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La croissance s'annonce moins élevée que prévu : quatre questions pour comprendre pourquoi elle semble s'essouffler

Le produit intérieur brut français a augmenté de 0,2% au deuxième trimestre de 2018, selon un rapport récent de l'Insee : un résultat qui complique la tâche du gouvernement, lequel attendait 2% de croissance cette année.

Article rédigé par franceinfo - Céline Delbecque
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Temps de lecture : 6min
Des clients dans un supermarché, à Mulhouse (Haut-Rhin), pendant les soldes de juin 2018.  (SEBASTIEN BOZON / AFP)

La croissance économique française a fortement ralenti au deuxième trimestre de l'année 2018, par rapport aux encourageants résultats de l'année 2017. Avec une progression de 0,2% entre avril et juin, l'objectif du gouvernement d'atteindre 2% de croissance économique en 2018 semble de plus en plus inatteignable. Franceinfo vous explique tout sur cette décélération.

Le ralentissement économique est-il important ? 

Selon un récent rapport de l'Insee, le produit intérieur brut (PIB) français n'a progressé que de 0,2% au deuxième trimestre de l'année 2018, par rapport aux trois premiers mois de l'année. Un chiffre peu encourageant, si on le compare au rebond de 0,7% enregistré entre octobre et décembre 2017, et qui remet fortement en question l'objectif du gouvernement d'une croissance à 2% en 2018.

"Ces chiffres parlent d'eux-mêmes. Entre l'année dernière et aujourd'hui, on voit un énorme ralentissement de la croissance : elle a presque été divisée par trois", analyse pour franceinfo Patrick Artus, directeur de la recherche et des études chez Natixis. "Il y a eu un trou d'air plus marqué que ce qu'on pouvait attendre sur les deux premiers trimestres", confirme Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévisions de l’OFCE.

Quelles en sont les raisons ? 

Il y a d'abord des explications liées aux marchés internationaux, note Mathieu Plane. Ce ralentissement s'explique en partie par un "renchérissement du prix du pétrole et de l'énergie". L'année dernière, le baril de pétrole coûtait en effet 50 dollars, contre près de 80 aujourd'hui. "La politique de Donald Trump, notamment sur les barrières douanières mises en place dans le secteur du commerce international, peuvent aussi expliquer une certaine incertitude des investisseurs, ce qui fragilise la croissance", assure le spécialiste. S'ajoutent certains événements propres à la zone euro, comme "la peur d'une nouvelle crise avec l'Italie ou le Brexit".

Mais ces éléments extérieurs n'expliquent pas tout. En France, "le ralentissement économique est plus présent qu'ailleurs, assure l'économiste de l'OFCE. Cette décélération est étroitement liée au calendrier fiscal." Pour lui, les mesures mises en place au 1er trimestre 2018 (hausse de la CSG, fiscalité sur le tabac, taxe sur les hydrocarbures) ont eu "un impact très négatif sur le pouvoir d'achat des ménages, qui se répercute directement sur la consommation". "Lorsque l'on sait que la consommation représente 50% du PIB, la réponse est toute trouvée", indique-t-il.

"Il existe actuellement un énorme problème de recrutement dans les entreprises françaises, qui ralentit fortement la création d'emplois, ajoute Patrick Artus. Et cette difficulté de l'offre ne va pas s'arranger : il faudrait que les réformes, comme celle sur l'apprentissage par exemple, donnent des résultats, et cela ne sera pas visible avant plusieurs années."

Quelles conséquences pour les finances publiques ?

Pour commencer, le gouvernement pourrait ne pas tenir ses prévisions de croissance, annoncées avant la pause estivale par Gérald Darmanin. Pour le ministre de l'Action et des Comptes publics, la croissance française ne pouvait pas tomber sous la barre des 1,8% en 2018. Les experts sont divisés sur le sujet. Selon Mathieu Plane, cette évaluation "reste plutôt crédible", même si "la prudence serait de viser 1,7%". En revanche, "viser 2% de croissance en 2018 paraît illusoire", signale l'expert. L'objectif des 1,7% est "trop optimiste", tranche pour sa part Philippe Waechter : "Pour atteindre ce chiffre, il faudrait obtenir une accélération de la croissance au dernier trimestre que nous n'avons pas vue depuis très longtemps. C'est illusoire."

Sans les 2% de croissance espérés, une autre problématique pourrait vite apparaître : l'objectif de ramener le déficit public à 2,3% cette année, conformément aux promesses faites par la France à la Commission européenne, paraît inatteignable. "Lorsqu'on a moins de croissance, on a moins d'activité, moins de revenus et donc des déficits plus élevés, décrypte Mathieu Plane pour franceinfo. On dit généralement que si l'on a 0,2 points de croissance en moins, alors on aura 0,1 point de déficit en plus".

Les experts se mettent plutôt d'accord sur un déficit public aux environs de 2,6% en 2018. "Dans ce cas, le gouvernement aura deux solutions, assure Mathieu Plane. Ou il accepte de rabaisser son estimation à un déficit de 2,5%, ou il la tient coûte que coûte, avec le nouveau tour de vis budgétaire que cela impliquerait." Compliqué, alors que l'État s'est engagé à financer la suppression partielle de la taxe d'habitation, qu'il compensera pour les communes.

La croissance peut-elle repartir ? 

Afin de relancer la croissance, plusieurs effets politiques sont attendus par les spécialistes. Philippe Waechter espère notamment une relance de la consommation dans les prochains mois : "Nous verrons, en même temps, un ajustement des baisses de charges et une baisse de la taxe d'habitation, rappelle-t-il. Cela va jouer positivement sur le pouvoir d'achat des français et donc sur l'accélération de la consommation, liée elle-même à l'élargissement de la croissance." Pourtant, l'expert reste inquiet sur certains points : "Il y a une réelle incertitude liée à la problématique de l'emploi : le rapide ralentissement des embauches peut être un signe alarmant."

Mathieu Plane avance une analyse plus nuancée. "L'investissement reste assez robuste de son côté et cela ira de mieux en mieux ces prochains mois, notamment avec la baisse de l'impôt sur les sociétés et la suppression du CICE en 2019." L'enjeu est de taille car "le vrai sujet, c'est 2019", affirme Patrick Artus. "Le gouvernement pensait atteindre une croissance proche des 2% l'année prochaine, mais si on continue de progresser comme cela, ce chiffre semble compliqué à atteindre." Pour le spécialiste, le "trou sera alors énorme", avec les "pertes de recette fiscale et les problèmes budgétaires que cela impliquerait". 

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