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Réforme des retraites : pourquoi Edouard Philippe ne veut pas lâcher l'âge d'équilibre

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le Premier ministre, Edouard Philippe, à Matignon, le 19 décembre 2019. (MARTIN BUREAU / AFP)

Le Premier ministre n'entend pas, pour le moment, renoncer à cet âge pivot fixé à 64 ans. Problème : c'est "la ligne rouge" de la CFDT, qui est pourtant perçue comme l'alliée indispensable pour mettre en œuvre la réforme des retraites. 

"Oh, vous savez, d'ici deux-trois jours, ce sera réglé", nous avait prédit en début de semaine un député de la majorité. Raté. L'ultime concertation avant les vacances de Noël entre les syndicats et le Premier ministre sur la réforme des retraites, jeudi 19 décembre, n'a pas donné grand-chose. "Il n'y a pas de scoop (…) rien de changé sinon un programme de réunions", a déclaré à la sortie Philippe Martinez. Le numéro un de la CGT en a profité pour annoncer une nouvelle journée d'action intersyndicale le 9 janvier 2020.

Mais c'est surtout la parole de Laurent Berger qui était très attendue. Le leader de la CFDT, très remonté contre l'âge d'équilibre à 64 ans, a estimé qu'il y avait "toujours un point dur" sur ce sujet. "Ça va monter très, très fort à la rentrée sur l'âge pivot", a-t-il réitéré sur France Inter vendredi 20 décembre. "Je veux que l'âge pivot soit retiré de cette réforme" car "on ne peut pas accepter cette mesure injuste", a-t-il ajouté. Un coup dur pour la majorité, qui cherche à sortir très vite le syndicaliste, considéré comme "un allié" de poids, de la contestation sociale. Mais si Edouard Philippe a estimé, dans son allocution de jeudi soir, qu'il y avait des "marges de manœuvre" sur ce point, pas question, pour autant, d'y renoncer. 

Edouard Philippe remporte la manche

La mesure n'était pourtant pas dans le programme du candidat Macron. Elle est cependant annoncée par Edouard Philippe lors de son discours devant le Conseil économique, social et environnemental, le 11 décembre. "La loi fixera, à compter du 1er janvier 2022, un âge d'équilibre à 62 ans et 4 mois, qui augmentera ensuite de quatre mois par an pour rejoindre progressivement l'âge d'équilibre du futur système, soit 64 ans en 2027", précise le chef du gouvernement. Cet âge d'équilibre, ou âge pivot, ne fait pas l'objet d'un consensus au gouvernement entre les partisans d'une ligne budgétaire, qui a les faveurs d'Edouard Philippe, et les tenants d'une ligne plus politique, pour ne pas perdre la CFDT.

Le 8 décembre, sur France 3, Bruno Le Maire suggère, par exemple, de ne pas être "dogmatique" tout en se disant "évidemment attaché à l'équilibre". "S'il faut prendre une ou deux années de plus pour être à l'équilibre, je suis ouvert", lance-t-il. Le soir, le ministre de l'Economie et des Finances redit la même chose lors d'une réunion à l'Elysée en présence du président, du Premier ministre, des ministres concernés et de leurs conseillers. Selon nos informations, Bruno Le Maire a en tête le fiasco du CPE (Contrat première embauche) en 2006, lorsqu'il était directeur de cabinet de Dominique de Villepin, alors Premier ministre. Le transfuge de la droite comprend, à cette époque, qu'on ne peut réformer la France contre tout le monde et qu'il faut des alliés comme la CFDT. 

Mais le chef du gouvernement ne suit pas Bruno Le Maire. Edouard Philippe reçoit ce soir-là le soutien de l'un de ses proches, Gérald Darmanin. "On a besoin de recettes budgétaires, tout ça n'est pas sérieux", plaide le ministre de l'Action et des Comptes publics, selon Le Monde. Le dernier mot, c'est bien sûr Emmanuel Macron qui l'a. Le "patron" donne raison à son Premier ministre. "C'est l'argent des Français. On ne fait pas payer nos enfants et petits-enfants", tranche, d'après Le Monde, le président de la République. 

