Wikipédia, la DCRI piégée par le 2.0

C'est une station militaire perdue à la frontière entre Auvergne et Rhône-Alpes, et jusqu'à il y a peu, elle était connue des personnes y travaillant, de quelques rares riverains et peut-être des montagnards randonnant autour de ce point culminant du département de la Loire. La station hertzienne de Pierre-sur-Haute possède aussi une page Wikipédia, l'encyclopédie participative en ligne.

Et c'est cet article, créé en juillet 2009, qui se retrouve sous le feu des projecteurs. La fondation Wikimedia a accusé ce samedi la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) de l'avoir fait supprimer en menaçant un administrateur, estimant qu'il portait atteinte au secret de la défense nationale.

"Le 30 mars, nous avons découvert que la DCRI avait contacté un bénévole qui réside en France , annonce la fondation de l'encyclopédie en ligne (basée aux Etats-Unis). Elle a insisté pour qu'il utilise ses droits administratifs pour supprimer immédiatement l'article . Sous la menace, il a supprimé l'article ". Précisant qu'ils sont habitués à collaborer avec les autorités des différents pays sur requête judiciaire, la fondation Wikimédia s'insurge de la façon dont a procédé la DCRI.

Un passage litigieux

Place Beauvau, on réfute toute "menace ". "Dans un état de droit, on ne peut pas assimiler à une menace l'engagement d'une procédure judiciaire ", déclare-t-on au ministère de l'Intérieur. D'autant que ladite procédure est "engagée sur un passage qui pose problème à la sécurité nationale ". Le passage litigieux concernait l'organisation de la composante nucléaire de la défense nationale.

Dénonçant une "tentative d'intimidation " d'un bénévole n'ayant aucun lien avec le contenu de l'article incriminé (comme l'explique le "wikipédien " Pierre-Carl Langlais sur son blog), les autorités de l'encyclopédie en ligne rappellent qu'ils se plient aux demandes gouvernementales pour peu qu'elles soient légitimes. Or, selon eux, la DCRI n'a pas donné la preuve de la classification des informations diffusées.

Effet Streisand : l'article a même été traduit en turc

Mais internet réserve bien des surprises, la DCRI l'a appris dans cette affaire. Ils voulaient, pour la sécurité nationale, que cet article ne soit pas diffusé. Non seulement, il a été restauré par un administrateur suisse, mais il a enregistré plus de visites en une journée que depuis sa création du fait de cette "affaire ", et il vient d'être traduit en dix langues, dont le catalan, le polonais et le turc.

C'est ce que l'on appelle "l'effet Streisand ", du nom de la chanteuse qui avait attaqué un photographe en 2003 afin d'éviter la diffusion d'une photo aérienne de sa maison. Conséquence de la procédure, l'image a été vue plus de 420.000 fois, et le nom de la star est resté dans la postérité pour avoir initié cette "résilience d'internet face à la censure ".

C'était une station militaire perdue à la frontière entre l'Auvergne et la région Rhône-Alpes. Et désormais, en France, la station hertzienne de Pierre-sur-Haute est connue de milliers d'internautes.