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Les congés illimités, une fausse bonne idée?

Imaginez pouvoir prendre autant de vacances que vous le souhaitez. Des start-up françaises, suivant l'exemple de la Sillicon Valley, le font désormais avec des résultats encourageants.

Article rédigé par franceinfo - Anna Pereira
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
L’objectif principal des congés illimités est de conserver la motivation de l'équipe à son zénith. (LINDA KALLERUS / KOBAL)

Des vacances illimitées ? Le concept peut faire sourire, mais ce n'est pas une utopie, mis en place depuis plusieurs années chez certaines entreprises de la Sillicon Valley, il s'exporte maintenant en France. Comme Indeed, ou Kwaga, plusieurs start-ups tentent l'expérience. Suivant l'exemple de Netflix, dès 2004, puis  Evernote ou encore VMware, ils s'interdisent de réglementer les vacances. 

Pour la société californienne, la clé d'une bonne gestion de ses équipes est la confiance. Les patrons ne "fliquent" pas leurs salariés, car ils considèrent que ce sont des adultes responsables. Ils leur offrent des vacances illimitées : s'ils partent se reposer, c'est qu'ils en ont besoin et qu'ils seront plus performants dans leur travail à leur retour. Francetv info éclaircit pour vous le principe de congés illimités, tout en essayant de comprendre à quel point il est compatible avec le droit du travail français. 

Renforcer la motivation et la cohésion d'équipe

Introduit en France par quelques start-ups, le modèle semble bien fonctionner pour ce type d'organisation. C'est le cas de la start-up parisienne Kwaga : dans cette entreprise de onze salariés qui propose un service de mises à jour automatique des carnets d'adresses, les vacances sont devenues illimitées. 

Avec cette pratique, les salariés peuvent donc prendre autant de congés payés qu’ils le souhaitent, quand ils le souhaitent, il leur suffit d'informer le reste de l’équipe pour que les projets continuent d'avancer. L’objectif principal, au-delà de la simplification administrative qui reste marginale sur une équipe de petite taille, est de conserver la motivation de l'équipe à son zénith : "Je suis convaincu que le succès d’une start-up repose sur la cohésion, la créativité et l’envie de travailler ensemble de son équipe. Au final, je pense que cela contribue à la motivation et à la cohésion de l’équipe" explique Philippe Laval, fondateur de Kwaga.

Les salariés gagnent en autonomie

Le concept fonctionne d'autant plus dans des entreprises comme les start-ups, où l'évolution de l'entreprise doit beaucoup à l'enthousiasme de ses salariés : "Oui, c’est un argument de plus dans le processus de recrutement mais je ne pense pas qu’il soit central : on ne se retrouve pas par hasard dans une start-up", confirme Philippe Laval. "Plus largement, le projet start-up est parfaitement adapté : la plupart du temps, les start-ups n’ont qu’un seul produit sur lequel l’ensemble des forces de l’entreprise est concentré. De ce fait, chacun est réellement concerné par l’avancement du projet et se soucie de l’efficacité globale de l’équipe."

Indeed est une entreprise américaine implantée depuis quatre ans dans une quinzaine de pays européens. Leur ambition : faciliter les recrutements et embauches à un niveau international. Depuis janvier 2016, ils appliquent le même système de congés illimités dans toutes leurs filiales. "Cette volonté de rendre de l'autonomie aux salariés et managers va de paire avec la culture globale de l'entreprise" explique Arnaud Devigne, le directeur manager de la succursale française. "Notre objectif est d'aider les gens à trouver des jobs, et pour cela, il faut des employés engagés et motivés. On compte sur la capacité de chaque individu à être responsable et à gérer la faisabilité de leur départ par rapport au reste de l'équipe."

Les entreprises gagnent en productivité

L'expérience se révèle aussi positive pour les employeurs, vu que leurs employés profitant de ces congés ont tendance a gagner en productivité à leur retour. Du coup, des entreprises comme Evernote ont même instauré un système d’incitation à partir en vacances : une subvention de mille dollars pour une semaine complète de congés. Il leur suffit de présenter leur billet d’avion et de proposer un petit compte-rendu à leurs collègues restés travailler.

"Le monde du travail évolue, dans l'univers des services en particulier, quand on travaille avec l'immatériel, la flexibilisation est totalement possible. Nous travaillons à l'international, sur des fuseaux horaires différents, principalement avec internet, nous sommes mobiles, il n'y a plus de raison pour avoir autant de rigidité de la part des entreprises", poursuit Arnaud Devigne. "Il y a tellement de grandes entreprises qui pourraient appliquer ce type de congés mais se sentent obligés de suivre le dogme."

