Agriculteurs et défenseurs de l'environnement divisés sur la nouvelle cartographie des cours d'eau
Mercredi, à l'occasion de la journée mondiale de l'eau, franceinfo se rend en Seine-et-Marne, où la nouvelle carte des cours d'eau en préparation en France fait l'objet d'importantes divergences entre agriculteurs et associations environnementales.
De grands champs de betteraves et de céréales survolés par les avions de l'aéroport de Roissy : bienvenue en Seine-et-Marne. Ce département rural, grignoté par l’agglomération parisienne, est le plus "arrosé" d'Ile-de-France. Il est parcouru par 4 300 km de cours d'eau, depuis la Seine jusqu’aux modestes ruisseaux. Des petits cours d'eau... dont certains risquent d'être bientôt déclassés. Comme chaque département français, la Seine-et-Marne est concernée par la nouvelle carte hydrographique en préparation depuis juin 2015.
De petits ruisseaux gommés de la carte
Pour les services de l'État, il s'agit de clarifier la délicate question de l'entretien des écoulements d’eau. "Il y a cinquante ans, on mettait une allumette dans les fossés et ça brûlait tout. Maintenant il faut tout faire à la main", explique Yves Pelletier. Cet agriculteur de Vinantes, à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Meaux, nous embarque sur son tracteur. Son champ est bordé de petits cours d'eau qu'il est chargé d'entretenir. "Il faut avoir les autorisations. On ne sait jamais à qui il faut s'adresser, commente-t-il. Là où c'est compliqué, c'est qu'on ne comprend pas toujours ce qu'on nous demande de faire."
La nouvelle carte en préparation réjouit la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). Concrètement, elle va transformer en de simples fossés ce qui est aujourd'hui souvent considéré comme de petits ruisseaux, rendant ainsi la gestion bien moins contraignante pour les agriculteurs. "La règlementation s'est accumulée", explique Cyrille Milard, secrétaire général de la FDSEA 77, qui réclame le déclassement d'environ 15% des cours d’eau de Seine-et-Marne. La demande est plutôt modeste. Dans l’Ariège par exemple, les agriculteurs réclamaient au départ 35% de déclassements.
Nous avons des difficultés à savoir si tel cours d'eau est un vrai cours d'eau ou un simple fossé, à savoir si on a le droit de l'entretenir ou pas.
Cyrille Milard, FDSEA 77à franceinfo
"Sur le terrain, la peur de mal faire fait que les agriculteurs ont un peu abandonné, poursuit Cyrille Milard. Du coup, les terres s'assèchent moins vite. La conséquence, on l'a vue lors de l'épisode pluvieux dramatique de mai-juin dernier : les canaux embourbés ne font pas office d'évacuation rapide des eaux et on se retrouve avec des villes et des villages inondés."
Les associations veulent protéger les cours d'eau de l'épandage
Non loin du champ labouré par Yves Pelletier, Mireille Lopez, présidente de l'Association de défense de l'environnement de Claye-Souilly et de ses alentours (Adenca), observe le ru [petit ruisseau de faible largeur NDLR] de Beauvais, long d'environ deux kilomètres, qui traverse les champs. Il devrait bientôt être rétrogradé au rang de simple fossé. Ces "coups de gomme" sur la nouvelle carte en préparation inquiètent Mireille Lopez. Elle soupçonne la FNSEA et ses fédérations locales de faire pression pour un maximum de déclassements, afin de supprimer des contraintes en termes d'épandage agricole.
De chaque côté du ru de Beauvais, des bandes d'herbe séparent l'écoulement d'eau des champs cultivés. "Ce ru est un affluent de la Beuvronne, l'une des rivières les plus polluées de Seine-et-Marne. La Beuvronne se déverse dans la Marne, en amont du plus important captage du département, qui fournit en eau potable 500 000 habitants", détaille Mireille Lopez.
Le déclassement de cours d'eau permettra aux agriculteurs de ne plus mettre de bandes enherbées au bord, et donc de cultiver avec pesticides et nitrates tout au bord du cours d'eau.
Mireille Lopez, Adencaà franceinfo
Prouver qu’un écoulement d'eau est bien un ruisseau et pas un fossé n'a rien d'un jeu d’enfant. Dans son bureau situé près de Melun, Laurent Bedu, numéro deux de la direction départementale des territoires, qui dépend de la préfecture, compulse une liasse de documents écrits en petits caractères. Ce dossier est le résultat de deux ans d’un travail de fourmi, mené avec la police de l’eau, les syndicats des rivières et l’association des pêcheurs. "Est-ce qu'on est sur une source ou sur des eaux de drainage collectées ? La limite est parfois floue, explique Laurent Bedu. L'État doit prendre ses responsabilités et fixer les choses. En menant ce travail d'expertise scientifique, on espère que les désaccords seront les moins nombreux possibles."
Après les dernières consultations, moins de 10% des cours d’eau de Seine-et-Marne devraient être rétrogradés en simples fossés agricoles. Certains y perdront les bandes d’herbe qui les isolent de l'épandage... mais pas tous : d'autres réglementations permettront de les maintenir. Les associations environnementales craignent toutefois une seconde offensive des agriculteurs et des services de l'État, visant à demander l’harmonisation de toutes les règlementations de protection.
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