On vous explique pourquoi le gouvernement veut davantage encadrer le recours au CPF

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
L'application Mon Compte Formation sur un téléphone, le 3 décembre 2021. (ROMAIN LONGIERAS / AFP)
Les salariés souhaitant utiliser leur compte personnel de formation vont bientôt devoir s'acquitter d'une participation financière. L'Etat espère ainsi limiter les dépenses.

Serrer la vis sur l'aide à la formation pour redresser les finances. Thomas Cazenave, le ministre délégué chargé des Comptes publics, a annoncé lundi 20 février l'instauration dès cette année d'un reste à charge pour les salariés qui souhaitent recourir à leur compte personnel de formation (CPF). Le gouvernement espère ainsi faire économiser 200 millions d'euros à l'Etat.

Depuis 2019, le compte personnel de formation est accessible en ligne et crédité en euros, et non plus en heures, pour les salariés du privé. En règle générale, il est abondé de 500 euros par an, jusqu'à atteindre le plafond, fixé à 5 000 euros. Cette réforme a largement contribué à la "démocratisation" du dispositif, saluait la Cour des comptes dans un rapport publié en juin.

Un dispositif populaire (et donc coûteux)

Le nombre annuel de dossiers, compris entre 500 000 et 600 000 de 2016 à 2019, a bondi à 2,1 millions en 2021. En moyenne, 30% des bénéficiaires des formations sont des demandeurs d'emploi et 70% sont des salariés, selon la Cour des comptes. Quatre ans après son lancement, "près de 21 millions" de personnes se sont inscrites sur la plateforme Moncompteformation.gouv.fr et "6,57 millions de demandes de formations ont été acceptées", détaille une annexe du projet de loi de finances pour 2024.

Une popularité dont l'Etat n'avait pas anticipé l'ampleur. Du fait de son succès, le coût du CPF s'est élevé à 2,6 milliards d'euros en 2021, alors que seulement 1,4 milliard avait été budgété, rappelle la Cour des comptes. Depuis 2022, les dépenses allouées au compte personnel de formation dépassent les 2 milliards d'euros par an. Outre le nombre de demandes, le ministère de l'Economie pointe aussi "l'inflation du coût des dossiers de formation" et "des prix des formations". Selon la Cour des comptes, le coût moyen par dossier est en effet passé de 1 214 euros en 2020 à 1 426 euros en 2022, soit une hausse d'environ 17%.

Pour limiter les dépenses, l'exécutif a déjà avancé la piste d'une participation financière des bénéficiaires. Un amendement du gouvernement, voté dans le cadre du budget 2023, en a même acté le principe. Le texte se limitait cependant à proposer l'instauration d'une participation "proportionnelle au coût de la formation" ou d'"une somme forfaitaire", sans fixer de montant. Or, le décret censé définir les modalités du reste à charge n'a jamais vu le jour, et la mesure est restée dans les cartons. En septembre, Olivier Dussopt estimait dans L'Opinion que le déploiement de cette mesure était "moins urgent"Le ministre du Travail de l'époque se réjouissait d'avoir déjà réduit les dépenses allouées au CPF de 2,4 milliards en 2022 à 2 milliards en 2023 "grâce au nettoyage du catalogue des formations, à la lutte contre les fraudes et à la sécurisation du portail d'inscriptions".

Des formations pas pertinentes ?

"L'intensification des contrôles de la qualité des organismes de formation" a conduit à supprimer plus de 4 000 organismes de la plateforme ces deux dernières années, et "ce sont près de 200 millions d'euros qui ont été préservés au titre des contrôles", assurait le ministère fin novembre. La mise en place d'un système plus sécurisé pour accéder à son compte formation et l'interdiction du démarchage téléphonique abusif ont par ailleurs permis de réduire les signalements de fraudes et d'arnaques.

