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"À aucun moment on a été consultés" : la fronde des flics de la PJ contre la réforme de la police

Un projet de réforme prévoit de réunir une grande partie des services de police, dont la prestigieuse police judiciaire, à l'échelle du département. De nombreux policiers de la PJ s'inquiètent de perdre leur spécificité et leurs capacités à enquêter.

Article rédigé par franceinfo - Pierre de Cossette
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un membre de la police judiciaire. (DENIS CHARLET / AFP)

Ces derniers jours, sur internet, ils ont remplacé sur l'écusson de la police judiciaire, le fameux tigre par un petit chat inoffensif. Pour attirer l'attention, les enquêteurs de la police judiciaire manient l'humour mais ont surtout monté une association.  Le millier de policiers qui y ont adhéré s'opposent à la réforme de la police portée par Gérald Darmanin. Une fronde d'une rare ampleur dans le milieu de la PJ.

L'objet de leur inquiétude : la nomination d'un responsable unique, un Directeur départemental de la police nationale (DDPN), pour tous les services de police à l'échelle du département : les renseignements, la sécurité publique, la police aux frontières (PAF) et la police judiciaire (PJ) avec la création d'une "filière investigation" recouvrant trois niveaux de difficulté d'enquête. Un sujet dont Gérald Darmanin devait s'entretenir jeudi 1er septembre avec les principaux chefs de la PJ reçus place Beauvau.

Selon ce scénario tant redouté, affirme Franck, membre de la PJ et de l'association, les enquêteurs auraient moins de temps pour traquer les barons de la drogue : "Les Brigades du Tigre n'existeront plus demain. On est mis devant le fait accompli. À aucun moment, on n'a été associés, consultés. Tout ça se fait avec ce sentiment de mépris."

"Moi, personnellement, allez traiter un point de deal au pied d'un immeuble, je n'ai aucune motivation à le faire. Donc je changerai de direction, je partirai."

Franck, enquêteur de la police judiciaire

à franceinfo

Dans les départements où des expérimentations ont été menées, les enquêteurs de la PJ retiennent souvent le négatif, quand on leur demande d’aller s’occuper d’un accident de la route, ou qu’on les encourage à se former au maintien de l’ordre. "Le temps qu’on passera à remplir ces nouvelles missions, en renfort de nos collègues de la sécurité publique, on ne s’occupera pas du haut du spectre de la criminalité", poursuit Franck. Quant à l’idée de récupérer les dossiers de "petit judiciaire" des commissariats, "l’impact sera quasi nul. Un collègue qui travaille sur le niveau 1 de la délinquance, il a 200 ou 300 dossiers."

Courrier dénonçant des risques psycho-sociaux. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Ces derniers mois, 1 300 d’entre eux ont adressé à leur hiérarchie un courrier dénonçant les risques de mal-être au travail et les mettant en garde contre des risques psycho-sociaux.

Les magistrats inquiets eux aussi

Mais les héritiers des brigades du Tigre ne sont pas les seuls à être inquiets. Le monde de la justice l'est aussi. L’ancien procureur de Paris et actuel procureur général près la Cour de cassation, François Molins, est dubitatif : il estime que la réforme est "porteuse d'un certain nombre de dangers" et qu'elle n'allait pas "dans la bonne direction". Frédéric Macé, juge d'instruction et secrétaire général de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI), s'inquiète lui de la charge de travail qui pèsera sur les directeurs départementaux de la police : "Le risque, c'est que ce directeur départemental refuse de mobiliser des moyens, des équipes parfois conséquentes, par exemple pour des perquisitions dans des cabinets d'élus locaux, en nous disant qu'il a d'autres priorités qui lui seront assignées, notamment par le préfet de département qui reste son autorité de tutelle."  Le magistrat évoque même l’idée, lorsqu’il n’y a pas de policiers "compétents et disponibles", de "dessaisir la police et de saisir la gendarmerie".

Ce juge d’instruction redoute aussi la porosité des informations sensibles dans cette nouvelle organisation. "Le secret de l’enquête est un principe cardinal et ce lien direct entre DDPN et préfet nous inquiète, particulièrement sur les enquêtes dites 'sensibles' en matière éco et fi, pouvant mettre en cause élus locaux ou entreprises."

Pour Frédéric Macé, "cette réforme est une véritable révolution au sens propre du terme, un retour en arrière de 115 ans". "C’est une réforme mortifère pour la PJ, ajoute-t-il. Je parlerais même d’une liquidation judiciaire de la filière investigation."

Avis divergents

En interne, les policiers de PJ n’ont ont tardé à recueillir du soutien. "Ce sont des divas", s’agace un commissaire. Franck s’en défend. "Nos collègues de sécurité publique croulent sous les dossiers, nous sommes beaucoup à être passés par là. Mais actuellement, par exemple, avec mes collègues, nous sommes deux ou trois pour travailler sur un réseau d’une dizaine de suspects, avec des surveillances, des filatures… notre sort n’est pas non plus si enviable que cela !"

Les syndicats, eux, sont restés très discrets sur le sujet. "Parce qu’on ne pèse pas assez par rapport au nombre de policiers en sécurité publique", avance un "PJiste", à quelques mois des élections professionnelles.

Au sein de la PJ, quelques voix discordantes se font entendre. "Le fond de la réforme ne pose pas de problème", explique un commissaire qui, sur les soupçons de porosité, relativise : "Nous voyons les préfets toutes les semaines ; jamais l’un d’eux ne m’a posé de questions sur une enquête sensible."

Face à cette fronde, le directeur de la Police nationale Frédéric Veaux a adressé aux enquêteurs un courrier de deux pages pour "ne pas laisser prospérer des informations inexactes" qui circuleraient selon lui sur cette réforme, tout en rappelant que "la lutte contre la petite et la moyenne délinquance (…) mérite la même attention que celle portée [à la] criminalité organisée". En concluant, à la main, "Toujours fidèle à la PJ".

Courrier du directeur général de la Police nationale, Frédéric Veaux. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Côté enquêteurs, la pilule n'est pas passée, pas plus que l’intervention du ministre de l'Intérieur mercredi 31 août. "La police ne peut pas être le seul endroit où l’on ne se réforme pas", a affirmé Gérald Darmanin. Réaction résignée d’un commissaire : "Il n’y a pas d’ouverture".

La réforme doit se faire en 2023. Les grands patrons de la PJ ont demandé des ajustements, pour que certains services spécialisés puissent être préservés.

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