"On se sent lâchés, abandonnés, trahis" : des policiers déposent symboliquement leurs menottes au sol en signe de protestation
Jeudi, dans plusieurs villes de France, des fonctionnaires se sont rassemblés devant les commissariats et ont déposé leurs menottes au sol pour dénoncer la stigmatisation dont ils se sentent victimes suite aux manifestations contre les violences policières et le racisme et aux déclarations du ministre de l'Intérieur.
Rejetés par une partie de l'opinion, ils se sentent désavoués par leur ministre Christophe Castaner, qui a interdit certaines techniques d'interpellation et annoncé une suspension systématique à chaque "soupçon avéré" de racisme. Alors qu'une cinquantaine de policiers ont manifesté, vendredi 12 juin, sur les Champs-Elysées, entre l'Arc du Triomphe et la place Beauvau où se trouve le ministère de l'Intérieur, la veille, ce sont plusieurs centaines de fonctionnaires qui s'étaient rassemblés devant les commissariats de plusieurs villes en France pour y déposer leurs menottes au sol symboliquement.
Ils étaient ainsi une quarantaine réunis jeudi après-midi place de la Liberté à Toulon, dans le Var, menottes alignées à terre derrière eux, pour exprimer leur inquiétude face à la stigmatisation dont ils se sentent victimes. L'action n'a duré que quelques minutes. "Par ce geste, les collègues marquent leur ras-le-bol face à la stigmatisation et aux amalgames engendrés par les déclarations de certains groupuscules qu'on entend ces derniers temps", explique Sébastien Soulé, secrétaire départemental du Var pour le syndicat Alliance. Cette action symbolique, selon les fonctionnaires, avait également pour objectif de faire part de l'inquiétude des policiers après les déclarations du ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, à propos de la fin de la technique d'interpellation qu'est la prise d'étranglement.
Cela n'est pas pour légitimer la violence, mais il y a la réalité du terrain et les fonctionnaires y sont confrontés à longueur de temps. On ne peut pas tout interdire.
Sébastien Soulé, secrétaire départemental du Var pour le syndicat Alliance
"Ça va être compliqué si à chaque fois que quelqu'un part, on est censés le retourner pour qu'il tombe du bon côté, on ne pourra jamais interpeller personne, explique Sébastien Soulé. "Il y a de l'inquiétude, de l'écœurement. Les fonctionnaires se sentent lâchés par le ministre de l'Intérieur qui est le premier policier de France. Et vu ses déclarations, ils se sentent lâchés par tout le monde", pointe le syndicaliste.
Un sentiment d'abandon partagé aussi à Marseille, où une centaine de policiers s'étaient rassemblés dans la soirée à l'appel du syndicat SGP Police-FO. "Le lien de confiance entre notre ministre Castaner et les policiers est brisé", lâche Bruno Bartocetti, délégué régional du syndicat SGP Police-FO. "On est courageux, on est professionnels, on a vraiment beaucoup de travail entre les actes terroristes, entre les "gilets jaunes", entre le confinement, rappelle-t-il. Et alors qu'on a besoin du soutien de notre ministre, on se sent lâché, abandonnés, trahis."
"Ras-le-bol", "fracture", "mépris", "colère"...
Dans la Loire, une quarantaine d'agents s'étaient rassemblés spontanément devant le commissariat central de Saint-Etienne en réaction aux propos du ministre de l'Intérieur, alors que les syndicats rencontrent justement Christophe Castaner à nouveau ce vendredi place Beauvau. Pour Franck, un policier de la Loire, cela va être difficile de regagner une confiance qu'il estime aujourd'hui totalement rompue. "Les mots ne sont même pas assez forts. C'est un ras-le-bol général. On nous empêche de faire notre travail correctement. Quand on est policier de terrain, on sait très bien que tout le monde n'a pas envie de se faire interpeller. Alors à des moments on n'a pas le choix que d'utiliser la coercition", explique-t-il.
Traiter tous les flics de France de racistes, nous empêcher de travailler,... ça va être difficile. Je pense qu'il y a une grosse fracture entre les policiers de France et le ministre de l'Intérieur.
Franck, policier dans la Loire
A Bobigny, en région parisienne, au moins 200 policiers ont eux aussi symboliquement déposé les menottes à terre jeudi, comme Delphine, 37 ans dont 20 passés dans la police. "On est la police et on a l'impression d'être fliqués. C'est nous les voyous en fait !" s'emeut-elle.
Quand je vois l'avancée de la police au fur et à mesure des années je ne sais pas si je finirai ma carrière dans la police.
Delphine, policière à Bobigny
Stéphane Andry, secrétaire départemental du syndicat Alliance dans le Finistère, lui aussi en veut à Christophe Castaner. "Ça fait 25 ans que je suis dans la police. On n'a pas eu que des bons mais là on touche le fond, lâche-t-il. Selon lui, il y a "une instrumentalisation de ces soi-disant violences policières, de ce soi-disant racisme policier, ça permet aussi de braquer les projecteurs sur autre chose", dit-il, en référence à une gestion de la crise sanitaire par les autorités qu'il qualifie de "calamiteuse".
Ce qui nous heurte aujourd'hui c'est cette présomption de culpabilité. La Constitution protège au contraire la présomption d'innocence mais lui, le ministre, il va à l'encontre de tout ça et nous méprise.
Stéphane Andry, secrétaire départemental du syndicat Alliance dans le Finistère
"C'est une colère froide parce qu'on est quand même des gens civilisés contrairement à ce que certains voudraient faire croire, mais il y a une vraie colère comme j'ai rarement vu en 25 ans de police", prévient encore le représentant départemental d'Aliance, qui participaient avec une cinquantaine de collègues au rassemblement organisé jeudi à Brest. D'autres actions du même type ont également eu lieu à Nice, Bordeaux, Toulouse ou encore Lille. Avec à chaque fois, ce même geste symbolique : des menottes jetées à terre en signe de protestation.
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