Reste que la situation financière de France Compétences, l'organisme de gouvernance de la formation professionnelle qui perçoit les dotations de l'Etat allouées au CPF, demeure "préoccupante", s'inquiète la Cour des comptes dans son rapport. Depuis sa création en 2019, la structure, qui finance aussi d'autres dispositifs comme l'apprentissage, accumule les déficits. C'est pourquoi le ministère de l'Economie pousse depuis des mois pour l'entrée en vigueur du reste à charge pour bénéficier du CPF. En mai, Bruno Le Maire avait relancé le débat, suggérant une participation de l'ordre de 30% du montant de la formation.

Outre l'aspect budgétaire, Bercy pointe les "interrogations sur la pertinence des formations suivies" et estime que l'introduction d'un reste à charge recentrerait la demande vers des formations professionnalisantes. Près d'un bénéficiaire sur cinq déclare suivre une formation qui n'a aucune visée professionnelle, selon une étude publiée en février 2023 par la Dares, le service des études et des statistiques du ministère du Travail. "Ce sont souvent des formations de langues, suivies à distance, par des seniors", détaille-t-elle.

"La démocratisation du CPF s’est aussi éloignée de ses objectifs initiaux."

La Cour des comptes

dans un rapport publié en juin

La Cour des comptes ajoute qu'"une part toujours importante des dépenses ne mène pas à une certification qualifiante, même si elles peuvent avoir un effet positif sur le parcours professionnel des bénéficiaires", citant l'exemple du permis de conduire. La Dares rappelle ainsi que la moitié des demandeurs d'emploi qui ont utilisé leur CPF pour préparer le permis B ont retrouvé un travail 8 à 9 mois après leur formation. Le compte personnel de formation reste cependant "très en deçà des attentes au regard de l'objectif de développement des compétences des actifs", tance la Cour des comptes.

Selon la Cour des comptes, le principe d'un reste à charge "devrait limiter les achats 'd'impulsion' et inciter les actifs à choisir des formations plus à même de sécuriser leur parcours professionnel", "tournées vers le développement des compétences et l'employabilité". Pour "ne pas dissuader les titulaires d'un CPF de l'utiliser, notamment les personnes disposant de faibles revenus", l'institution préconise de fixer cette participation "à un niveau assez bas, par exemple 5% ou 10% du coût de la formation".

Les syndicats opposés au reste à charge

Si le montant du reste à charge n'a pas encore été arrêté, le ministère de l'Economie a annoncé lundi qu'il avait "vocation à se situer au minimum à 10% du coût de la formation". Bercy précise que les bénéficiaires en seront exonérés s'ils sont au chômage ou si leur employeur abonde en cas de solde insuffisant du CPF pour financer la formation. La publication du décret est prévue en avril. "Les modalités ne sont pas encore complètement arbitrées à ce stade", freine l'entourage de Catherine Vautrin, la ministre du Travail, qui souhaite d'abord "échanger avec les partenaires sociaux".

Du côté des syndicats, l'annonce ne passe pas. "Faire contribuer les salariés à leur formation et les faire payer une formation est tout simplement scandaleux", dénonce Sandrine Mourey, membre du bureau confédéral de la CGT, à l'AFP. "Le législateur a fait en sorte de laisser les salariés libres d'utiliser leur CPF pour tout ce qui leur semblait bon", complète Yvan Ricordeau, chargé de la formation professionnelle à la CFDT.

"Le ministre de l'Economie veut tordre le cou à la promesse d'origine du CPF."

Yvan Ricordeau, chargé de la formation professionnelle à la CFDT

à l'AFP

La Fédération des organismes de formation fustige aussi "la brutalité du calendrier, la verticalité de la méthode et les incohérences du gouvernement". Dans un communiqué, elle plaide plutôt pour le retrait du financement du permis moto par le CPF, autorisé depuis janvier, à condition d'être lié à une activité professionnelle. Mais il suffit d'une attestation sur l'honneur pour constituer le dossier et les demandes affluent. Le coût de cette ouverture du CPF au permis A est "évalué à 250 millions d'euros en 2024 si la tendance observée en janvier se confirme". Selon la Fédération des organismes de formation, l'exclure à nouveau "représenterait l'économie attendue par le gouvernement".

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