui permettrait à tout procureur qui prend ses fonctions de connaître exactement l'état complet des affaires en cours ou clôturées dans son ressort.
On parle de l'enquête, des progrès de la science. Faut-il aussi, selon vous, en faire davantage pour les familles face à leur souffrance, dans ces affaires qui sont parfois non élucidées pendant des décennies ?
Dans une juridiction, les affaires de crimes de sang sont évidemment les plus graves. Nous devons une grande attention aux familles et aux proches qui doivent espérer de la justice une écoute, qu'on les reçoive, qu'on leur explique des choses et qu'on travaille avec elles, puisque les familles peuvent apporter des éléments d'orientation d'enquête. Un certain nombre se plaignent à juste titre de la non-réponse de la justice, du silence de la justice qui ne veut pas les recevoir. Ce sont des choses que je ne peux plus comprendre aujourd'hui. On doit cette marque de considération. C'est une simple mesure d'humanité et en plus, cela peut être très utile pour la recherche de la vérité de l'enquête. Les familles peuvent apporter des éléments importants, notamment dans les disparitions de personnes. C'est vraiment à la justice de faire preuve d'empathie, d'écoute, d'attention auprès des familles de victimes."
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