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L'Italie veut renégocier le prêt de tableaux au Louvre, "une mesure brutale qui n'a pas grand-chose à voir avec l'art" estime Frédéric Mitterrand

L'ancien ministre de la Culture dénonce sur franceinfo une décision politique.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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La pyramide du Louvre à Paris. (STÉPHANE MILHOMME / FRANCE-INFO)

La volonté de l'Italie de renégocier l'accord de prêt sur tous ses tableaux de Léonard de Vinci au Louvre en 2019 est "une mesure brutale qui est prise pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’art", a estimé sur franceinfo l'ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand dimanche 18 novembre. Les tableaux devaient être prêtés à l'occasion d'une exposition pour les 500 ans de la mort du peintre mais la secrétaire d'État à la Culture, Lucia Borgonzoni, a estimé que les termes de l'accord signé par son prédécesseur, Dario Franceschini, étaient "inconcevables". "Léonard est Italien, il est seulement mort en France", fait-elle valoir. Pour Frédéric Mitterrand, cette décision "ne relève pas d’un projet culturel mais plutôt d’une sorte de crise de colère nationaliste".

franceinfo : Vous êtes un connaisseur de la culture italienne, vous avez notamment dirigé la Villa Médicis. Est-ce que les arguments avancés par les Italiens sont pour vous recevables ?

Frédéric Mitterrand : Non, ils ne sont pas recevables parce qu’il y a entre la France et l'Italie, entre le Louvre et les plus grands musées européens, une tradition de prêts qui sont l'objet souvent de longues conversations, de concordats et d’allers-retours. Et là, tout d’un coup, c'est une mesure brutale qui est prise pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’art et qui ont plus à voir avec l’arme, avec la politique actuelle du gouvernement italien dont on sait qu’il n'apprécie pas du tout le président français et qu’il donne souvent à ses prises de positions des inflexions assez hostiles à la France. Il n’est pas question de prendre les œuvres pour ne pas les rendre. C’était simplement une opération de prêt et très légitimement on apportait une compensation en prêtant des Raphaël. On n’en sort plus si tous les musées commencent à travers le monde à prendre des décisions sur des raisons totalement contingentes de politique étrangère.

Comment se négocient ces prêts entre musées ?

Le monde des musées est un monde d’échanges permanents. La politique n’y intervient pratiquement jamais. Même dans les pires périodes de glaciation de la Guerre froide, il y avait des politiques de prêt entre les musées soviétiques et les musées français. Là, c’est vraiment une prise d’otage. Les prêts se discutent entre les patrons de musées et les ministres, en général, veillent précisément à leur laisser toute liberté. Léonard de Vinci est italien mais il s’est réfugié en France. Il y a quand même une raison pour laquelle les Français sont intéressés au premier chef par le fait d’honorer Léonard de Vinci, c’est aussi un exemple de la politique culturelle telle qu’elle existe en France depuis toujours.

Comment expliquez-vous une telle décision ?

Peut-être qu’il y a eu des maladresses, peut-être que la manière dont les Français ont toujours tendance à parler haut a choqué les Italiens mais je n’en sais rien. Les contacts que j’ai pu avoir avec les officiels français qui font ce genre de démarches donnent toujours la preuve d’un très grand respect dans les relations. Je ne sais pas où est l'arrogance. Je la lirais plutôt dans les déclarations de la secrétaire d’État italienne qui s'enflamme en expliquant que Léonard de Vinci est Italien et pas Français. On est d’accord, mais Rossini aussi était Italien et pas Français et lui aussi a vécu en France. Si on fait la liste de tous ceux qui sont allés d’un pays à un autre, on n’en sort plus. Ce qui m’étonne, c’est qu’on a l’impression en écoutant le communiqué italien d’une prédation par les Français, comme s’ils prenaient les tableaux sans dire merci. Ça me semble invraisemblable comme manière d’envisager les choses. Ça va à l’encontre de la politique suivie par les musées français depuis un temps fou. Il suffit de voir comment s’est passé le Louvre Abu Dhabi, avec un véritable travail d’échanges et de mécénat. Je ne peux pas croire que la décision de la secrétaire d’État italienne relève d’un projet culturel mais plutôt d’une sorte de crise de colère nationaliste.

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