Scorbut, rats et trésors naturels... Le destin tragique de l'île de Clipperton, petit bout de France au milieu du Pacifique
L'Assemblée nationale vient de réaffirmer la souveraineté de la France sur cette toute petite île située à 1 300 km des côtes mexicaines. Un député UDI, Philippe Folliot, se bat pour valoriser ce territoire oublié au milieu de l'océan. Et cela commence à porter ses fruits.
Clipperton est bel et bien française ! Comment ça, ce nom ne vous dit rien ? L'Assemblée nationale a réaffirmé la souveraineté de la France sur cette toute petite île (7 km²), un territoire "oublié" du Pacifique Nord, jeudi 24 novembre. Les députés ont adopté une proposition de loi UDI créant un poste d'administrateur de cet atoll, assisté d'un conseil consultatif, mais sans pour autant en faire une collectivité à part entière.
Un statut nouveau pour une île plutôt extraordinaire, qui pourra également être appelée "La Passion-Clipperton". Il s'agit là d'un premier pas dans la renaissance de cette îlot inhospitalier et quasi-abandonné. Franceinfo s'est penché sur le cas de ce étonnant bout de terre français, à 12 000 kilomètres de la France métropolitaine, 6 000 de Tahiti et 1 300 des côtes mexicaines.
Un caillou désolé
Clipperton a une drôle d'allure. Elle est un anneau, au milieu duquel se trouve un lagon d'eau douce (impropre à la consommation), et dont les fonds, acides, peuvent atteindre 34 mètres de profondeur. Sur cette bande de terre, la vie n'est pas plus confortable : car "le mince anneau de l'atoll est jonché de débris laissés par des pêcheurs", résume ce documentaire du commandant Cousteau, diffusé en 1980. Clipperton y apparaît, déjà à l'époque, comme un caillou désolé, perdu au beau milieu de l'Océan pacifique. Outre les crabes, les oiseaux et les requins, ses résidents permanents, l'île déserte a accueilli provisoirement des hommes : des baleiniers américains, des pirates, des conquistadors, une mission militaire... Autant de visiteurs peu regardants niveau tri sélectif.
Faute de gestion et de passages suffisants des bâtiments de la marine française, l'atoll est envahi par les déchets et les rats, rescapés d'un naufrage, et subit le pillage des ressources par des bateaux pratiquant une pêche intensive et illégale. Pour remettre en état cet étrange territoire, la France a annoncé, en septembre, la création d'une zone protégée dans les 12 milles nautiques autour de cet atoll précieux. En 2005, une expédition menée par Jean-Louis Etienne a permis de réaliser l'inventaire des espèces, minéraux et plantes présentes sur l'île et aux alentours.
Un bout de terre revenu de l'enfer
Pour une île déserte, Clipperton a connu un destin particulièrement mouvementé. Elle est est si loin de toute terre que longtemps, elle n'a été à personne, avant d'être officiellement déclarée française en 1858. Pourquoi ? Parce que deux Français, le capitaine corsaire Mathieu Martin de Chassiron et Michel Dubocage, sont tombés dessus alors qu'ils faisaient route vers le Brésil, en 1711. Ils la baptiseront "l’île de la Passion" (parce qu'ils l'ont découverte le Vendredi saint, le jour de commémoration de la Passion du Christ, le 3 avril), mais elle sera ensuite nommée Clipperton, du nom d'un flibustier britannique qui aurait précédé les deux Français sur l'île, en 1706. Et l'Hexagone aura un peu tendance à oublier sa lointaine dépendance.
A la fin du XIXe siècle, une compagnie américaine squatte les lieux, pour exploiter le guano. Furieux, le Mexique, plus proche voisin de Clipperton, décide de réclamer l'île, y envoyant une poignée de soldats et leurs familles, dès 1907. Avec la révolution mexicaine de 1911, cette mini-colonie décimée par le scorbut n'est plus ravitaillée. Quand les hommes de l'île meurent en tentant de rattraper un navire passé non loin de Clipperton, leurs six femmes et huit enfants restent coincés sur ce bout de terre, à la merci du dernier homme de la colonie, Victoriano Alvarez, resté à terre, raconte Libération.
"Il s’autoproclame roi de Clipperton et fait des femmes et des enfants ses sujets, et surtout ses esclaves sexuels, explique le journal. Deux des femmes succomberont au traitement d’Alvarez. En 1917, après deux années de martyr, les quatre autres réussiront à tuer leur bourreau." Il est finalement assassiné à coups de marteau. La même année, un navire de l'armée américaine, l'USS Yorktown, découvre ces naufragés et leur vient en secours.
Depuis, Clipperton n'a été que provisoirement habité. Mais le regain d'intérêt de la France pour ce caillou du Pacifique pourrait bien offrir à Clipperton une nouvelle place sur la carte.
Une terre de tous les possibles
L'île a de nombreux atouts à faire valoir. C'est en tout cas le constat de Christian Jost, géographe à l'université de Polynésie française, qui a dirigé en avril 2015 une mission scientifique sur l'île (et qui est à l'origine d'un site très complet sur l'île). "Ses ressources halieutiques (thonidés), ses champs sous-marins de nodules polymétalliques [des concrétions rocheuses riches en minerai] et sa position géostratégique, dans une ZEE (zone économique exclusive) de 435 000 km2, supérieure à celle de la France métropolitaine (336 000 km2)", restent un avantage pour la France, expliquait-il en juillet 2015 à Sciences et avenir. D'ailleurs, "la position de Clipperton a permis à la France, en 1973, d’adhérer à l’Inter American Tropical Tuna Commission (IATTC) qui ouvre l’une des zones de pêche les plus riches du monde, et de participer activement à ses travaux", rappelait-il.
Le député UDI Philippe Folliot, cité par La Croix en septembre 2015, abonde. "Il s’agit de la seule zone habitable mais inhabitée aujourd’hui dans le monde, explique-t-il. Elle présente à la fois un intérêt géostratégique et une situation privilégiée pour devenir un observatoire scientifique et une zone de protection de l’environnement." L'élu imagine instaurer "des droits de pêche, des fonds avec lesquels nous pourrions construire et entretenir une base scientifique internationale, notamment avec les Mexicains". Tout cela pour finir par diviser l'île en "une zone de protection intégrale", "une zone scientifique" et "une zone portuaire".
Christian Jost plaidait plutôt pour "la mise en place sur l'atoll d'une base habitée, scientifique et de surveillance, comme celles des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)."
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