Ses salariés le confirment : Agnès Gicquel travaille dans l'univers des start-ups depuis 15 ans. "En arrivant à Indeed, c'est la première fois que je goûte aux congés illimités", explique-t-elle, n'y voyant que des avantages. "Je ne prends mes vacances que quand je sais que c'est possible sans perturber le travail d'équipe. Pareil pour les horaires de travail, l'entreprise me permet de les adapter. Je ne suis pas du matin, du coup, je préfère rester une heure de plus à la maison, et la compenser le soir. Cela m'aide pour mon organisation familiale, c'est un stress de moins au quotidien."

Fanny Grandry est salariée de la start-up Kwaga depuis 6 ans. Contactée par francetv info, elle confirme les bons résultats du modèle de vacances adopté : "J'adhère complètement au système de vacances illimitées, elles nous permettent de ne pas avoir à se prendre la tête sur les jours à prendre : 'est-ce que j'ai dépassé mon quota ?'. Si on a besoin de faire une pause et de souffler, on peut, et ça nous permet de mieux revenir". Celle-ci explique que le gain de productivité est évident avec ce modèle qui fonctionne particulièrement bien pour un petit effectif comme le leur : "Clairement, quand on est épuisé aussi bien moralement et physiquement et que l'on doit attendre deux mois avant ses prochaines vacances, notre rendement ne sera pas le même que si on peut se prendre une petite semaine et revenir dans un meilleur état d'esprit"

Mais elles ne peuvent pas s'affranchir des règles légales

Ce système est-il pour autant applicable à toutes les entreprises dans le système français ? Selon François Taquet, avocat et professeur en droit du travail, ce n'est pas si évident sur le plan légal. Contacté par francetv info, il explique que le système ne peut pas forcément être adapté à toutes les entreprises car il est en marge de la légalité : "La France est un pays de normes, et le problème avec ce système reste évidemment le risque d'abus, c'est très difficilement transposable au niveau juridique".

Dans les faits, la loi ne permet pas cette souplesse : "Tant qu’il n’y a pas de litige devant les tribunaux, les vacances illimitées restent tolérées dans le monde des start-ups. Mais l’employeur ne peut pas s’affranchir des règles légales, comme les dates de congés payés.", souligne-t-il. 

"La mesure du temps de travail, qui semble aujourd’hui pesante, a été une conquête sociale qui a permis de protéger la vie privée des salariés", expliquait le journaliste François Lenglet sur RTL. François Taquet est d'accord : "Le code du travail français est plus rigide de ce point de vue là. Mais il est protecteur pour la santé"

En France, le nombre de congés est fixé par la loi, et peut être augmenté par les conventions collectives. Ces repos ont été instaurés pour préserver la santé. Mais Arnaud Devigne se défend pourtant catégoriquement de vouloir exploiter ses salariés : "Même en appliquant ce système de congés, nous respectons les réglementations locales : en France, nos employés gardent leur droit aux 5 semaines, le minimum légal, plus les 2 semaines de RTT. Nous rendons juste possible de s'octroyer quelques semaines en plus." 

Et les salariés risquent de s'auto-exploiter 

Même si l'idée semble tentante a priori, le principe des congés illimités risque néanmoins de montrer des limites. Le risque consiste à ce qu'il désorganise les rythmes de travail et encourage les employés à une auto-exploitation. Persuadés de ne jamais avoir achevé les missions qu'on leur a confiées, les salariés les plus assidus risquent de ne jamais profiter des vacances illimitées.

Cette dérive est soulignée par Thierry Rousseau, chargé de mission à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Il souligne les dérives du système de 'congés contre objectifs', expérimenté pendant les années 80-90 au Japon. "Pour ne pas nuire aux objectifs de l'ensemble, les individus étaient parfois forcés à renoncer à leurs droits à s'absenter pour maladie et même à des congés. Le travail est collectif et c'est le groupe qui se régule. On peut dire que ce sont des systèmes qui favorisent une certaine auto-exploitation. Le risque, c'est évidemment l'épuisement par l'hyper sollicitation".

Fanny Grandry, chez Kwaga, ne semble pas pour autant affectée par ce type de problème : "Je ne me sens pas plus sollicitée ou exploitée. C'est sûr que pendant une semaine de 'rush', je ne pourrais pas me permettre de partir en vacances, mais c'est une question de responsabilisation auprès de l'entreprise." 

Arnaud Devigne le confirme : "Nous ne sommes pas inquiets, et n'avons pas observé ce 'syndrome du bon élève' qui pourrait pousser l'employé à se sur-investir. Nous imposons quand même le minimum légal de congés", rappelle-t-il. "Nous cherchons surtout à éradiquer le présentéisme au travail, en leur permettant de partir quand ils sentent que ça ne pénalise pas leur travail." 

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