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Croissance nulle et forte inflation : "La stagflation peut s'installer à moyen terme", prévient une économiste

Après une forte reprise en 2021, l'activité économique française a nettement marqué le pas au premier trimestre. Franceinfo a interrogé Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste pour le cabinet de conseil BDO France, pour en comprendre les raisons, notamment liées à la guerre en Ukraine.

Article rédigé par Violaine Jaussent - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un client devant un étal de légumes dans le marché de la place d'Aligre, à Paris, le 22 mars 2022. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Une croissance nulle. Après une forte reprise en 2021, l'économie française a fait du surplace au premier trimestre 2022. Selon une première estimation publiée vendredi 29 avril par l'Institut national de la statistique (Insee), la croissance a été de 0% sur les trois premiers mois de l'année. En parallèle, l'inflation a atteint 4,5% sur un an en mars, du jamais-vu depuis le milieu des années 1980. Pour comprendre ce phénomène, ses conséquences et les perspectives pour sortir de cette situation, franceinfo a interrogé Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste pour le cabinet de conseil BDO France.

Franceinfo : La croissance est à l'arrêt au premier trimestre 2022. Cette première estimation est bien inférieure aux 0,3% sur lesquels tablait l'Insee dans sa dernière prévision datant de début février. Comment l'expliquer ?

Anne-Sophie Alsif : On devait être sur une année assez robuste au niveau de la croissance, mais la crise en Ukraine et l'inflation énergétique sont passées par là. Le phénomène est assez particulier, car l'inflation énergétique est volatile et dépend de facteurs exogènes : les prix du gaz et ceux du pétrole augmentent à cause de la guerre, notamment.

Ce n'est pas un cycle inflationniste classique, comme aux Etats-Unis. Il est moins facile de lutter contre ce type d'inflation. L'élasticité des prix de l'énergie est si forte que la diminution des taxes ou les mesures des "boucliers énergie" [comme le gel provisoire des prix du gaz instauré jusqu'en juin par le gouvernement] n'ont pas de répercussions sur le pouvoir d'achat, bien que ces mesures coûtent cher. Donc les ménages consomment moins.

A quoi peut-on s'attendre dans les prochains mois ?

La situation risque de se dégrader, ça va être compliqué au cours des prochains trimestres... La hausse des prix de l'énergie va certainement continuer toute l'année, donc les ménages vont moins consommer et les entreprises moins investir. Ce qui, mécaniquement, va avoir une incidence sur la croissance. C'est inquiétant car on va rester dans cette situation à moyen, voire à long terme.

Il y aura un coût sur les finances publiques car des mesures vont être prises pour éviter une perte de pouvoir d'achat, dans un contexte où on sort tout juste d'une crise liée au Covid, où le désendettement lié aux mesures prises pendant la crise sanitaire était enfin possible. Moins de croissance et plus d'inflation : c'est la stagflation, qui peut s'installer à moyen terme.

Comment espérer sortir de ce cercle vicieux ?

C'est difficile, car il faut agir sur la confiance des Français. Pendant la crise liée au Covid, on a réussi à anticiper une issue avec les vaccins. Dès que le premier vaccin est arrivé, la consommation s'est relancée. C'est la grande différence avec la crise actuelle. Quelle que soit la politique mise en place par le gouvernement, elle ne fonctionne pas pour restaurer la confiance. La crise liée à la guerre en Ukraine et la crise environnementale mondiale sont ancrées dans les esprits des consommateurs, qui pensent qu'il faut conserver de l'épargne.

Certains indicateurs économiques nuancent-ils ce tableau très sombre ?

L'inflation énergétique, la stagflation, le taux de la dette qui augmente... On n'est pas encore dans la situation où tout se cumule, mais il faut faire en sorte que la zone euro ne décroche pas. Tout va dépendre de la suite. Pour l'instant, la demande est là et les indicateurs macroéconomiques sont favorables : le taux de chômage est à la baisse et le taux d'épargne des ménages est revenu à un niveau supérieur à 2019. En même temps, il y a une forte inflation : il s'agit d'un paradoxe.

Il faut donc observer la consommation des ménages [en net recul selon les dernières estimations de l'Insee], déterminante pour la santé des entreprises, en particulier dans les secteurs des transports et de l'agriculture, qui subissent les conséquences de la crise actuelle. On verra dans les prochains mois.

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