: Enquête Budget 2025 : comment le gouvernement a ignoré des notes confidentielles alarmantes sur le dérapage budgétaire
Dès l’automne dernier, des notes confidentielles de Bercy que nous nous sommes procurées alertent sur l’état des finances publiques. Le 28 novembre 2023, dans un mémo, l’administration prévient le cabinet de Bruno Le Maire, ministre de l'Economie que “l'activité française a ralenti de façon plus marquée que prévu”.
Il convient de rester prudent mais la tendance n’est pas bonne.
Bertrand Dumont, directeur général du Trésor
Quelques jours plus tard, le 7 décembre, une nouvelle note signale que faute de recettes, le déficit pour l’année 2023 s’alourdirait de 9,2 milliards d’euros. Ce qui aggraverait aussi le déficit en 2024. Le directeur général du Trésor y précise toutefois que les chiffres ne sont pas encore définitifs : “Il convient de rester prudent mais la tendance n’est pas bonne.”
Décision a été prise de ne pas réagir
Thomas Cazenave, ancien ministre délégué aux Comptes publics, explique pourquoi : “Quand vous êtes en responsabilité, pour pouvoir agir, il faut avoir la bonne information et quand les directions d'administration vous disent : “il est trop tôt pour agir, il est trop tôt pour communiquer", c'est normal qu'on attende d'y voir clair.”
Attendre. Voilà sans doute pourquoi, début janvier 2024, lors de ses vœux, Bruno Le Maire reste rassurant : “Ce 4,4% de déficit n’est pas une lubie du ministre des Finances, c’est un objectif collectif fixé par le président de la République.” , ajoutant que "le tournant du redressement de nos finances publiques a été pris et sera tenu fermement.”
Pourtant, selon une nouvelle note confidentielle émise un mois plus tard, le déficit atteint 5,7% du PIB, très loin de l’objectif des 4,4%. Une différence de 35 milliards d’euros, l’équivalent du budget du ministère de l’Intérieur.
Nous maintenons l’objectif d’un déficit public à 4,4 %.
Bruno Le Maire20H de TF1
Deux jours après cette note, le ministre s’invite au journal télévisé pour annoncer 10 milliards d’euros d'économies, mais toujours aucune mention d’un dérapage de la dette. Il l'assure : « Nous maintenons l’objectif d’un déficit public à 4,4 %. Quand je dis qu’il faut faire des économies, c’est pour garder la maîtrise de nos finances publiques”.
Il faudra attendre trois semaines de plus, et une interview dans le quotidien Le Monde pour que Bruno Le Maire admette que les finances publiques dérapent. Cette annonce surprise du ministre suscite la colère de Jean-François Husson, sénateur républicain et rapporteur général du budget : “Je ne comprends pas. Le gouvernement nous a assuré pouvoir tenir les objectifs et redresser les comptes. Et là, ça dévisse complètement.”
Un contrôle sur pièces et sur place de la commission des finances du Sénat à Bercy
Le 21 mars, le rapporteur se rend à Bercy pour exiger les documents qui expliquent l’ampleur de la dégradation : "Et là, en trois heures, on découvre qu'il y a eu des alertes. Ca me conforte dans l'idée qu'on ne nous a pas tout dit, qu'une part de l'information a été retenue”, déplore t-il.
Agacés, les sénateurs Jean-François Husson et Claude Raynal lancent une mission d’information sur la dégradation des finances publiques. Trois heures de bras de fer face au ministre de l'économie. Notamment sur les notes confidentielles de Bercy.
"Pourquoi ne pas avoir annoncé plus franchement les éléments dont vous disposiez ?", demande le sénateur Husson.
"Ma responsabilité vis-à-vis des Français ne consistait pas à semer la panique en indiquant que le déficit allait atteindre 5,7 % du PIB, mais à prendre les mesures nécessaires pour contenir les conséquences d'un déficit 2023 supérieur à ce qui a été prévu”, répond Bruno Le Maire.
Le gouvernement renonce à un projet de loi de finances rectificative
A partir de la fin mars 2024, ce dernier plaide en effet pour une loi de finances rectificative. Un PLFR qui permettrait de corriger les grands équilibres du budget. Mais à l’approche des élections européennes, ni l’Elysée ni le Premier ministre ne souhaitent imposer des restrictions aux Français. L'ancien Premier ministre, désormais député l'explique : ”Quand on regardait le sommaire de ce PLFR, c'était essentiellement de la hausse de la fiscalité. Or, le choix que nous avons toujours privilégié, c’est celui des économies en dépenses. Un mois après ma nomination à Matignon, j’ai pris un décret d'annulation de dix milliards d’euros de crédit, ça ne s’était jamais jamais vu”.
Cela ne suffira pas. Avec la dissolution, puis la campagne des législatives, les mesures de redressement de l’économie sont mises en pause, le déficit dépassera les 6%.
Le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, connaît parfaitement la situation : son directeur de cabinet, Jérôme Fournel, occupait précisément le même poste chez Bruno Le Maire à Bercy.
La vérité apparaîtra plus tard.
Bruno Le MaireA L'Œil du 20H
De son côté, l’ancien ministre n’a pas souhaité nous rencontrer. Nous nous contenterons d’un SMS énigmatique : “La vérité apparaîtra plus tard”.
Aurait-il des confidences à nous faire ?
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