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Prix du pain : la sécheresse va-t-elle nous mettre dans le pétrin ?

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Des baguettes de pain lors d'une compétition de boulangerie, à Paris, le 6 octobre 2021.  (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Le temps sec et chaud inquiète les agriculteurs, notamment ceux qui cultivent le blé. Le pain, aliment de base, pourrait souffrir en bout de chaîne d'une sécheresse, alors que l'inflation est déjà galopante.

Guerre en Ukraine, crise de l'énergie, inflation mondiale persistante et maintenant, la sécheresse. Dans le superbingo du ticket de caisse, le pain figure parmi ces incontournables – rappelons que le Français est biologiquement constitué à 90% d'eau et de mie – dont le prix a récemment augmenté. Après plusieurs mois particulièrement secs, "les cultures d'hiver, comme le blé ou l'orge, qui sont aujourd'hui en phase de développement, commencent à connaître des situations qui vont affecter les rendements", a prévenu lundi 9 mai le ministère de l'Agriculture. La sécheresse "aura un impact sur la production de céréales", a-t-il ajouté, sans pouvoir encore en déterminer l'ampleur.

A l'heure où le plein d'essence devient un luxe et où trouver une bouteille d'huile de tournesol rappelle les heures les plus sombres de la chasse au Pokémon, le réchauffement climatique et ses conséquences sur l'agriculture vont-ils aussi faire du passage à la boulangerie une épreuve ?

Une sécheresse à un moment crucial

En moyenne, en France, ce mois d'avril a enregistré un déficit de 25% de pluviométrie. A l'issue d'un hiver sec qui, dans de nombreuses régions, n'a pas permis de recharger les nappes phréatiques, dans les champs de blé, cette sécheresse tombe au pire moment. Depuis le début du mois de mai et jusqu'en juin s'y joue un moment "crucial pour le nourrissement du grain", a expliqué à franceinfo Joël Limouzin, le vice-président de la FNSEA et président de la chambre d'agriculture de Vendée.

Car les conditions d'aujourd'hui font la récolte de demain, appuie Serge Zaka, agroclimatologue au sein de la société ITK, spécialisée dans l'application de l'intelligence artificielle à l'agriculture. Il décrit les étapes clés de la croissance de la plante de blé, toutes essentielles : "La première détermine le nombre d'épis sur la plante. La seconde, le nombre de grains sur chaque épi. Enfin, la dernière phase détermine la taille de ces grains", résume-t-il. Pour que ces derniers grossissent, "la plante draine de la matière organique dans le sol et, pour que ce drainage ait lieu, il faut de l'eau pour la faire circuler". Qui dit manque d'eau, dit également sacrifice, la plante abandonnant des épis pour se consacrer à la survie d'un autre. En langage agricole : une perte de rendement.

Des épis de blé dans une exploitation de Valence, dans la Drôme, le 21 mai 2020.  (NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS / AFP)

Or, "après le 15 juin, le rendement est fixé. Même s'il pleut, c'est trop tard", souligne-t-il. Déjà, les simulations et les témoignages d'agriculteurs, nombreux à partager leur quotidien sur les réseaux sociaux, font état de pertes de 5 à 10% du rendement sur les sols les moins profonds – qui peuvent contenir moins d'eau –, relève le spécialiste. "D'ici à dix jours, on aura à peu près des pertes de 10% de rendement sur les sols plus profonds également. Et dans l'hypothèse d'une sécheresse qui perdurerait jusqu'en juin, le scénario catastrophe, ces pertes pourraient atteindre 40%", craint Serge Zaka. Pire, cette sécheresse menace "tous les bassins de production du blé tendre [qui sert essentiellement à la boulangerie] jusqu'en Pologne, soit une grosse partie de la récolte européenne".

Un marché du blé mondial…

Heureusement, "le prix du blé se fixe sur le marché international en fonction non pas de la sécheresse en France ou en Europe de l'Ouest, mais en fonction des conditions climatiques globales", relève l'économiste Christian de Perthuis. Ainsi, les aléas climatiques ou géopolitiques régionaux, tels que cette sécheresse ou encore les conséquences de la guerre en Ukraine, peuvent être compensés à l'échelle planétaire par de bons rendements dans d'autres régions du monde. "Le marché se fait par la confrontation d'une offre globale avec des exportateurs d'un côté et, de l'autre, une demande qui évolue aussi au gré des conditions de récolte des gros importateurs", poursuit le fondateur de la chaire Economie du climat à Paris-Dauphine.

"Ce que dit Météo France pour les trois prochaines semaines, ce n'est pas ce qui fait le cours du blé."

