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"Je ne pense pas tenir jusqu'à 65 ans" : l'inquiétude des salariés concernés par la réforme du compte pénibilité

Le Premier ministre, Edouard Philippe, a annoncé la remise en cause de quatre critères de pénibilité au travail dès 2018. De l'agriculture au bâtiment, en passant par l'industrie chimique, franceinfo a recueilli les témoignages de salariés touchés par cette réforme.

Article rédigé par franceinfo - Valentine Pasquesoone
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Des ouvriers paveurs place du Jet d'eau au Mans (Sarthe), le 11 avril 2014.  (GILE MICHEL/SIPA)

C'est une mesure phare du quinquennat Hollande, qui sera bientôt remise en cause. Le Premier ministre, Edouard Philippe, a dévoilé, samedi 8 juillet, les contours du nouveau compte pénibilité, renommé "compte de prévention". Cette révision, prévue pour 2018, fait partie de la réforme du Code du travail souhaitée par l'exécutif. 

Entré partiellement en vigueur en 2015, le compte pénibilité permet aux salariés du secteur privé travaillant dans certaines conditions difficiles de partir plus tôt à la retraite, de suivre une formation ou de travailler à temps partiel avec un même niveau de salaire. Considéré comme une "usine à gaz" par bon nombre d'entreprises, ce compte sera désormais simplifié. Sur les 10 critères de pénibilité existants, six seront encore pris en compte.

Les quatre critères réévalués - manutention de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et exposition aux risques chimiques -, les plus décriés par les organisations patronales, n'accorderont plus les mêmes droits. Les salariés confrontés à ces formes de pénibilité pourront partir plus tôt en retraite si "une maladie professionnelle a été reconnue", et si "le taux d'incapacité permanente excède 10%", a précisé le chef du gouvernement samedi, dans une lettre adressée aux partenaires sociaux. Franceinfo a interrogé des salariés qui vivent ces situations de pénibilité au quotidien.  

Anaïs D., 30 ans, charpentière et couvreuse : "Il faut penser aux anciens" 

"C'est injuste." Anaïs Dallier, charpentière et couvreuse chez Boisbeluche Frères, à Passais (Orne), ne décolère pas. La jeune salariée n'a que 30 ans, mais travaille dans le bâtiment depuis près de douze ans. Concernée par le compte pénibilité, elle ressent des douleurs régulières liées à des postures pénibles, et ne s'imagine pas rester encore plus de deux ans sur ce poste. "Moi, je suis jeune, mais il y a des personnes proches de la retraite. Ils vont devoir travailler plus longtemps, s'inquiète la charpentière. Il faut penser aux anciens"

En charpente ou sur d'autres chantiers, Anaïs Dallier raconte être "souvent baissée" ou "à moitié penchée" - et ce toute la journée. Des postures pénibles qui finissent par marquer son corps. Pour la pose d'un plancher en bois, elle est récemment restée plusieurs heures à genoux. 

Sur le moment, on a mal. Le dos en prend un coup !

Anaïs Dallier

à franceinfo

"Ca vient d'un coup, et ça reste une heure, deux heures", précise la charpentière quand elle évoque ses douleurs. Pour elle, les postures pénibles sont une vraie pénibilité. "Ces critères doivent rester, défend la jeune femme, même si c'est difficile à calculer."

Moussa B., 53 ans, commercial : "Mon corps ne suit plus autant qu'avant"

Les postures pénibles, Moussa Bamba les connaît bien aussi. Tout comme le travail de nuit, une réalité quotidienne pour ce commercial de GRG Maison des viandes, à Rungis (Val-de-Marne). Le salarié, 53 ans, a trente ans de métier. Mais à partir de 2018, il perdra un critère de pénibilité : celui du port de charges lourdes. Depuis 2016, cette caractéristique lui permet de cumuler des points pour partir jusqu'à deux ans plus tôt en retraite, travailler moins ou suivre une formation afin d'accéder à un métier moins pénible.

