Allemagne : "On a des gagnants et des perdants" de l'électrification du parc automobile, assure le fondateur d'un cabinet d’études sur l’industrie et les services automobiles
En Allemagne, "on a des gagnants et des perdants" de l'électrification du parc automobilie, assure ce lundi 13 mars sur franceinfo Bernard Jullien, maître de conférence en économie à l’université de Bordeaux, fondateur de FERIA, cabinet d’études sur l’industrie et les services automobiles. La semaine dernière, alors que l'Union Européenne devait acter la fin des moteurs thermiques pour les véhicules neufs en 2035, l’Allemagne a fait savoir qu’elle ne voterait finalement pas ce texte.
Ce revirement allemand s'explique politiquement et économiquement selon Bernard Jullien. Par rapport à leurs récents revers électoraux, le maître de conférence en économie "voit un coup réalisé par les libéraux allemands" qui "ont décidé que c'était assez opportun par rapport à leur sort politique actuel d'aller défendre cette poursuite du thermique". De plus, il estime que si les "constructeurs allemands" ont bien préparé ce passage au 100% électrique, les petits sous-traitants qui représentent "beaucoup d'emplois" doivent encore être soutenus. Il propose de rouvrir "les tractations" avec ces entreprises pour favoriser "l'innovation."
franceinfo : Pourquoi l'Allemagne freine-t-elle autant sur cette réglementation des moteurs thermiques ?
Bernard Jullien : Il y a d'abord un problème de politique intérieure, c'est-à-dire que les libéraux ont décidé que c'était assez opportun par rapport à leur sort politique actuel d'aller défendre cette poursuite du thermique. Ces politiques sont allés dire aux PME, qui sont plutôt victimes du tournant de l'électrification, qu'ils ne sont pas seuls face aux très grandes entreprises. Il y a probablement eu un arbitrage qui a été rendu par Olaf Scholz en faveur des libéraux et contre les écolos qui expliquent ceci. C'est un problème de politique intérieure.
Ensuite, le problème au niveau européen, il est souvent plus consistant puisque, comme le dit Bruno Le Maire, on a quand même des constructeurs qui se sont engagés très fermement sur l'électrique. Ils ont des calendriers de lancement des produits qui sont calculés sur cette espèce de quasi-certitude dans laquelle le thermique allait cesser. En cas de revirement, ces constructeurs auraient des raisons d'être fort mécontents y compris les constructeurs allemands comme Volkswagen. Cette marque était très engagée et était même probablement à l'origine du mouvement d'électrification qui est aujourd'hui remis en cause par l'Allemagne.
Vous nous dites que cet "arbitrage en Allemagne est politique" mais il est aussi économique ?
Oui, dans ce mouvement d'électrification, on a des gagnants et des perdants. Les gagnants, ils sont éventuellement plutôt du côté des constructeurs allemands. Les constructeurs allemands se sont très engagés en Chine où ils sont obligés d'électrifier leurs gammes. Du coup, ils ont cherché à avoir une technologie qui leur permettrait d'être à la fois présents en Europe et présents en Chine. Ils ont choisi l'électrique.
Évidemment, c'est moins le cas pour les sous-traitants, surtout pour les petites entreprises qui sont souvent mono actives. On a pensé que les perdants de l'électrification n'avaient plus que leurs yeux pour pleurer. En fait, ils ont aussi des soutiens politiques en Allemagne. Il va falloir que des tractations se réouvrent pour que ces perdants, face au tout électrique, innovent et soient à la fois intégrés un peu mieux dans les choix et qu'en même temps, ils ne remettent pas en cause ce cap qui a été pris.
A-t-on aujourd'hui les mêmes problèmes en France ?
On a les mêmes problèmes, évidemment, on a une reconversion qui en est à ses balbutiements et tout le monde a compris qu'elle allait être relativement problématique pour toute une série d'entreprises. Aujourd'hui, on a déjà vu que dans les fonderies, qui déjà souffraient avec la diésélisation, les choses vont empirer. Il y a là des problèmes très lourds sur le plan industriel ou social.
Mais ils sont peut-être un peu plus aigus en Allemagne parce qu'il y a beaucoup plus d'emplois. Ces emplois sont à la fois en Allemagne, mais ils sont aussi dans les pays de l'Est où une partie des équipements des voitures allemandes sont fabriqués.
Il va falloir que des tractations se réouvrent pour que ces perdants l'électrification innovent et soient à la fois intégrés un peu mieux dans les choix et qu'en même temps, ils ne remettent pas en cause ce cap qui a été pris.
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