"Si on cĂšde ici, c'est fini" : on a passĂ© une nuit avec les Ă©leveurs qui tentent d'empĂȘcher le lĂącher d'ours dans les PyrĂ©nĂ©es
Dans les PyrĂ©nĂ©es-Atlantiques, la rĂ©introduction imminente de deux ourses slovĂšnes a mis les opposants sur le pied de guerre. Franceinfo a passĂ© une nuit avec ceux qui surveillent les routes pour empĂȘcher l'arrivĂ©e des animaux.
Depuis le parapet qui surplombe la RN134, Olivier Maurin regarde passer les voitures. Situé à l'entrée de la vallée d'Aspe, le petit village de Sarrance est un point d'observation idéal pour surveiller l'accÚs à l'une des deux zones choisies par le gouvernement pour accueillir deux ourses dans les prochains jours. Sur le bitume, on peut lire "Non à la colonisation slovÚne. Population déterminée, guerre déclarée". "Ils sont obligés de passer par là ou par Lourdios. Et à Lourdios, il y a du monde aussi", confie l'éleveur, chef de file des opposants à la réintroduction. Ils, ce sont les agents de l'Office nationale de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) chargés de "transloquer" les deux plantigrades depuis la Slovénie.
Pour Ă©viter que les opposants ne perturbent les lĂąchers, comme en 2006, le ministre de la Transition Ă©cologique, François de Rugy, a annoncĂ© qu'ils se feraient dans la discrĂ©tion, loin des camĂ©ras et des fusils, Ă une date non communiquĂ©e. Alors, pour tenter de faire tout de mĂȘme capoter le projet, des guetteurs "souvent armĂ©s" passent leurs nuits au bord des routes et dans la montagne depuis le 26 septembre. Dans la semaine, une "source sĂ»re" leur a glissĂ© que l'opĂ©ration se ferait dans la nuit de vendredi 28 Ă samedi 29 septembre.
"Si on cĂšde ici, c'est fini"
MĂȘme si cette source s'est rĂ©tractĂ©e depuis, l'Ă©leveur de 37 ans ne veut pas baisser la garde. Portable Ă la main, il montre Ă deux collĂšgues du Pays basque voisin une photo prise par Sud Ouest lors d'un prĂ©cĂ©dent lĂącher. "Leur vĂ©hicule, c'est une camionnette Fiat avec la climatisation en haut. En temps normal, il est garĂ© chez le chef de l'Ă©quipe Ours en Haute-Garonne. Ăa fait trois jours qu'il n'y est plus", pose Olivier Maurin, rencardĂ© par des Ă©leveurs du coin. "Des camions comme ça, il y en a plein", souffle son interlocuteur.
En attendant le passage du vĂ©hicule, la petite troupe â jusqu'Ă 12 personnes au plus fort de la soirĂ©e, sans aucune arme â s'attaque aux victuailles dĂ©posĂ©es sur une table de camping. Olivier Maurin lui, dĂ©roule ses arguments devant les journalistes prĂ©sents. Il s'en prend Ă ce ministre "qui arrive en hĂ©licoptĂšre et passe en force" et Ă l'ONCFS, "juge et partie dans ce dossier". "Les gens se demandent pourquoi on fait chier pour deux ourses. Ce n'est pas seulement deux ourses : elles vont arriver pleines et dĂšs l'annĂ©e prochaine, il y en aura d'autres. Le plan ours 2018-2028 prĂ©voit une population de 150 Ă 200 ours", s'alarme-t-il, mĂȘme si le texte parle de "la constitution dâune population efficace dâune cinquantaine dâindividus sexuellement matures". "Les Alpes et le Massif central sont farcis de loups, l'AriĂšge d'ours. Le BĂ©arn est le dernier bastion, si on cĂšde ici, c'est fini", tonne-t-il, le visage Ă©clairĂ© par la lumiĂšre des camĂ©ras.
"Les gens qui veulent nous imposer ça ne connaissent pas notre vie"
Pour cet Ă©leveur de brebis et de porcs Ă Asasp-Arros, les bergers et les ours ne sont pas compatibles. "Depuis vingt ans, aucun moyen de protection â patous, parc de nuit, prĂ©sence humaine â contre les grands prĂ©dateurs ne fonctionne", assĂšne-t-il, alors que ses adversaires jurent le contraire. "Les gens qui veulent nous imposer ça ne connaissent pas notre vie. Pourquoi certains auraient le droit d'aller au restaurant, d'avoir des loisirs et nous il faudrait qu'on reste tout le temps avec les brebis ?", s'interroge-t-il. Les aides accordĂ©es par l'Etat pour accompagner les Ă©leveurs face Ă l'ours et indemniser les pertes ne permettent pas de faire face, selon lui : "L'argent, ça ne rĂšgle rien."
