Crise agricole : "Les agriculteurs ont besoin de parler et d'être écoutés"
Depuis 2014, une plateforme d'écoute a été mise en place pour aider les agriculteurs en difficulté. Le nombre d'appels a triplé en 2016.
C'est une preuve supplémentaire du mal-être de toute une profession. La plateforme Agri'écoute, lancée en 2014 par la Mutuelle sociale agricole (MSA) a enregistré en 2016 trois fois plus d'appels d'agriculteurs en détresse que l'année précédente, a révélé sur Europe 1 le président de la MSA. Sur les six premiers mois de l'année, cette permanence chargée de prévenir les suicides chez les agriculteurs a reçu 1 700 appels, soit 285 en moyenne par mois.
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Pour mieux comprendre comment s'explique cette hausse, et savoir comment étaient pris en charge les agriculteurs en difficulté, franceinfo a interrogé Véronique Maeght-Lenormand, médecin et conseiller technique à la caisse centrale de la MSA.
Franceinfo : Comment expliquez-vous cette impressionnante augmentation ? Le dispositif est-il mieux connu des agriculteurs, ou est-ce leur situation qui s'est aggravée ?
Véronique Maeght-Lenormand : C'est une conjugaison des deux. Le bouche-à-oreille fonctionne entre les familles et les exploitations. Mais vu le nombre d'appels supplémentaires, on est forcé de constater que la conjoncture économique et climatique pour ces agriculteurs est extrêmement défavorable. Si vous rajoutez les crises sanitaires, comme les abattages de volailles en raison de la grippe aviaire, on voit bien que le monde agricole est complètement chamboulé. Et les agriculteurs sont les toutes premières victimes.
A quel moment un agriculteur en difficulté est-il susceptible d'appeler ?
Dans la grande majorité des cas, il ne s'agit pas de personnes au bord du suicide. Ce sont plutôt des agriculteurs qui ont besoin de parler, de partager leur souffrance et surtout d'être écoutés. On sait également à quel moment ils nous appellent. On a remarqué que, si en 2015 les agriculteurs nous appelaient majoritairement le samedi et le dimanche, depuis le premier semestre 2016, c'est plutôt en semaine et le matin.
Ce qui est intéressant également, c'est que les durées d'appel sont entre 8 et 10 minutes, voire plus. C'est plus long par rapport à 2015 et plus long que les autres personnes qui s'adressent à ces associations. Pour les écoutants, c'est un signe tangible que ces personnes ont besoin de parler.
Si une personne semble en grande difficulté, que pouvez vous faire ?
Si l'écoutant ressent un grand risque de passage à l'acte suicidaire, il peut proposer à la personne d'appeler les pompiers ou le Samu. Mais depuis 2014, nous n'avons pas eu de signalement spécifique remonté par ces bénévoles. En revanche, il faut savoir que ces bénévoles ne connaissent pas le numéro de la personne qui leur parle, et on ne peut donc pas remonter jusqu'à eux.
Par quelles phases passe un agriculteur en difficulté ?
Cela commence par un découragement, quand ils ont la sensation de ne pas avoir les outils ou les capacités pour surmonter les épreuves qu'ils peuvent rencontrer. C'est un grand stress. C'est le début d'une phase dépressive. Dans ces cas-là, cela se traduit par une autodévalorisation. Des signes physiques peuvent alors apparaître : un pouls qui s'accélère, des bouffées de chaleur, des troubles digestifs, comme avoir la boule au ventre. On constate aussi une perte d'appétit et des insomnies.
Si on ne réagit pas et qu'il n'y a pas d'accompagnement, c'est la dépression moyenne voire grave. A ce moment-là, les personnes sont véritablement en souffrance. Les agriculteurs baissent alors les bras, se résignent sur leur état. C'est là où ils se sentent vraiment seuls. Mais en réalité, ils le sont déjà, car ils se sont le plus souvent renfermés sur eux-mêmes, ne sortent plus, ne répondent plus au téléphone. La phase ultime, c'est de penser que la seule façon de ne plus souffrir, c'est d'en finir.
Les difficultés économiques actuelles, l'isolement géographique et social que connaissent les agriculteurs sont des facteurs évidemment aggravant.
Que faire pour empêcher cette descente aux enfers ?
Il faut en priorité créer un lien pour leur redonner confiance. Leur redonner confiance et leur dire qu'ils ne sont pas seuls. Ce dispositif d'écoute est là pour cela. Nous avons passé une convention avec deux associations d'écoutants spécialisés : SOS amitié et SOS suicide phénix. Ce sont des bénévoles. Concrètement, les agriculteurs appellent notre numéro national, et sont ensuite redirigés vers les écoutants disponibles. Il s'agit d'écoute anonyme et ils ne posent pas de question.
Ce dispositif est complété par ce que l'on appelle une cellule pluridisciplinaire de prévention. C'est un autre pan de notre dispositif, sans rapport direct avec Agri'écoute. En cas de signalement d'un agriculteur en difficulté par des proches ou de son propre fait, on réunit plusieurs métiers : des travailleurs sociaux, des médecins du travail, des professionnels de la santé et de la sécurité au travail, des services de santé ou des services dits "techniques" (cotisations, prestations)… Ils prennent contact avec l'agriculteur en se rendant dans son exploitation pour analyser son dossier et essayer de comprendre son problème, s'il est social, familial, médical ou financier. En 2014, les 34 cellules en France ont eu 1 009 cas signalés, dont 30 % à risque. En 2015, ce nombre a légèrement augmenté, avec 1 106 cas et 243 situations critiques soit 22 %.
Est-ce suffisant ?
Bien évidemment que non. Ce que les agriculteurs en difficulté attendent en priorité, c'est une aide financière. Mais la MSA n'est pas là pour cela. Nous n'avons pas un trésor de guerre pour remettre tout le monde à flot. Ce n'est pas notre vocation. Mais ce lien social que l'on cherche à créer est essentiel pour aider à traverser cette mauvaise période.
Pour contacter Agri'écoute : 09 69 39 29 19
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