Le dilemme de la majorité sur l'âge pivot

La suite est connue : la mesure fait sortir de ses gonds la CFDT, pour qui une "ligne rouge" a été franchie. "La réaction de la CFDT a déstabilisé, désagréablement surpris les députés, qui se sont demandé si l'on avait raté quelque chose, raconte un parlementaire de la majorité. Car il y a un certain consensus pour dire que l'on ne peut réussir la réforme sans les syndicats réformistes." Si un consensus existe sur ce dernier point, il est beaucoup moins perceptible sur l'âge d'équilibre.

Les députés sont partagés. "L'âge d'équilibre permet que le système soit autofinancé. On ne peut prétendre mener une telle réforme sans réfléchir à la manière dont on va équilibrer le système", défend Philippe Chassaing, député LREM de Dordogne. 

On nous aurait accusés d'avancer masqués si l'on avait occulté l'âge d'équilibre, il fallait jouer la transparence.

Philippe Chassaing, député LREM de Dordogne

à franceinfo

"A défaut de meilleure solution, oui, je suis favorable à l'âge d'équilibre, mais nous pouvons sûrement l'améliorer", avance le député de Seine-Maritime Damien Adam.

D'autres y sont beaucoup plus défavorables. "La question de l'âge me chiffonne : celui qui a commencé sa carrière à 18 ans, ce n'est pas la même chose qu'à 26 ans", souligne la députée du Nord Catherine Osson, qui comprend cependant bien la logique du Premier ministre. "On connaît le parcours politique d'Edouard Philippe et sa rigueur budgétaire", sourit-elle. "Il ne faut pas mélanger le systémique [uniformiser le système via le régime à pointset le paramétrique [les mesures budgétaires] quand on réforme. Il faut faire par étapes", préconise pour sa part son collègue de Corrèze, Christophe Jerretie. De son côté, Christophe Di Pompeo, élu du Nord, plaide pour un maintien de l'âge légal à 62 ans : "L'âge pivot engendre des craintes qui sont légitimes."

Aurélien Taché, membre de l'aile gauche de LREM, s'interroge sur la position tranchée du Premier ministre. "Je comprends qu'il y ait un souci sur l'équilibre budgétaire, mais il y a d'autres manières d'y parvenir que d'imposer une mesure que nos alliés regrettent." 

On ne comprend pas bien pourquoi cette mesure persiste de cette manière. Il faut faire attention à ne pas nous couper de nos alliés.

Aurélien Taché, député LREM du Val-d'Oise

à franceinfo

Votera-t-il le projet de loi en l'état ? "Cela va susciter des débats", élude-t-il. 

"Son objectif, c'est de ne pas céder à Berger"

Mercredi matin, on pense pourtant à une sortie de crise avec une reprise en main du dossier par Emmanuel Macron. Son entourage fait savoir qu'il est "disposé à améliorer" le projet de réforme des retraites, et envisage notamment "une amélioration possible autour de l'âge pivot". Mais, le soir, on comprend qu'Edouard Philippe persiste sur ce dernier point. 

Edouard Philippe semble s'entêter, mais c'est son ADN, il vient d'une culture politique où l'équilibre financier est la priorité.

Un macroniste

à franceinfo

Est-ce seulement une question de ligne budgétaire ? Pas si sûr, à en croire cet observateur de la vie politique. "Je pense qu'Edouard Philippe joue sa propre carte, qu'il veut battre Laurent Berger en imposant l'âge pivot et en s'installant à la droite de Macron, décrypte-t-il. Il reste droit dans ses bottes, son objectif, c'est de ne pas céder à Berger, c'est un face-à-face mécaniquement organisé." Pour cette source, "au-delà de l'âge pivot, on est dans une bagarre symbolique car, économiquement, personne ne trouve que c'est une mesure nécessaire maintenant. Même si la question de l'équilibre budgétaire se pose, bien sûr."

Alors, quel gain politique Edouard Philippe espère-t-il engranger, lui qui pourrait annoncer sa candidature aux municipales au Havre en janvier ? "Philippe se dit : 'pourquoi pas moi en 2022 ?'" confie au Parisien un intime du président. "Macron est en train de faire l'erreur qu'ont faite Balladur et Jospin en installant un match avec Le Pen, mais ça n'a jamais marché, il est possible que tout se joue dans un mouchoir de poche et qu'Edouard Philippe se dise : 'je veux participer à la course'", indique une source. "Science-fiction", réplique au Parisien l'entourage du chef du gouvernement. En attendant la présidentielle, le Premier ministre a rendez-vous début janvier avec les partenaires sociaux pour tenter, enfin, d'arracher un compromis. 

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