Reportage "Pas sûr que le consommateur se rende compte du danger" : en Dordogne, des agriculteurs organisent un barbecue pour alerter sur l'accord avec le Mercosur

Article rédigé par Robin Prudent - envoyé spécial en Dordogne
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Des agriculteurs manifestant contre l'accord de libre-échange UE-Mercosur organisent un barbecue à Périgueux (Dordogne), le 18 novembre 2024. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)
A l'appel de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs, plus de 80 tracteurs ont convergé vers Périgueux, lundi. Mais pas question de bloquer la circulation. "On veut avoir l'opinion publique avec nous", assume un leader syndical.

Les saucisses sur "le feu de la colère". Alors que la nuit et le froid viennent de tomber sur la place centrale de Périgueux, en Dordogne, plus d'une centaine de personnes se réchauffent autour des barbecues en tôle installés par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs (JA), lundi 18 novembre. Comme dans plusieurs dizaines de préfectures en France au même moment, les deux syndicats ont mené de telles actions pour exprimer leur opposition au projet d'accord de libre-échange avec les pays du Mercosur.

Mais au cœur du Périgord, les agriculteurs ont voulu ajouter leur petite touche, avec de la viande locale offerte à tous. "On change de mode opératoire", explique Guillaume Testut, président du syndicat des Jeunes Agriculteurs du département.

Des agriculteurs à Périgueux (Dordogne), le 18 novembre 2024. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Pas question de bloquer les axes routiers ou de dégrader des bâtiments administratifs, comme cela avait pu être le cas lors des manifestations du début de l'année. "On n'avait pas envie de déverser encore des détritus devant la préfecture", assure le jeune éleveur de blondes d'Aquitaine, emmitouflé dans sa doudoune rouge sans manches. Le bâtiment qui héberge le préfet n'est pourtant qu'à quelques mètres, mais personne ne tente de s'approcher. "On veut avoir l'opinion publique avec nous", glisse-t-il en souriant.

"On n'est pas là pour embêter la population"

Dès le milieu de l'après-midi, des dizaines d'agriculteurs de tout le département ont convergé, sur des tracteurs, vers cinq points de ralliement situés en périphérie de Périgueux. "Le but, aujourd'hui, c'est de faire prendre conscience au grand public qu'il y a un risque sur les produits qui vont être importés avec le Mercosur", explique Nicolas Lagarde, responsable de la filière bovine de la section départementale de la FNSEA. Le message est d'ailleurs martelé depuis plusieurs semaines sur les panneaux d'agglomération des communes des alentours, bâchés et tagués avec le slogan "Non au Mercosur".

Des tracteurs dans Périgueux (Dordogne), le 18 novembre 2024. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Cette fois, les agriculteurs et les éleveurs veulent aller directement au contact des habitants. "C'est pour cela que l'on fait une action en centre-ville, avec un barbecue et des tracts", assure l'éleveur de bœufs label rouge. "On n'est pas là pour embêter la population, mais je ne suis pas sûr que le consommateur se rende compte du danger", s'inquiète-t-il, en patientant sur le parking du centre aquatique de Champcevinel.

Lorsque le feu vert est enfin donné, l'ensemble des agriculteurs mobilisés prennent la route pour rejoindre les petites rues du centre historique de Périgueux. L'allure en tracteur est modérée, mais la circulation n'est pas arrêtée, alors que les travailleurs et les élèves rentrent chez eux. Encadrées par des policiers à moto, les dizaines d'engins agricoles se garent bien en ligne pour ne pas paralyser le rond-point, où les syndicats ont appelé au rassemblement.

"Achetez français !"

"On fait place nette ce soir !", lance un représentant syndical, juché sur un tracteur. Le mot d'ordre fait l'unanimité dans les rangs des agriculteurs : "Nous sommes de retour, car la population a besoin de nous." Venu avec sa femme et ses enfants, tous coiffés du bonnet vert de la FNSEA, Vincent Durand se félicite "de ce moment de convivialité", trop rare entre agriculteurs. "Je ne connais pas la moitié des personnes ici", assure le céréalier de 44 ans, tout sourire. Par petits groupes, les discussions sur les difficultés rencontrées dans les exploitations vont bon train.

Vincent Durand, agriculteur, à Périgueux (Dordogne), le 18 novembre 2024. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Un même appel à la population résonne à travers toutes les conversations : "Achetez français !" Une évidence pour Anthony Fanet, éleveur de veaux. "Ça applaudit, ça klaxonne, mais il faut aussi jouer le jeu en achetant local", réclame le trentenaire. Si certains sont agacés par ceux "qui mettent 1 500 euros dans un smartphone", mais refusent d'ajouter "quelques euros pour se payer de la viande de qualité", la plupart veulent croire qu'un sursaut est encore possible.

"Chacun peut faire un geste à son échelle ! Mangez moins de viande, mais mangez-en mieux !"

Anthony Fanet, éleveur de veaux

à franceinfo

Le dialogue entre agriculteurs et habitants est cependant loin d'être rétabli. Si toute la population était conviée à ce grand banquet, rares sont ceux qui ne viennent pas du monde agricole ce soir-là. Les hautes flammes ont bien rameuté quelques groupes de jeunes citadins qui filment le brasier et le diffusent sur les réseaux sociaux, mais ces derniers restent à l'écart des autres adolescents venus en bottes depuis l'exploitation familiale.

Quelques badauds finissent tout de même par s'approcher, en silence. "Je soutiens leur mouvement, ce sont eux qui nourrissent la France", glisse discrètement Chantal. Cette éducatrice à la retraite tente de suivre au mieux les revendications des agriculteurs pour consommer local. "Il faut acheter directement aux petits producteurs", reconnaît-elle, avant d’ajouter : "Mais quand on a une famille et le chauffage à payer, je comprends que certains doivent sacrifier des choses..."

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