Le port des charges lourdes, "on le rencontre tous les jours", raconte Moussa Bamba. "Il faut porter la marchandise !" Les carcasses sur lesquelles il travaille pèsent en moyenne 250 kg. En les découpant, "on se retrouve obligé à porter des morceaux de 50 kg", souffle-t-il. Découpe, rangement, étalage... Le port de charges lourdes se répète : "Nous faisons les mêmes gestes pendant sept, huit heures." Au bout d'un moment, Moussa Bamba ressent "une douleur forte" au niveau du dos. 

Le salarié parle d'un ton résigné quand il évoque la réforme du compte pénibilité. "Je ne peux aller à l'encontre du gouvernement, déplore-t-il. De toute façon, je ne sais même pas quand je vais partir en retraite." Mais il reconnaît ressentir le poids des années et de la pénibilité. "Mon corps ne suit plus autant qu'avant. Je ne pense pas tenir jusqu'à 65 ans."

Christian G., 54 ans, salarié agricole : "Si ce n'était pas de la pénibilité, nous n'aurions pas de douleurs"

Christian Grégoire devra lui aussi travailler encore quelque temps. Censé partir à la retraite à 62 ans, il ne sait pas encore si la réforme portée par Edouard Philippe pourrait changer ses plans. A 54 ans, ce salarié agricole est cadre d'exploitation en polyculture dans la Somme. Comme bon nombre de collègues dans le secteur, il cumule plusieurs formes de pénibilité, notamment celles qui seront bientôt moins reconnues. Il y a les postures - Christian Grégoire peut rester assis douze heures d'affilée, six jours de suite dans son tracteur. Et les produits chimiques. En semant le blé, il ressent parfois des brûlures au visage à cause de la ventilation.

Mais le plus pénible reste les vibrations. Après une journée en tracteur, "c'est au niveau des cervicales, du cou, des épaules que cela fait mal". "C'est comme un torticolis quand je fais des journées de dix ou douze heures d'engin." Sans compter les jambes lourdes. "Si ce n'était pas de la pénibilité, nous n'aurions pas de douleurs", commente le cadre d'exploitation.

Le salarié, syndiqué et membre de l'Association des salariés agricoles de France, s'inquiète de la réforme du compte pénibilité proposée par Edouard Philippe. "Pour moi, la maladie professionnelle c'est trop tard", déplore-t-il.

C'est comme pour un virage dangereux. Faut-il vraiment attendre plusieurs morts pour faire quelque chose ?

Christian Grégoire

à franceinfo

Richard, 35 ans, équarriseur : "Ce n'est pas de la colère, c'est du dégoût"

Richard ne digère toujours pas les annonces du gouvernement. "Ce n'est pas de la colère, c'est du dégoût", lance-t-il. Depuis dix ans, il est salarié dans une usine d'équarrissage, chargée du traitement de cadavre d'animaux. Dans l'entreprise, des salariés bénéficient de points de pénibilité pour le travail de nuit. Mais il y a aussi la chaleur, les vapeurs de graisse et les produits chimiques.

Richard parle d'une exposition "continue" sur son temps de travail. Il évoque l'hydrogène sulfuré, l'ammoniac, des acides dans la station d'épuration. Des produits qui peuvent attaquer, selon lui, le rein, le foie, l'œsophage. A 35 ans, l'ouvrier ressent déjà une fatigue chronique et a connu des pertes d'odorat ou de goût en respirant du gaz. Ce qu'il craint est de perdre en droits si cette exposition à des produits chimiques n'est plus prise en compte.

On va tout perdre, déjà que nous n'avions pas grand-chose.

Richard

à franceinfo

"Ils font tout pour que les gens aillent jusqu'au bout, pour qu'ils aient un minimum de retraite. S'ils enlèvent tout, nous allons finir par crever au travail." Lucide sur sa santé, Richard confie qu'il ne tiendra plus très longtemps. "Je me vois encore travailler dix ans ici, assure-t-il, avant de souffler. Si j'y arrive." 

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