Délocalisations : ce qui fait trembler les hotlines françaises
L'annonce de la délocalisation du centre d'appel du syndicat des transports parisiens (Stif) met en lumière les problèmes de ce secteur, jeune, dynamique, mais largement précaire.
Ils vous parleront du métro parisien depuis le Maroc. Le syndicat des transports parisiens (Stif) va transférer un de ses services d'assistance téléphonique au Maroc, a dévoilé Le Parisien jeudi 26 juillet. Cette décision de l'organisme, qui dépend directement de la région Ile-de-France, menace 80 emplois dans l'Hexagone. De quoi irriter le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui avait justement entrepris de faire la chasse aux délocalisations des centres d'appels.
FTVi revient sur les spécificités de cette branche, aussi dynamique que précaire.
Un secteur archi-concurrentiel
Le Stif a "suivi l'avis d'une commission technique de donner le marché à un confrère plus avantageux sur le prix", constate amèrement Frédéric Jousset, coprésident de Webhelp, la société qui détient ce marché jusqu'au 1er février 2014. Qu'importe que le confrère en question soit au Maroc, et le client, la région Ile-de France. Le prix, c’est "leur premier critère pour sélectionner le dossier, confirme-t-il. Une heure de centre d'appels en France coûte 28 euros, contre 14 au Maroc". Le royaume aurait un taux de rentabilité supérieur à 10% quand la France n'en offrirait que 5%, détaille Le Monde dans son édition du 9 juillet.
Dans ce secteur où le coût du personnel a représenté 67% du chiffre d’affaires des entreprises en 2010 – le principal coût de fonctionnement – selon le baromètre 2011 réalisé pour le Syndicat des professionnels des centres de contact (SP2C), et où le salaire moyen est fixé à 1 522 euros brut mensuel (contre 550 pour un Marocain), les entreprises sont contraintes de délocaliser ou de licencier pour répondre aux exigences tarifaires de leurs clients. Et en 2011, "les coûts du personnel augmentent en France alors qu’ils sont en légère diminution en offshore (délocalisés)" relève encore l'enquête du SP2C.
Leur destin entre les mains des opérateurs téléphoniques
Avec la perte du contrat du Stif, Webhelp voit s’envoler "2 ou 3 millions d’euros" de son chiffre d’affaires, selon Frédéric Jousset, dont le groupe devrait être contraint de fermer le centre de Saint-Avold (Moselle) et celui de Fontenay-le-Comte (Vendée). Si près de 50% des dirigeants de centres d’appels estiment que leur activité devrait augmenter au cours des six prochains mois, selon un baromètre Ipsos publié par le site Relationclientmag.fr, les difficultés rencontrées par leurs clients les touchent de plein fouet.
Pour le secteur des télécommunications, – la branche qui externalise le plus ses centres d'appel – les hotlines correspondent à 18% de leur coût, selon Les Echos. Une part de leur budget conséquente, qui fait des centres d'appels une variable d'ajustement en cas de pépin ou de séisme stratégique, comme l'arrivée de Free Telecom sur le marché. "Forcés de baisser leurs prix pour s'adapter au nouvel entrant et à son forfait voix et SMS illimités pour 19,90 euros, les autres opérateurs, qui ont recours en masse aux prestataires extérieurs, seraient tous en train de renégocier leurs contrats de sous-traitance", révélait Le Monde le 9 juillet.
D'après le quotidien, la moitié des effectifs serait menacée dans la branche. "Les baisses de tarifs demandées oscilleraient de -10 % à -25 %", indiquent des sources syndicales. Et selon le SP2C, "5 000 à 10 000 postes" seraient sur la sellette.
Un dossier chaud au ministère du Redressement productif
L'affaire du Stif vient polluer le discours anti-délocalisation du ministre du Redressement productif, chargé du dossier des centres d'appels avec la ministre en charge de l'Economie numérique, Fleur Pellerin. Invité d'Europe 1, Arnaud Montebourg s'est indigné contre cette décision de Jean-Paul Huchon, président socialiste du Stif et de la région Ile-de-France, qu'il a invité à "reconsidérer la décision en remettant l'appel d'offre sur le métier".
Le président de région s'est défendu en indiquant que "les règles avaient été respectées", tout en prônant un durcissement des textes en vigueur pour protéger la France de ses concurrents : il est "nécessaire" de mieux prendre en compte dans les textes qui régissent la commande publique, les risques encourus "du fait d'une concurrence en provenance d'Etats où les règles de droit social et de droit du travail sont peu exigentes". Il évoque aussi "une clause de préférence communautaire dans les cahiers des charges des marchés publics".
Le sauvetage des centres d'appels téléphoniques fait par ailleurs l'objet de discussions entre les pouvoirs publics et les entreprises clientes depuis la fin juin. Le 18 juillet, Arnaud Montebourg évoquait même l'hypothèse d'une hausse des forfaits pour conserver les emplois : "Pour 10 000 emplois relocalisés sur le territoire, cela coûterait en moyenne par forfait et par mois une vingtaine de centimes de plus pour les consommateurs". Mais devant les protestations des associations de consommateurs, le gouvernement fait marche arrière par la voix de Fleur Pellerin. Dans une interview donnée au Parisien la semaine suivante, la ministre a annoncé qu'il n'était pas question de rendre les hotlines des opérateurs téléphoniques payantes.
Le précédent gouvernement s'y est cassé les dents
Avant lui, Laurent Wauquiez, alors secrétaire d'Etat à l'Emploi de Nicolas Sarkozy, avait planché sur la question des délocalisations en juillet 2010, rapportait alors Le Parisien : "Le nombre d'emplois offshore chez les sous-traitants est passé de 10 000 en 2004 à 60 000 en 2009", estimait Bercy.
A l'époque, c'est le leader du marché, Teleperformance, qui était en difficulté. Malgré la tenue d'Assises de la relation client et l'étude de différentes pistes (taxes, code de bonne conduite etc.), le groupe avait annoncé 830 suppressions de postes et la fermeture de huit sites dans l'Hexagone, se souvient Europe 1. En France, cette industrie emploie encore 64 000 salariés, selon le SP2C. Mais bientôt 80 personnes de moins.
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