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Une fricassée de grillons, c'est bon pour le cœur ? Cinq questions pas si bêtes sur la consommation d'insectes

Depuis lundi, les premiers produits à base d'insectes destinés à la consommation humaine sont commercialisés en Suisse. Peut-on manger des fourmis en France ? Et pour quel bénéfice nutritionnel ? Franceinfo apporte des éléments de réponse. 

Article rédigé par franceinfo - Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Des criquets servis en apéritif à Sydney (Australie), le 16 mars 2017.  (SAEED KHAN / AFP)

Vous dégusteriez bien quelques grillons en entrée, suivis d'un burger aux vers de farine et d'un dessert à base de fourmis ? C'est désormais chose possible en Suisse. Depuis le 1er mai, sont autorisés à la vente les grillons, sauterelles et vers de farine (la larve du ténébrion meunier), selon La Tribune de Genève. D'autres produits, tels des hamburgers et des boulettes à base d'insectes, ont fait leur arrivée dans les rayons des supermarchés Coop, toujours en Suisse, lundi 21 août. 

L'entomophagie, ou la consommation humaine d'insectes, essaime en France comme chez notre voisin helvétique. Mais est-ce légal dans l'Hexagone ? Quels sont les risques possibles pour l'homme, mais aussi les bienfaits d'une telle consommation ? Franceinfo tente d'y voir plus clair. 

Ai-je le droit d'acheter et de consommer des insectes en France ?

Sur le papier, non. Néanmoins, pas d'inquiétude : en tant que consommateur, vous ne risquez rien si vous êtes surpris, la fourchette à la main, devant un plat de grillons frits et de vers séchés. C'est la commercialisation de ces produits qui n'est, en principe, pas autorisée en France. Les autorités se basent sur le règlement "novel food" de l'Union européenne, entré en vigueur en 1997. Ce texte définit comme "nouvel aliment" toute denrée très peu consommée en Europe avant cette date. Les insectes font partie de ces produits : ils doivent ainsi obtenir une autorisation avant d'être commercialisés. "Etant donné l'absence d'autorisation donnée à ce jour" pour les insectes en France, ces petites bêtes "ne peuvent pas être mises sur le marché en vue de la consommation humaine", explique le ministère de l'Agriculture

C'est ainsi qu'un chocolatier de l'Hérault a dû cesser de vendre des pralinés aux grillons en juillet, après une visite de la répression des fraudes. Trois ans plus tôt, un restaurant cambodgien d'Amiens (Somme) s'est vu interdire la vente de petites boîtes d'insectes. "Les insectes vivants peuvent être vecteurs de risques", défend Loïc Tanguy, directeur de cabinet au sein de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Nous n'avons pas de retour d'expérience sur une consommation régulière d'insectes en Europe. Nous ne pouvons donc pas dire qu'ils ne posent pas de problèmes sanitaires. Alors nous les soumettons à autorisation." 

Mais dans les faits, certaines entreprises passent entre les mailles de la moustiquaire. Loïc Tanguy reconnaît "des procédures contentieuses" en cours avec des sociétés françaises commercialisant des insectes. D'autres bénéficient d'un flou dans le règlement de 1997 : ce texte ne vise pas explicitement les insectes entiers, laissant le champ libre à certaines ventes. 

Au niveau santé, je risque quelque chose si j'en mange ?

Dans un avis rendu en 2015, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) évoque plusieurs "risques sanitaires possibles". L'agence parle, entre autres, des dangers liés aux parties dures de l'insecte, à la présence de substances chimiques ou de parasites nocifs pour l'homme. Des animaux peuvent avoir été contaminés par des polluants organiques ou des pesticides. Elle constate cependant un manque criant d'expertise sur ces dangers, et appelle à davantage de recherches. 

Pour les insectes cuits, frits ou séchés, "le risque allergique et chimique est, à mon sens, plus important que le risque biologique", précise Michel Federighi, professeur à l'école nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l'alimentation Oniris, à Nantes. Le spécialiste évoque notamment la présence d'un allergène connu, la chitine, chez certains insectes, comme c'est le cas pour les crustacés. En France, 100 000 personnes pourraient être concernées "par ces réactions et allergies croisées", prévient l'Anses.

