Commerce : pratiques ou intrusives, quand les caméras "intelligentes" s'immiscent dans un flou juridique
De plus en plus de supermarchés s'équipent de caméras "intelligentes" pour fluidifier le passage en caisse et lutter contre les vols. Mais la Cnil alerte sur le flou juridique autour de ces appareils et a lancé une consultation.
Dans ce petit supermarché du 11e arrondissement de Paris, il n'y a pas de caissiers ni de caisses automatiques. Ici, on teste un concept qui permet de payer en moins de 10 secondes. Pour cela, des dizaines de caméras sont en permanence braquées sur les clients. "Une fois qu'un client est entré, il est capté par une des 60 caméras qui suivent les acheteurs", explique jeudi 21 avril Nicolas Safis, directeur de l'innovation chez Carrefour, qui a développé ce système. "Quand il prend un produit, les étagères sont équipées d'un capteur de poids qui va permettre d'envoyer un signal en disant 'tel produit a été pris sur cette étagère'."
Plusieurs enseignes de grande distribution se sont lancées dans l'utilisation de caméras "intelligentes", notamment parce qu'elles permettent aussi de mieux détecter les vols car aucun geste n'échappe à ces appareils. Pas de quoi inquiéter Jacqueline, une cliente régulière du magasin. "Entre Internet, les téléphones, Instagram... Vous êtes fiché partout. Un peu plus ou un peu moins, de vous à moi, je m'en fiche ! Je n'ai rien me reprocher."
Une analyse gestuelle qui pose problème
Problème : ces caméras à intelligence artificielle font l'objet d'un flou juridique. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a donc lancé une consultation à ce sujet entre la mi-janvier et la mi-mars. "Avant d'être analysées, ces images sont converties en avatar anonyme. On ne capte ni l'âge, ni le sexe", défend Nicolas Safis. Il assure par ailleurs que les données ne sont pas conservées. "L'image telle qu'on pourrait la voir avec une caméra classique n'est pas du tout stockée. Elle est immédiatement convertie et détruite."
L'utilisation de ces caméras "intelligentes" ne figure cependant nulle part dans la loi. La dernière réglementation date de 1995, c'est-à-dire à une époque où les caméras augmentées n'existaient pas encore. "On n'est plus simplement filmé, on va dorénavant devenir analysé. Il y a un changement d'intrusivité dans la vie quotidienne des personnes. Vous allez faire un geste suspect dans un magasin et le vigile va se dire que vous allez peut-être commettre un vol", affirme de son côté Thomas Dautieu, directeur de la conformité à la Cnil. Il faut selon lui dissiper ce flou juridique : "Il y a des tas de finalités qui peuvent être tout à fait légitimes, mais aussi apporter des risques pour les libertés individuelles car vous allez peut-être avoir un comportement différent sachant que vous êtes l'objet d'une analyse." La Cnil doit rendre ses recommandations aux pouvoir publics début juillet, en vue d'une modification de la loi.
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