Colère des agriculteurs : comment le Rassemblement national tente de capitaliser sur le mouvement en vue des élections européennes

A moins de cinq mois du scrutin, le parti d'extrême droite est au chevet des agriculteurs, qui réclament au gouvernement un soutien financier.
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Le chef du Rassemblement national, Jordan Bardella, et Edwige Diaz, députée du parti, discutent avec des agriculteurs lors d'une visite à Queyrac (Gironde) le 20 janvier 2024. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Il était venu dénoncer "l'Europe de Macron, qui veut la mort de notre agriculture". Le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, s'est rendu à Queyrac (Gironde), pour rencontrer des agriculteurs en colère, samedi 20 janvier. La tête de liste du parti d'extrême droite aux élections européennes a prôné le "patriotisme économique" et s'est insurgé contre "l'inflation normative" dénoncée par de nombreux agriculteurs. Dans le collimateur de l'homme politique, interviewé au "13 Heures" de TF1 les pieds dans la boue : Bruxelles.

Face à un camp macroniste inquiet du risque d'embrasement, le parti de Marine Le Pen entend se poser en défenseur des agriculteurs français, à environ cinq mois des élections européennes (le 9 juin en France). Les nouvelles actions promises dans la semaine par le patron de Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Arnaud Rousseau, sur France Inter, sont autant d'occasions pour le parti de diffuser son message. "On va sûrement aller à la rencontre des agriculteurs sur les points de blocage" et "continuer à expliquer notre programme", assurait à France Télévisions un député RN avant le déplacement de Jordan Bardella en Gironde.

Des exemples aux Pays-Bas et en Allemagne

L'offensive du RN auprès des agriculteurs "correspond à l'agenda du parti", explique à franceinfo le politologue Eddy Fougier. "Il y a, aujourd'hui, la volonté de capitaliser sur cette colère des agriculteurs vis-à-vis des institutions nationales, des élites politiques, de Bruxelles et du Pacte vert européen", énumère le spécialiste, coauteur d'une note sur "les agriculteurs et le vote FN", en octobre 2016. 

Officiellement, le RN balaie toute volonté de "capitaliser" sur cette colère. Mais le parti d'extrême droite regarde attentivement l'attitude de ses alliés européens, comme Alternative pour l'Allemagne (AFD) et le Parti pour la liberté (PVV) aux Pays-Bas, qui surfent aussi sur la colère du monde agricole, grogne aux raisons multiples en Europe. Outre-Rhin, c'est la suppression d'aides financières sur les carburants qui est à l'origine de la grogne. Aux Pays-Bas, c'est l'interdiction de l'azote qui a poussé les fermiers dans la rue.

La stratégie s'est révélée payante aux Pays-Bas, avec l'explosion du vote populiste aux élections locales du printemps dernier et la victoire de l'extrême droite lors de législatives en fin d'année. A contrario, les agriculteurs allemands rejettent pour l'instant les tentatives de récupération de l'AFD. "Nous ne voulons pas de groupes de droite et radicaux qui désirent renverser le gouvernement lors de nos manifestations", s'est indigné début janvier le président de l'Association des agriculteurs allemands, Joachim Rukwied, auprès du journal Bild.

"Créer le duel avec la majorité"

Les agriculteurs néerlandais et allemands ont en commun de dénoncer l'introduction de mesures visant à lutter contre le réchauffement climatique, notamment liés aux objectifs de neutralité climatique de l'UE. Des cibles de choix pour le RN. "L'UE impose des normes drastiques en matière de pesticides et encourage la décroissance agricole", affirme Edwige Diaz, députée RN de Gironde, à franceinfo. En face, le gouvernement tente de contrer l'offensive de l'extrême droite sur le sujet. Le RN "cherche à souffler sur les braises de la colère et le désespoir des agriculteurs, mais ce n'est que de l'opportunisme électoral pour les élections européennes", a déclaré vendredi auprès de La Dépêche du Midi Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture.

Pour le RN, l'enjeu ne concerne pas uniquement le vote des agriculteurs, qui représentaient 1,5% de la population active en 2019, selon l'Insee. "Ce n'est pas grand-chose, reconnaît un député RN auprès de France Télévisions. Mais le sujet nous permet de créer le duel avec la majorité et d'ancrer la date du 9 juin." 

Hermétiques au vote FN (ex-RN) jusqu'en 2002 et la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour, comme le rappelle Eddy Fougier, les agriculteurs pourraient-ils basculer massivement à l'extrême droite en France ? "Je ne vois pas les agriculteurs se tourner massivement vers le RN. Ils ne sont pas dupes des discours de Jordan Bardella et Marine Le Pen, qui ne sont pas spécialistes du sujet", anticipe François Purseigle, sociologue à l'Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse, dans une interview à La Dépêche du Midi. Prudent, Eddy Fougier n'évoque pour l'heure que des "suppositions" sur le vote des agriculteurs dans quelques mois.

"Les agriculteurs sont pragmatiques, ils vont voter pour les candidats ou les listes qui sont susceptibles d'arriver au pouvoir."

Eddy Fougier, politologue

à franceinfo

"Les agriculteurs sont l'une des professions qui votent le plus. Si l'abstention se développe, c'est déjà un signal", prévient Eddy Fougier. "On a trois défis devant nous : la dispersion des votes, la démobilisation des électeurs qui peuvent se dire que Jordan [Bardella] va gagner, et l'abstention, car l'Union européenne peut apparaître comme éloignée des préoccupations", détaille Edwige Diaz. "Chez les gens désabusés car trahis, le RN pourrait être victime de l'échec des autres partis, par ricochet", ajoute la parlementaire.

Avant l'échéance du 9 juin, deux autres événements sont scrutés par le RN comme par le reste de l'échiquier politique : la présentation du projet de loi sur l'agriculture, reportée de "quelques semaines" comme l'a annoncé Marc Fesneau, ainsi que le Salon international de l'agriculture (SIA), fin février. "Sur le plan agricole, c'est un enjeu absolument crucial", insiste Eddy Fougier. "Si aucune solution n'est trouvée d'ici là, je vous laisse imaginer les images pour le gouvernement", glisse Edwige Diaz. Dans les champs du Médoc ou les travées du grand raout agricole français, le Rassemblement national reste en embuscade.

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