Les ours dans les Pyrénées, c'est un retour en arriÚre de 200 ans. Ces montagnes ne sont pas un zoo.
Olivier MaurinĂ franceinfo
Une voiture ralentit devant les guetteurs, qui sont descendus s'installer prĂšs de la route. "No pasaran", lance une petite dame ĂągĂ©e avant de remettre les gaz. La fameuse Fiat n'a toujours pas pointĂ© le bout de son nez. "Si on le repĂšre, on le suit et aprĂšs ça va vite, je rameute tout le monde, expose Olivier Maurin. On les empĂȘchera pas d'ouvrir la cage, mais plus vite on intervient, plus vite on rĂ©glera le problĂšme." L'objectif affichĂ© est de rĂ©unir un maximum d'opposants armĂ©s de fusil pour effaroucher les animaux et les bouter hors du BĂ©arn, vers la plaine ou vers l'Espagne. "On va faire comme en 2006 avec l'ourse rĂ©introduite Franska, du ping pong avec les Espagnols", ironise-t-il. L'animal avait fini renversĂ© par une voiture prĂšs de Lourdes (Hautes-PyrĂ©nĂ©es). L'Ă©leveur n'exclut pas que certains de ses camarades aillent plus loin. Jusqu'Ă abattre les ourses ? "On ne sait pas ce qui peut se passer... Je ne suis pas dans la tĂȘte de tout le monde", balaye-t-il.Â
"Qu'est-ce qu'on fout lĂ ?"
PrĂšs du brasero, Arnaud, 28 ans, raconte pourquoi il est venu soutenir les Ă©leveurs. "S'ils n'Ă©taient que trois, ils douteraient peut-ĂȘtre de leur position", expose cet ancien stagiaire de l'Institut patrimoniale du Haut-BĂ©arn, une institution opposĂ©e Ă l'ours. Originaire du Pas-de-Calais et actuellement en recherche d'emploi, il ne comprend pas qu'on vienne "imposer Ă quelqu'un qui fait dĂ©jĂ douze heures par jour de se relever la nuit pour protĂ©ger son troupeau de l'ours". Pour lui, l'animal va fragiliser un peu plus une profession oĂč "les conditions Ă©conomiques ne sont pas au beau fixe" et "de plus en plus contestĂ©e par la sociĂ©tĂ© civile avec le mouvement vegan". Il pointe Ă©galement la maniĂšre dont l'Etat a imposĂ© cette dĂ©cision. "On est lĂ Ă veiller pour vĂ©rifier qu'ils ne le rĂ©introduisent pas en catimini. C'est particulier...", lĂąche-t-il.
Olivier Maurin le dit avec d'autres mots. "Vous savez ce qu'on se dit souvent ? On se dit 'mais qu'est-ce qu'on fout lĂ Â ?'", confie-t-il aux trois journalistes embarquĂ©s dans son pick-up pour une tournĂ©e dans la vallĂ©e. La Toyota blanche se faufile dans les hauteurs d'Etsaut, sur une vieille route de terre. En plus de surveiller les grands axes, les "guetteurs" bĂ©arnais arpentent les pistes de la vallĂ©e en quĂȘte d'Ă©ventuels prĂ©paratifs aux lĂąchers. "Ici, c'est le fief des pro-ours. Je ne suis pas le bienvenu si je viens la journĂ©e", se marre Olivier Maurin. La maire, Elisabeth MĂ©dard, est favorable au plantigrade et la commune accueille sur ses estives Elise ThĂ©bault, la bergĂšre pro-ours que franceinfo avait rencontrĂ©e en juillet.
Un débat improbable au bout d'une piste
Au bout de la piste de Séberry, les phares du pick-up réveillent les deux occupants d'un véhicule immatriculé en AriÚge. Un dialogue de sourds entre opposants et partisans de l'ours démarre, au beau milieu de nulle part et à 1h30 du matin. "Comment vous expliquez qu'en Slovénie ils n'aient pas de problÚme alors qu'ils ont 500 ours ?", attaque le plus ùgé des Ariégeois. "Il y a des bergers en Slovénie ?", réplique Olivier Maurin. "Oui", insiste son interlocuteur. Le Béarnais éclate d'un rire moqueur. La conversation se tend un peu plus quand l'Ariégeois comprend qu'il a affaire au chef de file des anti-ours. "On vous cherchait aujourd'hui pour vous mettre en prison", plaisante à moitié le vieil homme. L'éleveur fait mine de présenter ses poignets pour qu'on lui passe les menottes, avant de s'éloigner. "C'est de la milice ce qu'il fait ce gars-là . Il ne faut pas faire entendre que leur point de vue, beaucoup de bergers sont en infraction et ne respectent pas les mesures de protection", nous glisse le partisan de l'ours.
