"Même la guerre a des règles" : pour l'ONG Handicap International, il est urgent de stopper les bombardements en zones urbaines
Des négociations internationales se tiennent à partir de mercredi autour d'un accord qui protègerait les populations civiles, trop souvent la cible de bombardements dans les guerres actuelles.
Y aura t-il un accord international contre les bombardements dans les zones peuplées ? C'est l'enjeu de négociations diplomatiques qui reprennent, mercredi 3 mars. Des ONG, des parlementaires poussent à l'adoption d'un tel accord afin de protéger les populations civiles, qui sont aujourd'hui les principales victimes des guerres. Au cours de la Première Guerre mondiale, 15% des victimes étaient des civils, 50% durant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, ce chiffre est de 90%.
Jusqu’au 5 mars, l’Irlande du Nord pilote cette discussion qui rassemble 70 États. Cette "déclaration politique de Dublin" vise donc, c’est l’appellation officielle, à interdire l’utilisation des "armes explosives à large rayon d’impact en zones peuplées". Une munition ne fait pas la différence entre un civil et un combattant, surtout dans les villes. C’est ce que martèlent des ONG comme Handicap International, via son chargé de plaidoyer désarmement et protection des civils, Baptiste Chapuis.
franceinfo : en quoi consiste précisément cette "déclaration politique" ? Si elle était adoptée, quelles seraient les contraintes pour les États qui la signeraient ?
Baptiste Chapuis : Cette déclaration serait le premier texte, depuis les conventions de Genève (accords internationaux signés en 1949, sur les conduites à adopter dans les conflits armés, concernant les prisonniers, les blessés, l’aide humanitaire et la protection des civils, NDLR), qui limitent l’usage des armes explosives les plus destructrices. La ville est devenue aujourd’hui l’épicentre des conflits armés, et on parle de Mossoul (Irak) ou de Raqqa (Syrie), comme on parlait de Stalingrad, Dresde ou le Havre. Ce texte entend dire stop aux pratiques de bombardements dans les zones civiles, et permettrait également de rendre responsables juridiquement, moralement, et humanitairement, les États qui y contreviendraient.
"Aujourd'hui, certaines villes comme Mossoul ou Raqqa sont des millefeuilles de munitions non-explosées : une couche de mines artisanales, une de bombes, une d'obus ou de grenades."
Baptiste Chapuis, de Handicap Internationalà franceinfo
Un tel texte serait contraignant politiquement, comme on l’a vu dans le passé avec les traités sur l’utilisation des mines antipersonnel ou des armes à sous-munitions. Si demain, les militaires limitent l’usage des frappes aériennes ou des barrages d’artillerie dans des zones où des civils comme vous et moi vivons, ça aura des conséquences incroyables pour la protection des civils. Ces bombes et ces obus ont été créés pour des champs de bataille ouverts, et il est temps de les sortir des villes.
Aujourd’hui, le bombardement de zones urbaines a-t-il un caractère systémique ?
90% de victimes civiles depuis 10 ans, contre 15% il y a plus d’un siècle, c’est assez parlant, non ? En Syrie, au Yémen, on voit des pilonnages en milieu urbain, et que vous ayez une cible militaire légitime ou pas, les conséquences sont les mêmes : des morts, des blessés, des déplacés. Sans oublier les effets dominos, l’héritage à long terme : si vous bombardez la centrale électrique, vous atteignez les hôpitaux, les écoles, les services publics, l’eau etc. Sans oublier la contamination par les munitions non-explosées.
À Kobane, une ville syrienne où ont eu lieu de très violents combats entre Daech et la coalition, on trouve 10 munitions non-explosées au mètre carré. Comment des civils pourraient-ils revenir chez eux, sans eau, sans électricité, et avec le risque d’être tués ? L’an dernier, me disait notre chef de mission en Irak, il y a eu 1 500 "incidents" de ce genre. Parfois, ce sont des enfants qui jouent dans une cour qui déclenchent accidentellement l’explosion.
Comment pourrait faire une armée régulière face à un groupe comme Daech, qui profite de l’environnement urbain et de la population pour se protéger et freiner ses adversaires ?
Le débat n’est pas binaire. Les militaires font face aujourd’hui à des missions des plus difficiles, dans ce contexte urbain. Il ne faut pas leur jeter la pierre. Mais il existe aujourd’hui des moyens alternatifs aux bombardements lourds, qui ne sont plus l’alpha et l’omega de la stratégie militaire. En Somalie, par exemple, la mission de l’Union africaine a prohibé l’usage des mortiers. Et ça ne s’est pas révélé moins efficace. Notre rôle à nous n’est pas de dire aux militaires ce qu’ils doivent faire, mais on sait aujourd’hui que leurs pratiques ne sont plus en adéquation avec un respect strict du droit humanitaire. Vous avez des ONG, des juristes, mais aussi des militaires qui questionnent l’efficacité de ces frappes lourdes en zone urbaine.
Un colonel français a – et sa hiérarchie lui a reproché ses propos – émis des doutes sur cette stratégie. Il a écrit (dans la Revue de la défense nationale, avant que son article ne soit retiré, NDLR) que la coalition anti-Daesh avait "détruit massivement les infrastructures et donné à la population une détestable image de ce que peut être une libération 'à l’occidentale', laissant derrière nous les germes d’une résurgence prochaine d’un nouvel adversaire". Même la guerre a des règles, et c’est tout l’esprit des conventions de Genève. Les États se sont assis autour d’une même table après 1945 pour dire "nous sommes allés trop loin". Les bombardements massifs en zone urbaine vont à l’encontre même de ces conventions et le droit international doit maintenant s’adapter, et nous espérons que la France en a pleinement conscience.
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