Emploi : où sont les "métiers verts" attendus avec la transition écologique ?
Les secteurs du bâtiment, des transports et des énergies renouvelables sont au cœur de la transition écologique. Toutefois, dans les années à venir, les nouveaux métiers seront rares et les volumes d'emplois identifiés comme porteurs de la transition, relativement faibles.
Le gouvernement ne cesse de le répéter : la transition écologique est l'une des "priorités importantes" de l'exécutif. La Première ministre, Elisabeth Borne, l'accole au "plein emploi", aux "mobilités" et au "développement économique". Souvent présentée comme un levier de croissance, elle permettrait aussi la création nette d'environ un million d'emplois à l'horizon 2050, selon les estimations de l'Ademe, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
The Shift Project, un groupe de réflexion spécialiste de la transition énergétique, livre quant à lui le chiffre de 300 000 emplois nets créés d'ici à 2050, dans une économie décarbonée, si la France tient ses objectifs climatiques. Derrière cette estimation : 1,1 million de créations et 800 000 destructions. Mais où ces fameux "greens jobs" se trouvent-ils aujourd'hui ? Et où sont-ils appelés à se développer dans les prochaines décennies ?
Des métiers encore très minoritaires
Ces emplois liés à la transition écologique se répartissent en deux catégories. D'abord, les professions dites "vertes", à finalité environnementale, à l'image des gardes-forestiers ou des agents d'entretien des rivières, comme l'explique Pôle emploi. Quelque 140 000 personnes sont concernées en France (soit 0,5% de l'emploi total), d'après les derniers chiffres présentés dans le bilan environnemental 2021 de la France (PDF).
Après ce premier cercle se trouvent les métiers dits "verdissants", selon l'expression utilisée par le ministère de la Transition écologique. Il s'agit d'emplois touchés par la transition, sans pour autant avoir de finalité directement environnementale. Environ 3,8 millions personnes sont concernées en France dans des secteurs variés : bâtiment, transports, industrie, recherche et développement, agriculture. Il peut s'agir de l'architecte qui se perfectionne sur les nouvelles normes environnementales, de l'ouvrier automobile qui se forme sur la maintenance de véhicules électriques ou du concepteur d'éco-emballages. Au total, les métiers verts et verdissants représentent 14,5% de l'emploi toutes professions confondues, selon le ministère.
D'autres organismes, comme l'Observatoire national des emplois et métiers de l'économie verte (Onemev), procèdent, en plus, à une distinction entre "éco-activités" et "activités périphériques", par exemple, ce qui prouve la difficulté à définir les métiers liés aux enjeux environnementaux. Mais, "quelle que soit l'approche retenue, les volumes d'emplois identifiés comme porteurs de la transition écologique sont faibles", tranche le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq).
La rénovation des bâtiments, un gisement d'emplois
Si le nombre de postes reste faible, la dynamique de création d'emplois est toutefois forte dans plusieurs domaines. Trois secteurs ont enregistré une hausse des emplois de 72% depuis 2006, selon l'Ademe (PDF) : les "transports terrestres sobres en énergie et peu émetteurs", les "énergies renouvelables et de récupération" et l'"efficacité énergétique du bâtiment résidentiel". Dans ce trio, qui cumulait 357 000 équivalents temps plein (ETP) en 2019, plus de la moitié des ETP se concentrent sur la rénovation du bâtiment résidentiel. L'Insee confirme d'ailleurs que le secteur du bâtiment regroupe 37% de l'emploi des professions verdissantes.
Et l'activité ne manque pas. Quelque 500 000 rénovations énergétiques sont envisagées en 2022. Et 800 000 dossiers MaPrimeRénov' sont attendus d'ici à la fin de l'année, d'après le site gouvernemental France Renov'. Il annonce aussi que 150 000 emplois relatifs à la rénovation énergétique sont disponibles dans le BTP.
