Projet avorté de fusion Renault-Nissan, action diplomatique discrète... Retour sur l'affaire Carlos Ghosn, un an après
Après 130 jours en prison, l'ancien patron de l'alliance Renault-Nissan est désormais en résidence surveillée à Tokyo, dans l'attente de son procès.
C’était il y a un an tout juste : le 19 novembre 2018, Carlos Ghosn était arrêté au Japon. Aujourd'hui, l'ex-patron tout puissant de l'alliance Renault-Nissan fait l'objet de quatre inculpations : deux pour non déclaration aux autorités boursières de rémunérations différées, et deux autres pour abus de confiance aggravé. Il risque jusqu'à 15 ans de prison lors du procès qui se tiendra en 2020. Un an après le début de l'affaire et alors que ses enfants signent une tribune pour alerter sur la situation de leur père, franceinfo fait le point sur les raisons de cette arrestation spectaculaire qui pose toujours des questions.
Souvenez-vous de ces images diffusées par la télévision japonaise le 18 novembre 2018 : des hommes en costume sombre montent dans un jet blanc siglé Nissan qui vient de se poser en pleine nuit sur le tarmac de l’aéroport Haneda à Tokyo. La vidéo fera le tour des médias du monde. Après avoir présenté son passeport, Carlos Ghosn est interrogé dans les locaux de l'aéroport, puis placé en état d'arrestation.
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Dès les premiers jours, les proches de Carlos Ghosn, ses avocats, ses enfants et sa femme, crient au complot. Ils pointent du doigt Nissan, dont les cadres voulaient "se débarrasser" de Carlos Ghosn. Depuis, tous ceux qui constituaient son état-major chez Renault ont soit démissionné, soit pris la porte. C’est le cas de Farid Aractingi, dircteur de l'audit, un ami d’enfance de Carlos Ghosn – ils étaient à l’école ensemble – et un des seuls à le tutoyer chez Renault, où il a passé 20 ans.
On allait changer de dimension. Et je pense que ce changement de dimension a paniqué les Japonais.
Farid Aractingi, ancien cadre de Renaultà franceinfo
Farid Aractingi ne s'était jamais exprimé publiquement sur cette affaire. Jusqu'en avril 2019, où il a été remercié par Thierry Bolloré (qui a subi le même sort quelques mois plus tard), il était en charge d’une direction qui regroupait la maîtrise des risques et l’audit interne. Un poste stratégique qui l'a amené à travailler, en toute discrétion, sur un projet de fusion qui devait pérenniser et approfondir le partenariat scellé en 1999 entre Renault et Nissan, rejoints par leur allié Mitsubishi.
Même si actuellement il y a concomitance du calendrier et qu'il n’y a pas de preuve de lien avéré entre le projet de fusion, c'est ce projet qui a fait tomber Carlos Ghosn, il en est sûr. "Ce qui était important dans mes discussions avec lui, c'était de dire comment cette alliance allait perdurer après son départ, explique Farid Aractingi. Nul être humain, quels que soient ses compétences, ses qualités, son bilan, n'est éternel. Même Carlos Ghosn ! Même lui allait partir et il en était conscient. Par conséquent, on allait changer de dimension. Je pense que ce changement de dimension a paniqué les Japonais. C'est clair que la décision qui a été prise le 19 novembre, en arrêtant Carlos Ghosn, de mettre un holà à l'alliance a été néfaste à Renault et à Nissan. C'est une décision qui n'était pas positive, prise sur des facteurs plutôt émotionnels que sur des facteurs quantitatifs, rationnels, raisonnables."
Selon les informations de franceinfo, Carlos Ghosn avait demandé à différentes personnes de travailler séparément sur ce projet de fusion. L'idée était de domicilier la future entité aux Pays-Bas ou en Suisse. Le projet devait être présenté au conseil d’administration de Renault en février 2019.
La diplomatie discrète de la France
Officiellement, l'État a fait le minimum syndical pour soutenir le patron déchu. Il faut dire que Carlos Ghosn s'était opposé à Emmanuel Macron dans la mise en place des droits de vote double en 2015. Et puis, en novembre dernier, la France est en pleine crise des "gilets jaunes" : pas le moment idéal pour voler au secours d’un PDG dont la rémunération a toujours été considérée comme trop élevée par l'exécutif et l'opinion publique.
Mais en coulisses, selon les informations de franceinfo, l'État ne reste pas immobile. L’ambassadeur de France au Japon est très actif, va jusqu'à accueillir la famille de Carlos Ghosn à l'ambassade. La France se porte même garante du patron de Renault, qui a failli sortir de prison, quelques jours avant Noël 2018. Il ne sortira finalement que fin avril 2019.
L'affaiblissement de Renault
Un an après, le constructeur n’est pas au meilleur de sa forme, avec des indicateurs financiers en berne, ce qui provoque une certaine fébrilité des milieux d’affaire. Le groupe avait déjà été fragilisé par le rapprochement avorté, au printemps, avec Fiat-Chrysler qui depuis a engagé un projet de fusion avec le rival de toujours, le groupe PSA.
En octobre, les départs coup sur coup de Hiroto Saikawa (directeur général de Nissan) et Bolloré (directeur général de Renault) ont permis de tourner une page. Selon un très bon connaisseur de la marque au losange, Patrick Pelata, ancien numéro deux de Renault, le pire en ce moment c'est la fuite des cerveaux : "Il y a 30 à 40 cadres de haut niveau qui ont quitté Renault en un an. Un bon nombre sont allés chez PSA. Evidemment, ça affaiblit une direction générale. Mais ça démontre aussi que l'ambiance interne n'est pas bonne. On ne part pas dans une entreprise qui va bien, qui a des perspectives. Car dans l'automobile, on sait se redresser. PSA, qui n'était pas bien il y a quelques années, en est une preuve."
Quand il n'y a pas le moral, quand les gens ne voient pas vers quoi on veut aller, quand le directeur général se fait virer, ce n'est pas bon du tout.
Patrick Pelataà franceinfo
La question aujourd'hui est de savoir si le constructeur peut se relever d’une telle situation. Chez Renault, on préfère voir le travail accompli ces derniers mois, à savoir une direction générale renouvelée et des relations avec le partenaire japonais Nissan désormais apaisées. De quoi retrouver un nouveau souffle.
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