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"Ce qui compte, c'est l'énergie et l'envie" : à 70 ans ou plus, ils ont dépassé l'âge de la retraite mais refusent d'arrêter de travailler

Après une vie de travail bien remplie, des sexagénaires, ou plus âgés encore, veulent rester dans le coup. Par passion pour leur métier, ils choisissent de se maintenir actifs dans la société. Qui sont ces drogués du boulot qui n'arrivent pas à raccrocher ?

Article rédigé par franceinfo - Juliette Campion et Auriane Guerithault
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
En France, ils sont peu nombreux à travailler encore après 70 ans. Mais certains ne se verraient pas faire autre chose... (WESTEND61 / GETTY IMAGES)

"Je veux chanter à 100 ans",  affirmait Charles Aznavour quelques jours avant de mourir. Comme le chanteur, mort cet automne à 94 ans, d'autres, en âge de partir à la retraite, se voient travailler encore longtemps. Sur les 16,1 millions de retraités recensés en France en 2016, 3,3% déclarent exercer une activité professionnelle. Parmi ces derniers, 2,5% ont plus de 70 ans, selon une enquête de la Dress (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques). Si certains sont obligés de poursuivre leur activité pour des raisons économiques, d'autres ne s'imaginent simplement pas lâcher leur quotidien d'actifs et travaillent par passion. 

"J'ai du mal à m'arrêter"

"Arrêter c'est mourir, pour le journaliste Philippe Labro, 82 ans. Les dates limites pour travailler, ça n'a aucun sens, ce qui compte c'est l'énergie et l'envie." Après une vie passée entre les livres, le petit écran ou encore le micro de RTL, il se dit en très bonne forme. Avec soixante ans de carrière derrière lui, il présente encore l'émission "Langue de bois s'abstenir" sur CNews. Réduire ses activités ? Pour l'instant, ce n'est pas dans ses plans. A 81 ans et demi, Philippe Lévy n'est pas prêt non plus à lâcher son cabinet de dentiste. "J'ai du mal à m'arrêter", avoue-t-il. Avec cinquante ans de métier derrière lui, il se sent angoissé à l'idée de mettre un point final à toute activité.

En France, le problème majeur est de faire rimer âge de la retraite avec repos. "Cette vision à trois temps, où on devrait lâcher à un moment donné, est complètement révolue, plus du tout adaptée au temps présent", analyse Anne-Marie Guillemard, sociologue du vieillissement et de la retraite. Et sur ce point, nos voisins européens sont, comme souvent, bien en avance. En Finlande ou en Suède, il est possible de choisir de continuer à travailler ou non, même après un âge plancher qui peut aller jusqu'à 70 ans. 

Le journaliste, écrivain et réalisateur Philippe Labro, le 21 avril 2017 à Paris. (JOEL SAGET / AFP)

Pour certains de ces passionnés, être en activité est d'abord une question de maintien de la forme physique et intellectuelle. "Ce qui est drôle, c'est que les gens à la retraite se plaignent en disant 'Tu ne te rends pas compte, on n'a rien le temps de faire'. Je crois qu'ils ne savent pas ce que c'est que de tenir un magasin !", s'amuse Georges Audigier. Celui qui se définit comme un "marchand de vieilles choses", installé à Saulieu (Côte-d'Or), est un ancien contrôleur de la Sécurité sociale. A 72 ans, la voix vive et le trait d'humour encore bien aiguisé, il se dit passionné par son activité qui l'amène à voyager dans le temps, au milieu d'objets anciens.

Remonter le temps, c'est aussi le métier de Michelle Perrot, historienne, spécialiste de l'histoire des femmes. Mais ne lui parlez pas de son âge ! "C'est parce que les gens me le rappellent que j'y pense", explique-t-elle. A 90 ans, elle aime encore aller à la bibliothèque ou flâner dans les expositions de peinture, sa "meilleure détente".

Ma vie, c'est l'écriture, la recherche.

Michelle Perrot, historienne

à franceinfo

Et pas question de chômer : elle vient de terminer un ouvrage, George Sand à Nohant – Une maison d'artiste, qui retrace la vie de la romancière du XIXe siècle à travers sa maison. Il vient à peine de paraître qu'elle se lance déjà dans l'écriture d'un prochain ouvrage, entre deux colloques littéraires comme Les Rendez-vous de l'histoire de Blois, dont elle est membre du conseil scientifique. Mais elle le reconnaît : "Avoir ce type de vieillesse-là, c'est un privilège de la bonne santé personnelle." 

Michelle Perrot, historienne et professeure émérite, en 2009.  (ULF ANDERSEN / AURIMAGES / AFP)

Etre accro à son travail est aussi une manière, pour certains, de ne pas tomber dans le vide de "l'après". "Se lever et se dire 'Qu'est-ce que je vais faire aujourd'hui ?' et construire sa journée sous une autre forme qu'avant", c'est ce que redoute le dentiste Philippe Lévy. 

Il n'y a aucune raison de lâcher, pourquoi il n'y aurait pas de l'activité tout au long de la vie ?