"Mais c'étaient qui ces mecs ? Ils font quoi là à dormir dans leur voiture. Ils ne sont pas là par hasard !", peste Olivier Maurin en claquant la portiÚre de son pick-up. Il attrape un stylo pour noter la plaque d'immatriculation. "Je connais un gendarme qui me les vérifie. Il me tarde d'avoir son nom à ce type", lùche-t-il. Dans les vallées du département, pro et anti-ours se marquent de prÚs depuis l'annonce de la réintroduction, en mars, et le climat ne cesse de se tendre. Avant de reprendre la route, l'éleveur vérifie son portable. "Je n'ai pas beaucoup de messages ce soir. Ou il ne se passe rien, ou certains ont baissé la garde par endroit", s'inquiÚte-t-il.
"On emmerde des ours qui sont trĂšs bien lĂ oĂč ils sont"
A Sarrance, la soirĂ©e est dĂ©jĂ bien avancĂ©e autour du brasero. Passablement Ă©mĂ©chĂ©, un jeune berger rĂ©pĂšte Ă la cantonade qu'il faut "dĂ©foncer les Ă©colos de la vallĂ©e d'Aspe, ces gens qui viennent nous dire comment il faut vivre". A ses cĂŽtĂ©s, Moncef, 28 ans, et Maria, 24 ans, tiennent un discours bien plus structurĂ©. Le couple prĂ©voit de s'installer Ă Etsaut au prochain printemps sur une estive situĂ©e dans la zone Ă ours et s'est dĂ©cidĂ© Ă passer le permis de chasse, pour se protĂ©ger. "Le gars prĂ©cĂ©dent n'arrĂȘte pas d'ĂȘtre emmerdĂ©, assure Moncef. Ce n'est pas vivable comme situation. LĂ , je peux ĂȘtre ici mais dĂšs que la rĂ©introduction sera faite, je devrais ĂȘtre 24 heures sur 24 avec les brebis".
On a le droit d'avoir un peu de tranquilitĂ©. Personne n'a envie de travailler H24. MĂȘme le prĂ©sident ne le fait pas
Moncef, bergerĂ franceinfo
Guoguenard, le jeune homme propose de rĂ©introduire des pandas dans les montagnes, "une vraie espĂšce en voie de disparition". "LĂ , on va emmerder des ours qui sont trĂšs bien lĂ oĂč ils sont, leur coller le stress du transport et nous Ă leurs trousses", constate-t-il. Sa compagne ne comprend pas non plus l'intĂ©rĂȘt Ă©cologique de l'opĂ©ration : "Il y a d'autres espĂšces vraiment en voie de disparition comme le lynx et on n'en fait pas tout un bordel." Originaire d'Espagne, la jeune femme se demande si "le lobby industriel n'a pas fait un chĂšque au ministre pour nous mettre l'ours et se dĂ©barasser des petits producteurs de montagnes". Entre les soupçons d'ĂȘtre placĂ©s sur Ă©coutes et les thĂ©ories du complot, la dĂ©fiance envers l'Etat est gĂ©nĂ©ralisĂ©e chez les opposants.
Une information judiciaire ouverte
L'Etat, justement, surveille de prÚs les opposants. Le communiqué de la Fédération transpyrénéenne des éleveurs de montagne annonçant l'arrivée de guetteurs "souvent armés" sur les rives du gave d'Aspe a déclenché l'ouverture d'une information judiciaire. "Cette volonté non masquée peut correspondre à une tentative de chasse dans des conditions illégales sur espÚce protégée", a commenté la procureure dans les colonnes de Sud Ouest. "Ce n'est pas parce que certains occupent le terrain qu'il faut se laisser intimider", expliquait cette semaine à franceinfo Gérard Caussimont, président du Fiep, l'une des associations qui s'est émue de ces déclarations. Olivier Maurin espÚre que la justice se saisira avec autant de célérité des menaces de mort qu'il a reçues par courrier et pour lesquelles il a déposé plainte.
Dans le bidon de tÎle, la derniÚre bûche se consume sous le regard pénétré d'un bouledogue en peluche, affublé d'un t-shirt "Non à l'ours". Il est six heures du matin et les guetteurs, les yeux rougis de fatigue, lÚvent le camp, sans avoir aperçu la Fiat de l'ONCFS ou tout autre véhicule suspect. D'autres prendront le relais la nuit suivante. Des tours de garde sont organisés toute la semaine. "AprÚs, il sera trop tard pour réintroduire les ours avant qu'ils n'hivernent, veut croire Olivier Maurin. Si on tient la semaine, ce sera bon."
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