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L'industrie agroalimentaire bretonne est-elle condamnée ?

Les entreprises Gad, Doux et Tilly-Sabco sont devenues les symboles de la crise de ce secteur en Bretagne, mais surtout d'un modèle de développement économique obsolète.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des salariés de Tilly-Sabco, volailler breton menacé de cessation de paiement, manifestent devant la sous-préfecture de Morlaix (Finistère), le 4 novembre 2013. (DAMIEN MEYER / AFP)

Une journée de réunion commence à la préfecture de Bretagne. Autour de la table, à Rennes, mercredi 6 novembre, élus, syndicalistes et patrons se penchent sur "le pacte d'avenir", promis par Matignon après les manifestations contre l’écotaxe. Le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, est également attendu sur place, vendredi, pour faire avancer les négociations. Le gouvernement tente de tirer la région de la crise aiguë que traversent son agriculture et son industrie agroalimentaire.

Car depuis quarante ans, la Bretagne est la région où ce secteur pèse le plus lourd dans l’économie locale, comme le montrent ces cartes (PDF). Selon l'Insee, il représentait 11% des emplois en 2008. Aujourd'hui, les abattoirs Gad et les volaillers Doux et Tilly-Sabco sont devenus les symboles de l'échec du développement économique à la bretonne.

Pourquoi l'agroalimentaire a-t-il une telle place en Bretagne ?

Parce qu'il y a eu la guerre. "Après la seconde guerre mondiale, la France et l’Europe sont sinistrées. Leurs impératifs sont la reconstruction et l’autosuffisance alimentaire", raconte Jean-Paul Simier, économiste à l’Agence régionale de développement et d’innovation de Bretagne, contacté par francetv info. "La France adopte une stratégie volontariste de modernisation des campagnes, dès les années 1960. Elle bénéficie à plein de la PAC, la politique agricole commune, adoptée en 1957."

Parce que la Bretagne a été un laboratoire. "La Bretagne, région agricole, paysanne, pauvre, 'en retard de développement', se lance alors dans l’agriculture moderne – pour ne pas dire intensive et industrialisée", explique ce spécialiste de l’agroalimentaire. "Et comme il y a peu de terres disponibles, l’agriculture et l’élevage hors-sol sont la solution. On importe l’alimentation animale, on fait de la génétique améliorée, on applique les techniques et les sciences à l’agriculture, on rationalise."

Parce que ça a fonctionné. Résultat : la Bretagne élève un tiers des volailles et plus de 50% des porcs consommés en France, et produit plus de 40% des œufs du pays, énumère Le Monde"La Bretagne a été la bonne élève de cette reconquête alimentaire européenne. Cela s’est poursuivi jusque dans les années 1980. On a appelé ça le modèle agricole breton. Mais les Pays-Bas, le Danemark ou la Catalogne ont connu le même type de développement. Et aujourd’hui, il n’existe plus", souligne Jean-Paul Simier.

Pourquoi ce modèle économique a-t-il périclité ?

Parce qu'il y a eu des quotas. Les premières difficultés sont apparues dès les années 80. "En 1984, les quotas laitiers donnent un premier coup de frein au secteur", relate l'économiste. "Les préoccupations environnementales, nées de la hausse des taux de nitrate dans l’eau, et l’apparition des algues vertes sur les plages aboutissent en 1998 à une circulaire, qui met un coup d’arrêt à l’extension des élevages."

Parce que l'Europe s'est ouverte. Dans le même temps, on assiste à l’élargissement européen. Et à partir du milieu des années 2000, la libéralisation économique en Allemagne. "En moins de dix ans, une puissance agricole émerge en Allemagne, qui s’appuie sur des élevages et des usines plus grandes, sur la modernisation des installations. Les abattoirs allemands emploient aussi une main-d'œuvre moins chères venue d’Europe de l’est", dit Jean-Paul Simier. "Une industrie à l’échelle européenne extrêmement compétitive se met en place au centre de l’Europe, au cœur des marchés, et vient concurrencer les industriels bretons qui affrontaient déjà la compétition venue de pays émergents comme le Brésil."

Parce que les marges ont fondu. Autre coup dur : le cours des matières premières augmente, en particulier celui du soja, utilisé dans l’alimentation animale. En outre, ajoute Le Monde, l’hégémonie de la grande distribution et l’avènement du hard discount tirent les prix vers le bas et obligent les entreprises à rogner sur leurs marges. 

Parce que les aides ont disparu. Enfin, il y a la suppression des "restitutions", décidée par Bruxelles. Ces subventions à l'exportation versées par l'Union européenne pour compenser des coûts de production plus élevés dans l'espace européen. La France en était presque la seule bénéficiaire. Elle a absorbé 93,7% des 55 millions d'euros versés pour la période 2012-2013 et réalisé 94,7% des exportations concernées. Doux et Tilly-Sabco profitaient à plein de ces aides pour exporter leurs poulets congelés vers le Moyen-Orient, souligne France 3 Bretagne.

Comment relancer le secteur ?

Il faut des entreprises plus grandes. "Il y a eu un changement d’échelle, qui a résulté du marché unique et de la monnaie unique. On est passé d’une industrie nationale à une industrie européenne. Et la France doit se repositionner", juge Jean-Paul Simier"Or, elle ne dispose pas d’entreprises suffisamment importantes pour y arriver. Pour atteindre la taille critique, il faut donc faire grossir des sociétés familiales et artisanales par des alliances", estime l'économiste. 

Il faut investir. "Il y a eu des erreurs individuelles, certains n’ont pas su prendre les bonnes décisions au bon moment", reconnaît Jean-Paul Simier. "Il faut corriger ces erreurs du passé." Pour lui, globalement, "la France n'a pas assez investi". Il faut donc améliorer la recherche et développement, et miser sur l'innovation et le marketing pour mieux vendre nos produits et en créer de nouveaux répondant mieux aux besoins des consommateurs. Mais "cela ne suffit pas", prévient-il.

Il faut une convergence européenne. "Et s'il faut veiller au ratio qualité-prix, cela ne sert à rien de faire du bas de gamme si d'autres peuvent le faire pour moins cher encore", insiste l'expert. "Et on ne peut pas non plus n'avoir que des stratégies de niche en jouant la carte du haut de gamme, très cher à fabriquer." Pour lui, la solution ne réside "pas seulement dans les stratégies d'entreprises". Il est nécessaire, estime Jean-Paul Simier, de "corriger les effets pervers" de ce marché européen, notamment les distorsions de concurrence, en accélérant "la convergence" entre les Etats membres.

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