Une part importante d'ouvriers
Problème : dans le même temps, une forte tension touche l'emploi dans le bâtiment. "Il y a une pénurie très claire. Tout l'enjeu est de se préparer à cette pénurie qui va s'aggraver", alerte auprès de franceinfo Frédérick Mathis, président de l'Ecole de la transition écologique, qui forme aux métiers manuels de la transition.
"La formation et le développement de compétences, c'est le goulot d'étranglement de la transition écologique."
Frédérick Mathis, président de l'Ecole de la transition écologiqueà franceinfo
L'enjeu est grand pour les métiers manuels. Près d'un tiers (31%) des personnes dont le métier est vert ou verdissant dispose d'un diplôme de niveau CAP/BEP, contre 24% pour l'ensemble des métiers. Une proportion qui s'explique par le nombre élevé d'ouvriers dans les secteurs concernés. "Cela fait soixante ans que les métiers manuels sont dévalorisés, mais il y a du potentiel, de l'emploi bien rémunéré. Et il peut y avoir du sens" par rapport à la question environnementale, ajoute Frédérick Mathis, citant l'exemple des soudeurs, indispensables, notamment, pour les éoliennes.
Des ingénieurs pour des études d'impact
Toutefois, la transition écologique n'oublie pas les diplômés du supérieur. Elle concerne notamment les ingénieurs qui travaillent dans des industries verdissantes (comme l'automobile ou l'aéronautique). Ces profils (bac+3, bac+5) sont par exemple employés dans la recherche et le développement, l'industrie (contrôle-qualité et design industriel), les achats, mais aussi dans le domaine de la conception, selon le ministère de la Transition écologique.
Les consultants se verdissent aussi, à l'image de Thomas Binet, économiste et ingénieur agronome de formation. Avec son cabinet Vertigo Lab, engagé sur les questions environnementales, il accompagne des entreprises et des collectivités dans la transition écologique à l'aide de spécialistes de l'économétrie (une branche de l'économie centrée sur les chiffres), de comptables ou encore de data analystes.
"Le cœur du réacteur de la transition écologique passe par les chiffres. Il faut absolument compter pour l'accompagner."
Thomas Binet, économiste et agronomeà franceinfo
"Nous faisons de la mesure d'impact. Nous l'avons fait sur le vélo, le gaspillage alimentaire", illustre-t-il. Il relate également avoir travaillé pour la ville de Poitiers et son agglomération sur "l'impact socio-économique de la place de l'avion sur le département, son empreinte carbone, l'impact des vols. On mesure, on propose, on défend des scénarios et les décideurs tranchent", résume-t-il.
La transition écologique fait également émerger de nouvelles casquettes, comme celle de "chef de projet biodiversité". "Les entreprises ont un impact sur l'environnement, mais aussi un impact sur la biodiversité, sur les espèces, la faune, la flore. Elles doivent le limiter", expose, auprès du site spécialisé Studyrama, Armand de Coussergues, président de l'Institut supérieur de l'environnement. Il mentionne aussi le "chef de projet bas carbone". Son rôle consiste à s'assurer que les projets de son entreprise respectent les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone, la feuille de route française pour suivre l'accord de Paris.
Peu de vrais nouveaux métiers
Les métiers de demain émergent, mais France Stratégie nuance le tableau. "Il n'y a pas de création massive de métiers 'véritablement nouveaux' liés à la transition écologique", a asséné l'institution autonome placée auprès de la Première ministre, en 2021. Les rares nouveaux métiers sont surtout concentrés dans des filières comme celle des énergies renouvelables. En effet, "ces métiers spécifiques nécessitent souvent un niveau élevé de qualification : technologies nouvelles, compétences pointues ou hybrides".
Le Cereq va dans le même sens, rapportant que différentes analyses "n'ont pas dévoilé de nouveaux métiers en tant que tels, mais mis en évidence différentes recompositions des compétences". Une vague de reconversions, en somme.
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