Anne-Marie Guillemard, sociologue

à franceinfo

"Je détesterais me lever le matin avec rien à faire", confirme aussi Guy Roux, 80 ans, ancien entraîneur emblématique du club de football de l'AJ Auxerre. Assurances, football, consultant pour des médias, l'homme aux multiples vies n'imagine pas son quotidien sans travailler. L'octogénaire est encore dans le coup : "Il faut la pêche pour aller à Paris toutes les semaines pour enregistrer l'émission de 10h30 à minuit pour L'EquipeTV", se félicite le Bourguignon. 

Etre dans l'air du temps

En plus de ses allers-retours à Paris, sa routine de travail est plutôt chargée. "Pour me tenir au courant, je regarde au moins 7 matchs par semaine, ça fait 11 heures de télé, explique Guy Roux. Ça demande un vrai effort de mémoire pour retenir la composition des équipes. Mais je le fais, tous les jours." Surtout, le consultant sportif veut rester dans le tempo de son époque ultra connectée : "Toutes les semaines, on me donne des cours de tablette. Quand je serai affûté, j'aurai même un smartphone. C'est moi qui ai demandé à apprendre à m'en servir : c'est une merveille", se réjouit-il. Preuve de plus que l'ancien entraîneur s'accroche et s'assure d'être encore dans la tendance. 

On m'a demandé de rester. C'est que je plais. Je ne vais pas me vanter. Mais si je ne plaisais plus, on me le dirait.

Guy Roux

à franceinfo

Guy Roux en invité prestige de "La Minute vieille", sur Arte en juillet 2018, Coupe du monde de foot oblige. ((c) Bakea Prod / Arte)

En plus de répondre à une envie de rester actif, travailler après 70 ans est aussi un moyen de garder une certaine place dans la société. "Ça permet de garder un lien social privilégié, plus important que dans les associations", confirme le dentiste Philippe Lévy, lui-même membre du Lions Club, une organisation philanthropique.

Ne pas être sur la touche

"Je crois que ce qui me manquerait le plus, c'est le contact avec les clients", enchaîne Georges Audigier. Son magasin d'antiquités est un lieu de passage qui brasse différents visiteurs. Autant d'occasions d'échanger. Il pense aussi à ses enfants, à qui il veut montrer que tout ne s'arrête pas passé 70 ans : "Je n’avais pas envie qu'ils aient l'image d'un père à la retraite, passif", confie Georges Audigier. 

Selon Anne-Marie Guillemard, passer au-dessus d'une vision "passéiste", comme elle le décrit, est une nécessité aujourd'hui. En 1950, on travaillait presque cinquante ans, avec une espérance de vie autour de 65 ans. En 1995, c'est trente-huit ans de vie active, sur soixante-seize ans de vie. "On n'a pas mis en place les retraites pour ne rien faire pendant vingt-cinq ans", s'exaspère-t-elle. 

C'est absurde de condamner les retraités aux loisirs.

Anne-Marie Guillemard, sociologue

à franceinfo

 A 84 ans, Maurice* ne veut rien lâcher non plus. Architecte hyperactif, il "s'ennuie quand il n'est pas au bureau", explique sa femme Gisèle*. "Quand tu ne fais pas ton métier, ça manque", affirme-t-il. Mais malgré son envie et sa passion, les affres de l'âge sont parfois difficiles à masquer.

Stop ou encore ?

Dans son entourage, on s'inquiète des alertes du vieillissement : les petites siestes en plein milieu d'une réunion, ou encore, plus inquiétants, les écarts de route lorsqu'il est au volant en déplacement. Lever le pied est parfois nécessaire pour ceux qui craignent de ne plus pouvoir tenir le rythme. Après cinquante-deux ans de radio et des années à arpenter les couloirs de TF1, l'animateur Jean-Pierre Foucault a ainsi décidé de ralentir la cadence en quittant officiellement la chaîne, en mars dernier. A tout juste 70 ans, celui qui a animé "Qui veut gagner des millions ?" et "Sacrée soirée" a fait le choix de se retirer petit à petit, pour "faire des choses qu'[il n'a] pas eu le temps de faire, comme des voyages, récemment la Polynésie".

Jean-Pierre Foucault présente la soirée d'élection de Miss France 2018, à Châteauroux (Indre), le 16 décembre 2017. (GUILLAUME SOUVANT / AFP)

Mais la télévision n'est jamais bien loin. En décembre, il reprendra les commandes de l'élection de Miss France. "C'est une émission emblématique, ça fait vingt-cinq ans que je la présente", explique-t-il. Mais pas question pour autant d'imiter son confrère Michel Drucker, qui "s'accroche jusqu'au bout". "Lorsque je suis entré à la télévision (...), je n'ai eu qu'une seule obsession : durer", déclarait l'animateur de "Vivement dimanche" au Figaro, le 10 octobre 2018. "C'est ce qui me différencie de lui, explique Jean-Pierre Foucault. Pour son passage dans 'C à vous" [vendredi 19 octobre 2018,sur France 5], on m'a demandé de faire une petite vidéo où je lui demande 'quand est-ce que tu vas prendre le temps ?'" 

L'animateur-vedette de France 2 semble bien décidé à s'accrocher à son canapé rouge. Des trajectoires de vie un peu à part ? Ce n'est pas l'avis d'Anne-Marie Guillemard : "Ces personnalités sont des avant-gardistes. Il faut repenser notre relation à l'allongement de la vie et mieux répartir le travail dans la société." 

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.

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