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Loi Travail : comment la CGT a radicalisé son action

Après des semaines de manifestations quasi hebdomadaires, le premier syndicat français a adopté une posture plus offensive, en appelant à la "grève reconductible". Récit de ce changement de stratégie.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des opposants à la loi Travail tiennent un blocage près de la raffinerie de Fos-sur-Mer, le 23 mai 2016. (MAXPPP)

Dans le parc Chanot de Marseille, l'ambiance est électrique. Les délégués de la CGT, réunis en congrès ce lundi 18 avril, huent copieusement les représentants du Parti socialiste. "Retrait, retrait, retrait de la loi El Khomri", hurle la salle.

Depuis le 9 mars, le syndicat bataille dans la rue contre le projet de réforme du Code du travail, mais les résultats sont mitigés : le gouvernement le martèle, il ne reculera pas. Les manifestations de l'intersyndicale et des organisations de jeunesse se succèdent, à un rythme quasi hebdomadaire, sans pour autant mobiliser largement dans la société française. La dernière, le 9 avril, n'a réuni qu'autour de 20 000 participants à Paris, selon les autorités, 110 000 selon les syndicats.

"Il faut bloquer vraiment l'économie"

La CGT cherche à donner une nouvelle impulsion au mouvement : un appel en ce sens doit être voté par le congrès. Au micro, mercredi 20 avril, la colère est grande. Beaucoup de délégués du syndicat prennent la parole pour demander une intensification de la riposte face à l'exécutif. "On a une responsabilité, on doit apporter notre réponse : de quels moyens disposons-nous pour faire reculer le gouvernement ?" s'interroge un orateur.

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, lors du 51e congrès de l'organisation syndicale, le 22 avril 2016, à Marseille. (BESSIERE FRANCK / HANS LUCAS / AFP)

Plus question de simplement appeler à manifester ponctuellement contre le texte. "Si on croit qu'ils vont céder après un, deux ou trois jours de grève sans bloquer l'économie, en faisant des manifestations en tournant en rond dans des villes… Je ne pense pas qu'on pourra gagner comme ça", lâche un membre de la fédération des services publics territoriaux. Il a une idée : "En 2010, [lors de la réforme des retraites], on a essayé de bloquer les raffineries. Il faut peut-être recommencer, tous ensemble, des rassemblements devant des raffineries, là où ça bloque vraiment l'économie."

La branche "combative" de la CGT prend la main

Le texte voté au congrès appelle à "amplifier la riposte" et demande aux salariés de décider "de la grève et de sa reconduction". La Fédération nationale des industries chimiques (Fnic) devient la figure de proue de la contestation. "Réputée pour être parmi les plus combatives", elle "est une des dernières qui adhèrent encore à la Fédération syndicale mondiale, l'internationale des syndicats d'obédience ou de sympathie communiste", analyse Stéphane Sirot, enseignant en histoire du syndicalisme à l'université de Cergy-Pontoise, dans Le JDD.

La branche, dont dépendent les raffineries, multiplie les communiqués, de plus en plus virulents contre l'exécutif, notamment après l'usage du 49.3 à l'Assemblée nationale, "une agression à la démocratie". "Mettons les usines à l'arrêt, appelle le syndicat lors d'une nouvelle mobilisation le 12 mai. On ne négocie pas le recul social, on le combat." "La France aujourd'hui n'est plus une démocratie, mais un régime autoritaire", peut-on lire dans un autre texte. La Fnic va même jusqu'à dénoncer "les postures dictatoriales du gouvernement" et appelle ses syndiqués à "taper là où ça fait mal".

En intensifiant la lutte, la Fnic montre que la CGT n'est pas qu'un syndicat "de proposition", mais aussi un syndicat de "contestation", explique à francetv info Emmanuel Lépine, responsable de la CGT Pétrole. Petit à petit, les raffineries de l'Hexagone rejoignent le mouvement, entraînant des pénuries de carburant : mercredi 25 mai, 4 000 stations d'essence sont en rupture totale ou partielle, selon une application mobile très utilisée par les automobilistes. "C'est le résultat du plan de travail qu'on a mis en place, estime Emmanuel Lépine. On a fait comprendre aux salariés ce qu'est la loi Travail, on a appelé à des mobilisations progressives, d'abord de 24 heures, puis de 72 heures... Et des appels à la grève reconductibles face au mépris du gouvernement."

Une station-service en pénurie de carburant, à Paris, le 25 mai 2016. (RODRIGO AVELLANEDA / ANADOLU AGENCY / AFP)

"Si on ne se bat pas, on est sûr de perdre"

Dans ce contexte explosif, le grand patron de la CGT galvanise ses troupes. Samedi 21 mai, Philippe Martinez profite d'un déplacement dans le Nord pour faire "un petit détour" par Haulchin, où se trouve un entrepôt pétrolier bloqué. Les "camarades" ont été ravitaillés dans la matinée par un boulanger du coin, venu leur apporter "petits pains et baguettes". "La grève se généralise, se félicite-t-il, cité par La Voix du Nord. Quand on se bat, on peut gagner, mais si on ne se bat pas, on est sûr de perdre."

Sur le terrain, les grévistes sont motivés. A Donges (Loire-Atlantique), impossible d'accéder au dépôt de carburant sans enjamber parpaings, gravats et palettes, installés sur le chemin. "Bloquer cette activité, c'est très stratégique économiquement", explique à francetv info Patrick, 58 ans, préretraité du dépôt. Il s'agit de "toucher un point névralgique", abonde Yann, 40 ans, venu de la raffinerie voisine, proche de l'arrêt : "Le gouvernement ne nous écoutera peut-être pas, mais il cédera."

Des grévistes bloquent le dépôt pétrolier de Donges (Loire-Atlantique), le 25 mai 2016. (MARION VACCA / WOSTOK PRESS / MAXPPP)

Face à la pénurie qui s'installe, les autorités débloquent certains dépôts, comme celui de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), mais le mouvement fait tache d'huile. "La grève dans le raffinage, ça a donné un appel d'air, juge Emmanuel Lépine. C'était d'ailleurs le but." "Avec les déblocages, on monte d'un degré dans l'intolérance et dans l'intransigeance du gouvernement", ajoute Marie-Claire Cailletaud, porte-parole de la fédération Mines Energie de la CGT.

Les transports en grève jusqu'à l'Euro ?

"On a appelé nos syndiqués à hausser le ton et à élargir le mouvement, explique-t-elle à francetv info. Après, c'est au syndicat d'organiser une AG localement pour que les salariés s'expriment." Le mot d'ordre est suivi, puisque la grève est votée dans la totalité des 19 centrales nucléaires françaises d'EDF, selon la CGT. Sans pour autant provoquer de problème d'approvisionnement électrique dans l'Hexagone, assure RTE, le gestionnaire du réseau.

Une brèche a-t-elle été ouverte ? Le mouvement social crée en tout cas des dissonances majeures au sein du gouvernement. Michel Sapin a évoqué la possibilité, "peut-être" de toucher à l'article 2 de la loi El Khomri, qui donne la primauté aux accords d'entreprise dans l'aménagement du temps de travail – une ligne rouge pour les syndicats. Le ministre des Finances a été recadré aussi sec par le Premier ministre et le président de la République.

La contestation n'est en tout cas pas terminée. La CGT Cheminots appelle désormais à une grève illimitée et reconductible à partir du 31 mai à la SNCF. Même chose à la RATP, à partir du 2 juin. Le tout à quelques jours de l'Euro seulement… De quoi faire réfléchir le gouvernement ? "La balle est dans le camp du Premier ministre", botte en touche Philippe Martinez.

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