Les conditions d'élevage sont également à surveiller, poursuit Samir Mezdour, chercheur à AgroParisTech et coordinateur du projet Desirable sur la consommation animale d'insectes. "Nous ne connaissons pas les maladies qui peuvent se développer dans ces élevages, ni les risques de contamination vers l'homme, explique-t-il. Nous n'avons pas assez de recul." 

Mais manger des insectes, c'est plutôt bon d'un point de vue nutritionnel, non ?

Malgré ces risques potentiels, plusieurs de ces arthropodes sont en effet reconnus pour leurs vertus alimentaires. "Les insectes sont une ressource saine et nourrissante, riche en matières grasses, protéines, vitamines, fibres et minéraux", abonde l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), dans une étude présentant l'élevage d'insectes comme une solution face aux défis mondiaux de l'alimentation. La FAO prend notamment l'exemple du ver de farine, la larve du ténébrion meunier, un coléoptère. Ses "teneurs en protéines, vitamines et minéraux" sont, selon l'organisation, "comparables à celles du poisson et de la viande".

Les insectes comestibles apportent "des protéines complètes avec tous les acides aminés", assure Cédric Auriol, fondateur de Micronutris, le premier élevage bio d'insectes comestibles en France. Selon lui, dix grammes d'insectes déshydratés équivalent à une portion de viande ou de poisson. Cédric Auriol, dont la société est implantée à Toulouse, évoque aussi l'apport d'acides gras insaturés grâce à ces insectes. "C'est intéressant au niveau cardio-musculaire, notamment pour les seniors qui consomment moins de viande", explique-t-il. 

L'Anses tempère cependant ces affirmations dans son avis de 2015. Les études mettant en avant les apports nutritionnels des insectes comestibles "ne concernent qu'un nombre très limité d'espèces", précise l'agence. "Ces résultats sont donc à considérer avec la précaution nécessaire", poursuit-elle, rappelant que les insectes sont, par exemple, "décrits comme pauvres en glucides"

Si je mange des grillons, quel est l'impact pour la planète ?

C'est l'autre point positif lié à la consommation d'insectes. Dans ses études, la FAO met en avant les bienfaits environnementaux de l'élevage d'insectes comestibles. Ces invertébrés transforment leurs aliments en protéines avec une grande efficacité. Pour produire un kilo d'insectes, seuls deux kilos d'aliments sont nécessaires. Un kilo de viande bovine, lui, requiert huit kilos d'aliments, souligne le ministère de l'Agriculture, citant la FAO. 

Selon l'organisation des Nations unies, les insectes émettent aussi "moins de gaz à effet de serre et moins d'ammoniac que le bétail ou les porcs". A Micronutris, l'utilisation d'eau dans l'élevage "est proche de zéro", avance Cédric Auriol. "Et nous autoproduisons de la chaleur grâce aux frictions et aux respirations de nos insectes." L'élevage ne demande donc quasiment plus de source extérieure d'énergie. 

L'élevage intensif d'insectes, c'est donc pour demain ?

"En théorie, c'est envisageable, répond Samir Mezdour. Mais il y a des freins économiques, réglementaires et techniques à surmonter." Quels bâtiments faudra-t-il construire pour élever ces insectes, et avec quelles conditions d'élevage ? Parviendra-t-on à une production et à une consommation de masse, alors que les petites bêtes coûtent encore sept fois plus cher que la viande bovine, selon Les Echos ? Samir Mezdour et d'autres chercheurs s'interrogent, tant les réponses manquent à ce stade. 

"Nous verrons plutôt une multiplication de petites unités d'élevage", envisage Cédric Auriol. Le fondateur de Micronutris pointe les potentiels risques sanitaires liés aux "gros élevages". "En cas de virus, une population d'insectes plus importante sera touchée", prévient-il. Aux Nations unies, la FAO appelle à "des recherches plus approfondies" sur le sujet. "Le risque d'infection zoonotique [de l'animal à l'homme, et vice-versa] pourrait augmenter avec la mauvaise gestion des déchets" ou "le manque d'hygiène dans la manipulation des insectes", s'inquiète l'organisation dans son étude. 

Au-delà des défis économiques et sanitaires, se pose celui de l'acceptabilité. Les consommateurs sont-ils vraiment prêts à remplacer une côte de bœuf par une fricassée de grillons ? "En Europe comme dans les pays en développement, je n'y crois pas, confie Samir Mezdour. Je ne connais pas de zones dans le monde où l'on consomme des insectes tous les jours." 

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