"Ils l'ont jeté en prison, ils l'ont mis dans un petit pyjama… ils ont tout pris, raconte Carole Ghosn, l'épouse du Pdg déchu de Renault-Nissan-Mitsubishi. Il n'y avait pas de chauffage, il gelait de froid. Il dormait par terre, au début." L'épouse de Carlos Ghosn a, exceptionnellement, accepté de confier aux journalistes d'"Envoyé spécial" son expérience du système judiciaire japonais depuis la détention de son mari dans un pénitencier tokyoïte.Elle évoque "la lumière jour et nuit allumée", les "deux douches par semaine", la demi-heure de promenade quotidienne sur le toit, sauf le week-end, où "ils passaient la nourriture sous sa porte". Une nourriture composée de soupe et de riz – insuffisante, d'après elle : "Il perdu 10 kilos la première semaine", affirme-t-elle. Face aux accusations de sévérité excessive et d'iniquité, les autorités de la prison ont diffusé des images pour montrer que l'ex-Pdg est bien traité, comme les autres détenus : cellule propre, menu préparé par des nutritionnistes, avec légumes et viande ou poisson à chaque repas."Aucun humain ne doit être traité comme ça"Au bout de trois mois et demi, Carole Ghosn a obtenu un droit de visite de trente minutes au parloir. "C'est l'endroit le plus triste que j'ai vu dans ma vie, assure-t-elle. C'était froid – il gelait –, gris et silencieux. Et on sentait la torture morale. Il était en isolement complet, maigre, pâle, les mains très jaunes, décrit-elle, très émue. C'est tellement sévère, tellement strict qu'ils te tuent d'une façon silencieuse."Carole Ghosn assure qu'elle ne souhaite pas que son mari soit "traité comme un VIP", mais que tout le monde soit traité "d'une façon équitable. Aucun humain ne doit être traité comme ça. C'est vraiment injuste, et ce n'est pas acceptable d'un pays qui fait partie du G7 et se dit une démocratie".Carlos Ghosn a tout de même fini par obtenir une libération sous caution – fait rare au Japon, où les inculpés attendent leur procès en prison, parfois pendant des années. L'ancien Pdg est aujourd'hui en résidence surveillée à Tokyo, dans des conditions qui restent très strictes : pas de smartphone, pas d'internet (consultable seulement au cabinet de son avocat). Entendue comme témoin dans l'affaire, sa femme n'est pas autorisée à le voir, ni même à lui téléphoner ou à lui écrire. "Il est suivi partout par le bureau des procureurs, ils savent ce qu'il mange, où il va, avec qui il parle… Et ça, ce n'est pas légal, ils le disent… mais ils le font. (...) Ils font leur justice à eux", estime-t-elle. Au Japon, le parquet dispose en effet d'un pouvoir considérable.Extrait de "Japon, des prisonniers au pas", une enquête à voir dans "Envoyé spécial" le 21 novembre 2019.