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"Mon rôle n’était pas de tuer pour tuer" : 30 ans après "Tempête du désert", un officier français raconte sa première guerre du Golfe

Il y a 30 ans, Saddam Hussein reconnaissait sa défaite face à une coalition de 34 pays, dont la France, engagée en Irak. Le général Casanova était à l'époque lieutenant dans l'opération Daguet.

Article rédigé par franceinfo - Franck Cognard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Tirs de mortiers par des soldats français durant l'opération Daguet, début 1991. (ECPAD / Etablissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense)

Le 28 février 1991, après une longue campagne de bombardements (100 000 sorties aériennes) et cinq jours d’offensive terrestre, Saddam Hussein accepte sa défaite face à une coalition de 34 pays. En août 1990, l’armée irakienne avait envahi le Koweït, provoquant la réaction des États-Unis et de leurs alliés, parmi lesquels la France, qui envoie au sol 14 000 soldats, engagés au sein de la division Daguet. "Vous vous souvenez du slogan de l’époque ?", demande le général Casanova, qui aujourd’hui commande, à Rennes, la zone de défense ouest. "La guerre aux 100 000 morts", reprend celui qui, jeune lieutenant en 1991, dirigeait un peloton de blindés au sein de l’opération Daguet. "C’étaient les pertes estimées au sein des armées de la coalition, qui regroupaient 700 000 hommes, explique-t-il. Ça voulait dire que, dans mon peloton, quatre ou cinq légionnaires allaient disparaitre."

"Pour les alertes chimiques, on prévenait par coups de klaxon. Lorsqu’on est rentré en France, je me souviens que chaque coup de klaxon me ramenait quelques semaines en arrière."

Le général Casanova

à franceinfo

Trois français trouveront la mort lors de cette première Guerre du Golfe, 300 au sein des alliés. Bien loin des estimations. Les Irakiens, eux, auraient perdu - le chiffre est toujours sujet à caution - entre 25 000 et 100 000 hommes au cours de cette guerre en deux temps. D’abord, il y a "Bouclier du désert", l’opération déclenchée après l’invasion du Koweït par les troupes de Saddam Hussein. Et le déploiement, dans le sable saoudien, de centaines de milliers de soldats américains, français, anglais, turcs, saoudiens… Puis à la mi-janvier, c’est "Tempête du désert", qui débute par le largage de plus de 80 000 tonnes de bombes sur les troupes et les objectifs militaires irakiens. Une fois la "4e armée du monde" écrasée, l’offensive terrestre débute dans la nuit du 23 au 24 février.

Des "semaines passées à attendre dans le désert saoudien"

"Tous les jours qui nous séparaient de l’offensive terrestre, ces semaines passées à attendre dans le désert saoudien nous ont servi à bien nous entrainer, à nous préparer, se souvient Nicolas Casanova, à la tête de son peloton du 1er Régiment étranger de cavalerie. On s’était habitué à passer et à enlever nos combinaisons NBC (nucléaire, bactériologique, chimique), parce que l’armée irakienne utilisait des obus chimiques."

Après des semaines de bombardements ("ça amenuisait les forces irakiennes et sapait leur moral"), l’ordre de franchir la frontière irakienne est donné, le 24 février 1991, à 6 heures du matin. "On n'est pas parti la fleur au fusil", rappelle le général. Guerre aux 100 000 morts, 4e armée du monde, les esprits sont plutôt concentrés : "le premier soir en Irak, alors que j’étais de quart, mes sous-officiers sont venus me voir pour me dire qu’ils ne voulaient pas que je sois de quart, parce que je devais être frais et dispo pour bien combattre, et un caporal-chef ajoute qu’il roulera devant, pour prendre une éventuelle mine à ma place. Je vous jure que quand vous entendez ça, impossible de rester indifférent…", raconte Nicolas Casanova.

"Les Irakiens étaient plus qu’en fuite, ils étaient en débandade, alors on ne rajoute pas des morts aux morts en leur tirant dessus, ce n’était pas utile."

Le général Casanova

à franceinfo

L’offensive en territoire irakien est rapide. Devant l’avancée alliée, les soldats irakiens résistent peu et fuient. Au premier soir du raid terrestre, les forces françaises de la division Daguet sont celles qui ont le plus profondément pénétré en Irak. Le général US Schwartzkopf, le grand patron de l’opération, salue cette "percée fantastique". Un compliment qui ne redescend pas jusqu’au peloton du lieutenant Casanova, tout entier tourné vers la suite de la mission, la prise de l’aérodrome d’As Salman.

"On ne leur tire pas dessus"

L'assaut de l’aérodrome, justement. L’objectif est militairement important, et à l’approche des blindés français, les légionnaires voient dans leurs jumelles "des mecs en train de courir" et demandent à leur chef s’ils doivent tirer dessus. "Mon rôle, ce n’était pas de tuer pour tuer. Donc, on ne leur tire pas dessus", répond le lieutenant Casanova. La prise de l’aérodrome marque la fin de l’avancée française dans le désert irakien. D’autres objectifs étaient pourtant prévus, mais le 28 février 1991, l’Irak capitule.

Carte de l'offensive terrestre "Tempête du désert". (Légion étrangère / Armée de terre)

Aujourd’hui, que reste-t-il de cette opération Daguet ? Une base sur laquelle peuvent plancher les stratèges actuels, parce que la guerre du Golfe, c’est la dernière fois que l’armée de Terre a été engagée dans une attaque en ligne, dans une charge de cavalerie blindée contre une armée professionnelle. Depuis, la France a été engagée dans d’autres conflits, mais en ex-Yougoslavie, c’était essentiellement de l’interposition, de l’humanitaire. En Afghanistan et au Sahel, ce sont des guerres asymétriques, contre des adversaires plus faibles sur le papier, contre des guérillas.

Alors, avec le retour aux "conflits de haute intensité", comme le prédit l'État-major des armées. Daguet reste un modèle, une expérience. L’après première guerre du Golfe, ce sont aussi deux créations emblématiques, venues combler des manques constatés : celle du Commandement des opérations spéciales (COS), et de la Direction du renseignement militaire (DRM). Avant août 1990, personne dans les cercles militaires n’avait vu venir l’invasion du Koweït. Il fallait donc que les armées disposent d’un outil technologique de renseignement performant. Aujourd’hui, personne ne pourrait envisager un engagement militaire sans les renseignements de la DRM, ou sans la valeur ajoutée des Forces spéciales.

"Tempête du désert", le reportage de Franck Cognard

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