Dette publique : pourquoi la France emprunte-t-elle désormais à un taux plus élevé que l'Espagne ?

Article rédigé par Alice Galopin - avec AFP
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Le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, à son arrivée à l'Elysée pour le Conseil des ministres, le 23 septembre 2024. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Pour la première fois depuis 2006, le taux d'emprunt de la France à dix ans a dépassé celui de l'Espagne.

Du jamais-vu depuis dix-huit ans. Pour la première fois depuis novembre 2006, le taux auquel la France emprunte à dix ans sur le marché de la dette a dépassé, jeudi 26 septembre, celui de l'Espagne. "Selon les dernières données, le taux d'emprunt de la France s'établit à 2,9%, contre 2,88% pour l'Espagne", détaille pour franceinfo Stéphanie Villers, spécialiste de la zone euro et conseillère économique au cabinet PwC France.

Le taux d'emprunt à dix ans est "considéré comme le taux de référence par les marchés financiers", explique l'experte. Il est le reflet de la confiance des investisseurs dans la capacité d'un pays à rembourser sa dette. Traditionnellement, la dette des Etats les plus puissants économiquement se voit accorder les taux plus bas. Ce basculement entre les taux réclamés à Madrid et à Paris signifie donc que les investisseurs jugent un peu plus sûr de détenir de la dette espagnole que française.

Une "amélioration" de la situation des pays d'Europe du Sud

Depuis plusieurs années, l'écart entre le taux d'emprunt de la France et ceux des pays du sud de l'Europe tend à se réduire. A une échéance d'emprunt de cinq ans, la dette française s'échange aussi désormais à un taux plus élevé que pour l'Espagne, le Portugal et la Grèce. A dix ans, le taux français est moins élevé que celui d'Athènes, mais supérieur à ceux de Lisbonne ou Madrid. "Globalement, il y a un mouvement d'amélioration de ces pays, analyse auprès de l'AFP Aurélien Buffault, directeur des gestions obligataires de Delubac AM. La Grèce, par exemple, a fait faillite en 2012, mais douze ans plus, l'écart entre les taux d'emprunt français et grec [à dix ans] n'est plus que de 0,16 point de pourcentage", pointe-t-il.

Une tendance qui s'explique en partie par la croissance soutenue dont bénéficient ces pays. L'Espagne est "redevenue une des locomotives de la zone euro", décrypte Aurélien Buffault. La Banque d'Espagne anticipe une croissance de 2,8% d'ici la fin de l'année, soit un niveau bien supérieur à la moyenne de la zone monétaire (0,8%, selon la BCE). En France, l'Insee prévoit une hausse du produit intérieur brut (PIB) de 1,1%.

En parallèle, les pays d'Europe du Sud ont aussi pris des mesures pour "favoriser l'assainissement des comptes publics", souligne Stéphanie Villers. "En 2010, le Portugal affichait un déficit budgétaire à 10% de son PIB, mais le pays a fait les efforts nécessaires, surtout ces cinq dernières années", avance Christopher Dembik, conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM, auprès de La Tribune. "Ainsi, en 2017, l'écart avec la France sur les taux à 10 ans était de 300 points de base alors que ces derniers jours, il était de 20 points de base… et cette fois en faveur du Portugal", relève-t-il.

Vers un déficit à 6% en France

La France observe à l'inverse une "poursuite de la dégradation de ses comptes publics", poursuit Stéphanie Villers. Le déficit public français "risque de dépasser" 6% du PIB en 2024, contre 5,1% initialement attendus, selon le ministre du Budget. "La situation de nos finances publiques est grave", a concédé mercredi Laurent Saint-Martin devant la commission des Finances de l'Assemblée. A titre de comparaison, le gouvernement espagnol compte ramener le déficit sous les 3% d'ici à la fin de l'année.

"La France a déjà connu un déficit d'une telle ampleur, notamment en période de crise Covid, parce que l'Etat était massivement intervenu pour prendre à sa charge une partie des dépenses essentielles, comme le chômage partiel, rappelle Stéphanie Villers. Or, aujourd'hui, rien ne justifie que le déficit soit à ce point abyssal par rapport aux autres pays européens. C'est cela qui inquiète les marchés", fait valoir l'économiste.

Ces prévisions sont d'autant plus scrutées par les marchés que la France fait l'objet, avec sept autres pays (Belgique, Hongrie, Italie, Malte, Pologne, Roumanie, Slovaquie), d'une procédure pour déficit excessif devant la Commission européenne. Le gouvernement a jusqu'au 31 octobre pour présenter à Bruxelles sa trajectoire de rétablissement des comptes publics.

L'incertitude politique des derniers mois questionne aussi les investisseurs sur la capacité de la France à redresser ses comptes. "Pour l'heure, même si la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre a pu rassurer les marchés financiers, il n'empêche que la présentation du budget pour 2025 traîne", souligne Stéphanie Villers. Le projet de loi de finances, traditionnellement transmis au Parlement avant le 1er octobre, ne sera présenté que "la semaine du 9 octobre", a prévenu Laurent Saint-Martin.

"Ce caractère d'urgence et ce manque de visibilité font que les marchés commencent à s'inquiéter."

Stéphanie Villers, économiste

à franceinfo

Faut-il pour autant s'inquiéter de cette hausse du taux d'emprunt ? "Bien qu'il y ait une incertitude sur la situation budgétaire (…), la dette française trouve toujours preneur", rassure auprès de La Tribune Jérôme Creel, économiste à l'OFCE, qui assure que la France n'a pas de difficultés pour emprunter.

"Une première alerte"

Cette augmentation va toutefois "nous pénaliser sur le long terme", nuance Stéphanie Villers, car elle va encore alourdir les sommes dépensées par l'Etat pour rembourser sa dette. Or, la charge de la dette, c'est-à-dire le paiement des seuls intérêts, devrait déjà passer de 46,3 milliards d'euros en 2024 à plus de 72 milliards en 2027, selon le programme de stabilité rédigé par le précédent gouvernement en avril. "Les intérêts de la dette de l'Etat se rapprocheraient ainsi à l'horizon 2027 des dépenses de l'Education nationale, premier poste budgétaire avec 87 milliards d'euros", alertait en juillet un rapport de la commission des Finances du Sénat.

A ce stade, la situation de la France est encore loin de la crise des dettes dans la zone euro au tournant des années 2010. A l'époque, "les écarts de taux avaient beaucoup plus augmenté", rappelle Eric Dor, directeur des études à l'IESEG, à Ouest-France. "Mais méfiance. Il ne faut pas provoquer trop les marchés", met-il en garde. Cette hausse du taux d'emprunt constitue pour l'heure "une première alerte", abonde Stéphanie Villers. "Mais si le budget 2025 ne passe pas, s'il y a des tensions qui amènent à une motion de censure et à une démission du gouvernement, alors il y aura un risque de tension supplémentaire", juge l'économiste.

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