Réforme de l'assurance chômage : l'économiste Éric Heyer s'inquiète "d'effets de bord" qui pénaliseraient une partie des chômeurs
Le directeur du département analyse et prévision à l'Observation français des conjonctures économiques de Sciences Po rappelle que seuls 48 % des chômeurs sont indemnisés.
"On est en train de jouer sur 8 % des chômeurs indemnisés [qui ne voudraient pas retrouver un emploi], avec le risque qu'il y ait des effets de bord" sur les autres chômeurs qui n'y arrivent vraiment pas, analyse l'économiste Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l'Observation français des conjonctures économiques de Sciences Po, mercredi 1er décembre sur franceinfo, alors que le durcissement de l'accès à l'indemnisation chômage entre en vigueur ce jour : il faut maintenant avoir travailler six mois pendant les deux années précédentes pour y avoir accès, contre quatre mois auparavant.
franceinfo : Pensez-vous, comme le gouvernement, que tous les clignotants sont au vert pour l'entrée en vigueur des nouvelles règles de l'assurance chômage ?
Il faudrait être un peu plus prudent dans la mesure où on a vu une remontée du chômage dans les derniers chiffres. Le taux de chômage de référence est remonté à 8,1 %. On est revenu à peu près au niveau d'avant crise de ce point de vue-là mais avec tout de même des petits doutes sur les créations d'emplois dans les mois à venir. C'est vrai que ce n'est pas la catastrophe annoncée, ce n'est pas le million de chômeurs supplémentaires, mais j'aurais été un peu plus prudent quand le gouvernement dit que ça y est, tout va bien sur le front de l'emploi.
Le gouvernement espère que le durcissement de l'accès aux allocations va inciter à trouver un emploi. Est-ce un pari gagnant, selon vous ?
C'est un pari risqué. L'aléa moral, c'est-à-dire le fait que certains chômeurs n'acceptent pas des offres d'emplois et préfèrent jouer avec le système, doit bien exister. Pôle emploi a tenté de l'évaluer et sur les chômeurs indemnisés il y aurait 8 % qui effectivement ne chercheraient pas activement un emploi et refuseraient des offres d'emplois. Donc on est en train de jouer sur 8 % des chômeurs indemnisés, avec le risque qu'il y ait des effets de bord, c'est-à-dire des chômeurs qui n'arrivent pas à travailler plus que quatre mois, pas de leur fait mais parce qu'il y a des difficultés tout de même pour trouver un emploi pour un certain nombre de personnes, et qui seraient pénalisés. On voit bien que les économies évoquées, les 800 millions d'euros, porteraient sur ces chômeurs-là qui ne sont pas des chômeurs aisés.
La mesure peut-elle être réellement efficace pour inciter les chômeurs à retrouver un emploi alors que la moitié d'entre eux ne touchent déjà pas d'indemnités ?
Il n'y a que 48 % des chômeurs qui sont indemnisés. La majorité des chômeurs ne le sont pas. Et donc pour eux cette réforme ne sera ni plus ni moins incitative. Ça ne change rien. On essaie vraiment de jouer sur une fraction de la population, il faut quand même avoir ça en tête. Il me semble qu'un des buts mêmes de cette réforme est de faire des économies.
"En année pleine, ça ferait un peu moins de deux milliards d'euros d'économie donc on essaie de rendre le système un peu moins généreux pour faire des économies."
Éric Heye, économisteà franceinfo
La dégressivité des indemnisés des cadres à partir du septième mois d'allocations peut-elle les aider également ?
Là, pour le coup, il y a une littérature académique qui s'est penché sur la question et il ressort que la dégressivité n'est pas un bon système pour retrouver un emploi. C'est un bon système pour faire des économies en revanche. Globalement, pour faire des économies, vous incitez des chômeurs aisés à reprendre très vite un emploi qui n'est pas forcément au niveau de leurs compétences et donc ils prennent la place d'un autre chômeur qui aurait pu répondre à ces offres d'emploi. Pour l'Unedic c'est bien parce que, globalement, vous enlevez un chômeur qui coûte cher et vous gardez un chômeur qui coûte moins cher, c'est comme ça que vous faites des économies, mais en termes de nombre de chômeurs, ça ne change rien. Il y a toujours le même nombre. C'est vraiment une mesure qui vise à faire des économies. En plus, la littérature nous montre qu'une personne qui a accepté un emploi qui n'est pas dans ses compétences n'est pas satisfaite, n'est pas épanouie au travail, sa productivité baisse et donc, finalement, même l'économie n'en sort pas gagnante dans l'histoire.
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