Christian de Perthuis, économiste

à franceinfo

On observait déjà une hausse des prix avant même "l'effet Ukraine", poursuit le spécialiste. Pour la Banque mondiale, le blé pourrait coûter 370 dollars la tonne en 2024, soit une hausse de 59% par rapport à 2020. Le prix de la baguette, lui, augmente bien moins vite, et de manière continue, à en croire les relevés de l'Insee. En mars 2022, le kilo de pain baguette coûtait 3,66 euros, soit 9 centimes de plus qu'en mars 2021. Quatre ans plus tôt, il s'établissait à 3,49 euros.

Pour contenir cette hausse, ce sont pour l'instant les boulangers qui se serrent la ceinture : le réseau de boulangeries Ange a décidé de maintenir la baguette à 1 euro, tandis qu'un boulanger breton, rencontré par France 2, a choisi de renoncer à l'emballage pour compenser le coût de la farine. A Paris, une boulangerie a augmenté ses prix, mais sans toucher à l'emblématique baguette, rapporte Le Parisien.

Alimentation : les boulangers en lutte contre la montée des prix
Alimentation : les boulangers en lutte contre la montée des prix Alimentation : les boulangers en lutte contre la montée des prix (France 2)

… exposé au réchauffement climatique…

Une hausse qui, bien que "multifactorielle", est "en partie liée à des événements climatiques", rappelle Christian de Perthuis. "Comme avec ce qu'il s'est passé au Canada, l'année dernière. Vous vous souvenez de ce record de chaleur ?" Quand l'Ouest canadien a flirté avec les 50 °C à la toute fin du mois de juillet et que des communes entières sont parties en fumée ? Oui. "Eh bien, la récolte du pays a pratiquement baissé d'un tiers, ce qui n'a été que partiellement compensé par de très bonnes récoltes en Australie”, poursuit l'économiste.

Dans ses prévisions mises à jour au 6 mai, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, "prévoit toujours une croissance de la production mondiale de blé cette année". Mais ce constat cache plusieurs problèmes. Le premier : cette année, c'est en Russie que les conditions sont les meilleures, alors même que l'accès à cette production est compromis en raison du conflit en Ukraine. Le deuxième : les Etats-Unis et l'UE connaissent des conditions de sécheresse, la production n'étant stabilisée que grâce à l'accroissement de la superficie ensemencée. Or, utiliser davantage de surface pour produire une quantité identique ne va pas franchement dans le sens de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Enfin, combien de temps avant que le réchauffement climatique n'affecte massivement les récoltes en divers endroits de la planète ?

Dans son dernier rapport, le Giec confirme que la hausse de la température moyenne dans le monde s'accompagnera d'une multiplication et d'une intensification des évènements extrêmes, notamment des sécheresses, et ce, dans plusieurs régions du globe.

A l'inverse, des phénomènes de précipitations intenses doivent aussi accompagner le réchauffement climatique : une autre calamité pour les cultures, "qui ont besoin de pluies faibles à modérées, qui tombent sur la durée et percolent dans les sols", explique Serge Zaka. Pour le spécialiste, l'agriculture doit user de tous les leviers possibles pour s'adapter, de l'attention accrue à la conservation des sols à l'évolution des espèces et des variétés de plantes cultivées sur les territoires.

… comme aux prix de l'énergie

Autre menace sur la matière première, donc sur ces cours à venir : l'énergie. "Le prix du blé, c'est de l'ordre de 10 à 15% du prix du pain", nuance Christian de Perthuis, qui rappelle que l'"on consomme peu de produits agricoles bruts". "Donc dans l'augmentation des prix alimentaires, il y a l'impact des prix des matières premières brutes agricoles, mais aussi la hausse du coût de leur transformation."

Or, de ce point de vue là aussi, la situation est instable. "Pour produire du pain, il faut de la farine, mais aussi de l'énergie, rappelle l'économiste. Soit directement, pour faire marcher les tracteurs, soit indirectement, via les engrais utilisés par les agriculteurs."

"Fabriquer de la farine demande de l'énergie pour faire tourner les moulins ; le boulanger a besoin d'énergie pour faire marcher le four dans lequel il fait cuire le pain à 4 heures du matin, etc. Tout ça est loin d'être négligeable."

Christian de Perthuis, économiste

à franceinfo

De l'épi de blé à la boulangerie, les prix de l'énergie, qui connaissent une forte augmentation ces derniers mois, s'ajoutent à la hausse du prix des matières premières et se répercutent donc aussi sur le coût de notre baguette – en mars 2022, les prix de l'énergie étaient quatre fois plus élevés qu'au même moment en 2020. Si l'ensemble des produits alimentaires sera touché par cette augmentation, le pain reste un symbole au croisement des crises de notre temps.

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